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Comment l'UOIF a gagné des parts de marché en marketant l'islam
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Congrès annuel

De vendredi à lundi, c'est la rencontre annuelle des musulmans de France. Un immense salon orchestré par l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), un mouvement original misant à la fois sur une pratique religieuse rigoriste et sur une forte intégration au sein des pouvoirs publics.

Vincent Geisser

Vincent Geisser

Vincent Geissert est un sociologue et politologue français. Il occupe le poste de chercheur au CNRS, pour l’Institut du français du Proche-Orient de Damas.

Il a longtemps vécu en Tunisie, où il travaillait à l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, de 1995 à 1999.

Il est l'auteur de Dictateurs en sursis. La revanche des peuples arabes, entretien avecMoncef Marzouki. (Editions de l'Atelier, 2011)

Et de Renaissances arabes. (Editions de l'Atelier, octobre 2011)

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Atlantico : L’Union des organisations islamiques de France (UOIF) organise jusqu’à lundi sa 29e Rencontre annuelle des musulmans de France au Bourget. Que représente exactement l’UOIF en France, aujourd’hui ?

Vincent Geisser : Elle a évolué. Au départ, en 1983, c’était une organisation principalement composée d’étudiants engagés dans la spiritualité islamique. C’était une association qui se différenciait des autres syndicats étudiants arabes et maghrébins qui étaient plutôt à gauche. Ces premiers cercles étaient formés d'étudiants musulmans, principalement composés d’étrangers en provenance du Maroc et de l’Algérie. Ils défendaient alors une vision fondamentaliste au sens littéral du terme, une conception extrêmement conservatrice de l’islam. Ces étudiants, issus de la classe moyenne supérieure, s'étaient également inscrits dans une rupture avec leurs pays d’origine. Certains des membres étaient alors proches des Frères musulmans.

Puis ils ont grandi. Ils s’installent en France et entrent dans la vie active. L’UOIF est assez paradoxalement le résultat d’un processus de sédentarisation de ces anciens étudiants qui ne sont pas rentrés dans leurs pays d’origine. Ils prennent conscience que ce militantisme islamique, ils doivent le construire dans la construction d’un islam de France. Ils se marient en France, ont leurs enfants en France. Ils développent à partir de la fin des années 1980 une action qui repose sur deux axes. La construction des mosquées et de salles de prières, incluant la formation d’imams et la mise en place d’une université à Château-Chinon d’une part. L’éducation islamique d’autre part au sein non pas d’écoles coraniques mais d’écoles du mercredi-samedi-dimanche pour parfaire la formation musulmane des enfants en dehors des heures de cours. C’est une forme de catéchèse islamique.

A partir de là, la fédération est structurée. Elle joue beaucoup sur une identité de la pureté. Ils défendent l’idée qu’ils sont bien formés en islam et qu’ils ne sont pas dévoyés à l’islam d’Etat. Leur légitimité leur permet de se distinguer de l’islam des Etats d’origine, stigmatisant au passage la Mosquée de Paris accusée d’être liée à l’Algérie et la Fédération nationale des musulmans de France qui sont vus comme des Marocains. L’UOIF revendique son indépendance vis-à-vis de ces différents Etats, considérés comme totalitaires.

C’est là qu’ils commencent à se rapprocher de Nicolas Sarkozy. Ils sont les premiers à comprendre qu’il faut jouer à fond la carte française, dans leur sigle, dans leur présentation. Ils développent un discours à la fois ultra-conservateur mais en intégrant une dimension franco-française beaucoup plus présente que chez d’autres organisations musulmanes. C’est un fondamentalisme se revendiquant de l’identité du pays.

L’UOIF est-elle représentative de la population musulmane de France ? Cette fédération a-t-elle un poids réel auprès des fidèles ?

L’UOIF fait un peu la controverse. Ils ont une stratégie d’implantation nationale. Même s’ils ne sont pas majoritaires, c’est eux qui ont développé la stratégie de présence la plus cohérente. Ils ont des objectifs liés à l’échelle nationale. Ils restent assez diabolisés et vont chercher, pour cette raison, à se rapprocher des administrations publiques.

Ils sont aussi les premiers à inventer ce que l’on appelle « l’islam de marché ». C’est pour cette raison qu’ils ont mis en place ce fameux Bourget. Le nom de cette rencontre n’est pas anodin : ils ont décidé de ne pas l’appeler le congrès de l’UOIF mais bel et bien la rencontre des musulmans de France. Ils ne se définissent pas comme une organisation de musulmans parmi d’autres mais comme l’organisation représentative des musulmans de France. Ils ont une dimension hégémonique : s’ils ne représentent pas tous les pratiquants et ne contrôlent qu’entre 1000 et 2000 associations, ils se sont toujours posés en représentants des musulmans de France.

