Atlanti-culture
"L’éclipse de la mort" : les apprentis sorciers du cache la mort
LIVRE
L’éclipse de la mort
de Robert Redeker
Ed. Desclée De Brouwer
RECOMMANDATION
excellent
THÈME
« La mort, la mort, la mort ! » fredonnait Brassens dans ses nombreuses querelles avec la Camarde, sa vieille compagne. Contempteur impitoyable de nos turpitudes contemporaines, Robert Redeker s’y met à son tour. Et l’homme d’aujourd’hui, « augmenté » de toutes parts, ne sort pas grandi de l’allongement de la durée de sa vie. L’auteur, dans un cocktail vigoureux d’érudition, de références philosophiques et de plaidoyer ante mortem, tente de réveiller des consciences plus lâches qu’éteintes à l’évocation du trépas. Ou plutôt de la Mort, car le gros mot fâche, souffre d’une solitude désespérée, s’abandonne à l’amnésie, victime de l’urbanisation tiède et de la dérégulation du sens. Invisible, exilée, la mort survit. Fuyant l’héroïsme, l’occidental se divertit mais, exténué par une vie allongée, ne sait plus se lever pour regarder la mort dans les yeux.
POINTS FORTS
Dans ce sombre tableau de « l’art contemporain » de la mort, le livre invite le lecteur, sans pathos ni angoisse, à réfléchir au mot « Fin ».
A quoi bon repousser l’inexorable, refuser de choisir entre la résurrection et le néant, mettre la cendre – de la crémation – sous le tapis. A la peur de mourir, rituelle dans toutes les civilisations, les clients du Moi triomphant, de la vie tout confort, de la consommation existentielle, ajoutent une peur bleue de la mort, cette empêcheuse de vivre en rond « sa vie avant tout ». Dans l’ombre, la stratégie de diversion du transhumanisme est à la manœuvre.
En une vingtaine de chapitres aux vérités tranchantes, Robert Redeker rend une visite essentielle à notre rapport confus à « une mort en danger ». Il veut rendre justice aux fins dernières, libérer le grand passage contre les tenants dépressifs d’une société postmortelle déshumanisée, repeupler les cimetières avec de vrais morts de chair et d’os, tenter le pari de l’immortalité.
POINTS FAIBLES
Dans ces états généraux de l’ultime, il y a des absents dans le cortège funèbre : le refus de la vie, la décroissance démographique, la mort douce des soins palliatifs, l’infantilisation de la vieillesse, la collusion entre les idéologues de la déconstruction et le libéralisme triomphant de la survie radieuse. En conviant les philosophies et les religions au chevet de la mort éclipsée, l’ouvrage se révèle pourtant comme un précieux guide du « savoir mourir pour bien vivre ».
EN DEUX MOTS
Dans cette histoire de vie et de mort, nul besoin de tricher car l’issue est connue d’avance. Mais sans la mort, pas de preuves, pas de coupables, pas d’empreintes et presque plus de cadavres puisque l’hygiène est désormais un sinistre prétexte pour refuser à la mort de prendre sa part de l’espace et du temps.
L’homme d’aujourd’hui est prêt à tout, sauf à mourir. Mitraillé d’écrans de violence, de sang, de larmes, il aime à voir la mort partout, sauf à domicile.
Seul un philosophe pouvait se risquer à rallier à la noble cause de la mort ceux qui savent qu’une vie ne suffit pas et comptent sur la mort pour achever son œuvre.
UN EXTRAIT
"Sachant mourir, l’on saura vivre (…). Sans la mort, il n’y a que le néant."
L'AUTEUR
Robert Redeker, agrégé de philosophie, est essayiste et écrivain. Collaborateur de plusieurs revues et journaux, il s’adonne à la photographie et à la critique littéraire. Il a publié de nombreux ouvrages parmi lesquels Le soldat impossible (2014), Le Progrès ? Point final (2015) et L’Ecole fantôme (2016).
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