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Les vraies raisons de la présence russe en Syrie
©Reuters

Le théâtre d'opération

Le conflit en Syrie est aussi, pour la Russie, un théâtre d'opération qui sert à la promotion de ses moyens militaires.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Dans quelle mesure le théâtre d'opération syrien a-t-il pu être un camp d'entraînement, de test, et de "promotion" des capacités militaires russes, aussi bien du point de vue du matériel que des hommes ? 

Alain Rodier : Même si l’objectif géostratégique de Moscou en Syrie est autre (c/f ma réponse à votre troisième question), il est parfaitement exact que le théâtre de guerre syrien est un gigantesque camp d’entraînement, d’expérimentation des matériels et des tactiques et d’acquisition d’expérience pour les personnels.

C’est terrible à dire, mais il n’y a rien de pire pour l’efficacité technique d’une armée que le temps de paix. Bien sûr, à l’autre extrémité de la chaîne, une guerre totale est aussi très handicapante car elle mobilise tous les moyens et toutes les énergies. Cela dit, la Seconde Guerre mondiale a permis de faire des progrès technologiques faramineux avec des retombées dans de multiples domaines dont ceux de l'aviation et du nucléaire civils...

Au risque de paraître cynique, pour les militaires, rien ne vaut un « bon petit théâtre extérieur » pour s’entraîner en grandeur nature.

Sur le plan des personnels russes, le tour de présence est de trois mois. A l’évidence, cela n’est pas destiné à obtenir une efficacité opérationnelle optimum sur le terrain, les officiers commençant à vraiment être au point qu’au bout de cette période. Mais cela permet à un maximum de cadres d’acquérir une expérience du combat exceptionnelle et aussi, à la hiérarchie de faire une évaluation des compétences. Un officier brillant "à l'exercice" peut avoir de piètres résultats sur le terrain de la guerre réelle qui révèle les vraies personnalités.  Mais cela a un prix. Au début 2018, les Russes reconnaissaient 43 militaires tués dont deux officiers généraux - auxquels il faut ajouter plus d’une centaine de contractors -. En aparté sur ce sujet, les sociétés militaires privées (SMP) en Syrie sont là pour faire ce que l’armée régulière russe ne fait pas : les gardes statiques, particulièrement des installations pétrolières, les escortes, la formation de fantassins de base, etc.

Sur le plan matériel, lorsque la marine russe engage des missiles de croisières tirés de Méditerranée ou de la Caspienne pour détruire quelques véhicules 4X4 au fin fond du désert syrien, ce n’est pas l’efficacité tactique qui est visée (cela fait cher la cible détruite) mais cela permet de tester ces armements modernes. Des tirs ont même eu lieu à partir de sous-marins, parfois en plongée ! Idem pour les missiles lancés depuis des bombardiers stratégiques qui font le périple depuis la Russie, larguent leurs munitions au dessus de l’Iran, ces dernières traversant l’Irak du Nord pour aller détruire des bâtiments peut-être vides … En plus des tests, cela permet aussi à Moscou de montrer aux autres pays, surtout à ceux qui sont membres de l’OTAN, que la Russie est dotée de capacités militaires redoutables. Les alliés occidentaux ont d’ailleurs été étonnés des techniques sophistiquées de guerre électroniques mises en œuvre depuis la base de Hmeimim. Or cette guerre n’était dirigée contre les rebelles djihadistes mais contre l’aviation alliée.

Des progrès énormes ont été faits en matière d’appuis air-sol, en particulier pour les hélicoptères, et dans l’utilisation des drones. Le seul échec cuisant visible a été la tournée catastrophique du porte-aéronefs Amiral Kouznetsov en 2016/2017. Après avoir perdu deux appareils, il a été décidé de baser son aviation embarquée à terre pour limiter les risques d’accidents. Le RETEX (retour d’expérience) a été immédiatement tiré par le président Poutine qui a ordonné l’arrêt des projets de construction de six autres unités.

Alors que la Russie post-soviétique était montrée du doigt concernant ses capacités conventionnelles, la "mise à niveau" est-elle aujourd’hui effective ? 

La mise à niveau de l’armée russe n’est pas encore atteinte, surtout du fait du manque de crédits - rappelons qu’en 2018 Moscou consacre 70 milliards de dollars pour sa défense alors que les États-Unis font dix fois plus -. Mais progressivement, le théâtre syrien lui permet d’augmenter ses capacités militaire en modifiant ses tactiques et en faisant évoluer ses matériels qui obtiennent le label « éprouvé au combat ».

Cela constitue aussi un facteur important pour booster les exportations d’armements russes vers les pays cherchant un bon rapport qualité/prix. Selon une étude du cabinet IHS Markit parue en août 2017 qui porte sur 40.000 programmes d'armement dans 65 pays, la Russie a livré à la mi-2017 pour 7,2 milliards de dollars d’armements derrière les États-Unis avec 26,9 milliards de dollars A noter que la France a réalisé un joli score en se plaçant troisième sur le podium avec 5,2 milliards de dollars. A la fin 2017, Moscou espérait atteindre les 15 milliards de dollars à l’export pour l’ensemble de l’année.

Faut-il voir cet aspect de l'intervention russe comme sa cause principale ? Quel autre objectif prioritaire a-t-il pu entraîner une telle décision ? 

Aucun pouvoir ne déclenche une opération militaire pour ouvrir un camp d’entraînement pour y faire batifoler ses militaires. Il y a bien sûr toujours une raison politique. S’il a souvent été dit que l’Espagne avait servi de test préparatoire aux nazis pour déclencher ensuite la Seconde Guerre mondiale (ce qui, sur le plan technique n’est pas faux car, par exemple, c’est là que furent expérimentés les bombardements en piqué des bombardiers Stuka qui firent tant de mal aux armée franco-britanniques en 1940), le but politique de Hitler était de faire gagner le général Franco pour ensuite l’associer aux puissances de l’Axe. Si le premier objectif a effectivement été atteint par Berlin, le second a été un échec, Madrid refusant de suivre l’Allemagne, le Japon et l’Italie dans leur folie meurtrière (en dehors de l’envoi d’une division de volontaires sur le front de l’Est, et encore, que jusqu’à la fin 1943).

Le but de Moscou en Syrie est d’y installer pour les cinquante ans qui viennent un point d’ancrage en Méditerranée orientale. La Russie réalise ainsi son vieux rêve d’accès aux « mers chaudes ». C’est à cette fin que le port de Tartous devrait être modernisé - pour pouvoir y faire accoster des navires de fort tonnage qui pour le moment sont obligés de mouiller au large - et la base aérienne de Hmeimim renforcée (des attaques à l’aide de drones et de roquettes qui ont eu lieu au tout début janvier ont montré que la défense rapprochée de Tartous et Hmeimim présentaient ce que les journalistes aiment à appeler des « failles »). Dans l’avenir, Moscou espère compléter son implantation en négociant des facilités en Égypte et en Libye (le port en eaux profondes de Tobrouk les intéresse sacrément).

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