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Le néoantisémitisme : cette haine qui ne soulève aucune indignation de masse
©Reuters

Bonnes feuilles

De 1898 à 2018, les leçons de l’histoire n’ont pas été tirées. Alors que le camp des ennemis de Dreyfus est paresseusement réduit à celui des nostalgiques de l’ordre ancien et d’une France révolue, beaucoup passent à côté de l’essentiel : l’inquiétante modernité des idées dont les antidreyfusards, Édouard Drumont et Charles Maurras en tête, se sont réclamés. Extrait de "J’accuse . . . ! 1898-2018. Permanences de l’antisémitisme" par Alexis Lacroix, publié aux Editions de l'Observatoire. (1/2)

Alexis  Lacroix

Alexis Lacroix

Alexis Lacroix est directeur de rédaction délégué de L’Express, après avoir été directeur adjoint de Marianne. 

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Le désert de la solitude juive croît. Depuis plus de quinze ans, bien sûr – et, particulièrement, depuis que les « retombées » de ce qu’il a été convenu d’appeler la « deuxième intifada » ont rendu aiguë et menaçante une haine antijuive jaillie de secteurs nouveaux de la société française. Mais plus encore au cours de l’année écoulée : c’est le 4 avril 2017, à Paris, qu’une femme de 65 ans a été défenestrée par l’un de ses voisins. Elle s’appelait Sarah Halimi. À l’heure où j’écris ces lignes, le mobile antisémite de son assassin, Kobili T., a – enfin – été reconnu par la justice.

Mais dans l’opinion ? Et chez ceux qui la modèlent ? Quel est le degré moyen de clairvoyance sur les raisons de ce crime ? Quelle lucidité, quelle vigilance prévalent ? Si l’on en juge par la discrétion qui a entouré une pétition d’intellectuels, publiée dans Le Figaro, les plus grands doutes sont permis. Ce texte, signé par des personnalités aussi différentes que Michel Onfray, Marcel Gauchet, Jacques Julliard, Alain Finkielkraut, Laurent Bouvet ou Élisabeth Badinter, énonçait quelques vérités de fait et s’émouvait de leur escamotage. L’existence même d’une telle prise de position publique constituait un événement : hélas, dans le flux hectique et sidérant de l’info planétaire, il est des événements qui ne font pas événement.

Minoré, sous-diffusé, empêché de viralisation, ce texte n’a pas eu droit à la lumière que la gravité des actes qui l’avaient suscité justifiait pourtant. Il a fait l’objet d’un zapping d’autant plus redoutable que subreptice et, pour le coup, terriblement hypocrite. Accuser, alors ? Pointer du doigt la lâcheté ou la complaisance ? Rouvrir, comme d’autres, le procès grisant des médiateurs ? C’est nécessaire, peut-être. Et les travaux séminaux de Pierre-André Taguieff ont inlassablement cherché, depuis la fin de l’année 2000, à alerter les consciences. L’objet de ce livre est légèrement autre : il est plus historique. Décrire et analyser la « nouvelle judéophobie », selon la terminologie de Taguieff, est nécessaire. Le livre qu’on va lire poursuit un autre objectif : discerner l’archéo sous le néo. Il s’agit moins de repérer les configurations de la barbarie antijuive dans la synchronie, que de tenter de comprendre pourquoi celle-là, en dépit de sa prégnance quasi quotidienne dans tous les territoires perdus de notre République, ne soulève aucune indignation de masse. Et cet effort nous oblige à déplacer nos interrogations dans la diachronie, vers le « temps long » de l’histoire de ce pays. L’accoutumance à l’ignominie, qu’il faut dénoncer avec Taguieff, apparaît alors sous un jour cru : moins comme un manquement psychologique que comme la conséquence d’une structure discursive, ou l’effet d’une grammaire finalement ancienne, et qui, comme un rhizome, s’excave de l’obscurité, rebondit dans notre actualité et la submerge.

L’urgence, donc ? Sous la surface du néoantisémitisme, sonder la nappe souterraine d’une aversion méthodique qui a rendu possible, au crépuscule du xixe siècle, l’affaire Dreyfus. Reviennent alors les spectres non de l’antique antisémitisme chrétien disséqué par Léon Poliakov, mais du modernisme antijuif et de son « progressisme » convulsé – celui des détracteurs les plus violents et les plus acharnés de la IIIe République et de ce que le préfasciste Georges Valois nommait la « radicaille ».

Et sort de terre, dans sa virulence inentamée, une manière de conspuer les juifs qui faillit bien emporter, malgré la bravoure des dreyfusards, l’édifice plus fragile qu’on l’imagine de la civilisation française.

Extrait de "J’accuse . . . ! 1898-2018. Permanences de l’antisémitisme" par Alexis Lacroix, publié aux Editions de l'Observatoire.

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