Dans le milieu des années 2000, ils y arrivent en renforçant leurs liens avec Nicolas Sarkozy, lorsqu’il devient ministre de l’Intérieur. Ce dernier va leur donner une légitimité et multiplier les discours dans lesquels il loue leur sérieux et leur respectabilité, mettant la Mosquée de Paris et la Fédération nationale des musulmans de France sur le bord de la route. De ce point de vue, l’UOIF obtient une double crédibilité : auprès des musulmans grâce à une politique de communication, de socialisation et de séduction qui leur donne une image d’acteur de terrain et auprès des pouvoirs publics. Ces derniers les dénoncent à l’échelon national mais se retrouvent à travailler souvent avec eux, au niveau local. Dans beaucoup de villes, plutôt à droite qu’à gauche, les maires trouvent au sein de l’UOIF des interlocuteurs plus fiables que d’autres.

Les affiliés à l’UOIF, qui lui restent parfaitement fidèles, sont en réalité très minoritaires. Ils sont cependant entouré par une population beaucoup plus large de « consommateurs » musulmans, qui viennent par exemple au Bourget pour profiter des produits qui leurs sont offerts : livres, conférences, vêtements … Enfin, il faut noter au sein des nouvelles générations une critique de plus en plus forte : les musulmans de la classe moyenne et supérieure issus nés en France voient dans l’UOIF une organisation marquée par les pays d’origines. L’UOIF est baptisée par certains « organisation de blédards ». Elle privilégie dans les positions dominantes des personnalités originaires de l’étranger plutôt que des musulmans natifs de France. Ces derniers, même s’ils ont fréquenté les mouvements étudiants, se font de plus en plus critiques vis-à-vis de l’absence de mise en avant des jeunes.

Comment l'UOIF est-elle financée ?

Il y a une part de financements issus des grands donateurs du Golfe, comme pour toutes les organisations musulmanes. Pour refaire son toit, la Mosquée de Paris a reçu un don de l’Arabie Saoudite. La Mosquée de Lyon, qui n’est pourtant pas fondamentaliste, a été construite sur fonds personnels d’un prince saoudien. Ces financements n’ont rien d’occulte. Ils n’ont rien à voir avec les fonds que peuvent blanchir les organisations terroristes. Il s’agit là tout simplement de mécénat.

La rencontre annuelle des musulmans de France, au Bourget, est également une importante manne financière. C’est une extraordinaire entreprise commerciale. On peut parler d’islam de marché. L’UOIF est la première à avoir su développé cette dimension de "l’islam marketing". Dans ce salon, les emplacements sont extrêmement chers, y compris pour les associations. Les commerçants et les visiteurs paient extrêmement cher.

Enfin, les affiliés participent au financement en donnant à leur échelle. Les donateurs sont connus. Mais ce qui permet à l’UOIF de prospérer, c’est qu’ils sont de véritables entrepreneurs : tout ce qui peut rapporter de l’argent est exploité au bénéfice de l’organisation.

Sur quels réseaux l’UOIF peut-elle compter ? Quelles sont ses influences ?

La parenté idéologique, religieuse et philosophique avec les Frères musulmans est claire. Mais au vu de l’évolution de ces derniers, le lien, la dépendance organique, ont disparus. Les Frères musulmans égyptiens sont devenus un parti politique et ont autre chose à penser avec leur majorité à l’assemblée qu’aux Français.

Les liens avec les organisations islamistes de type légalistes restent importants. On peut penser au PJD (Parti de la Justice et du Développement) marocain, qui est actuellement au pouvoir. On peut penser au parti Enahda en Tunisie. On peut penser à l’AKP en Turquie. Les relations avec ces partis sont surtout le fruit d’amitiés et d’unions familiales qui se sont construites en Europe, lorsque les dirigeants de ces mouvements étudiaient ou se réfugiaient à l’étranger. Ils appartiennent tous à un même réseau de sociabilité.

Il y a enfin des connections avec des prédicateurs. Je trouve que Nicolas Sarkozy n’a pas été très honnête dans ses dernières déclarations. L’UOIF a toujours été anti-salafiste. Ils ont beaucoup coopéré avec l’actuel Président contre le salafisme en effectuant beaucoup de repérage. Ils ont conseillé le ministère de l’Intérieur pour repérer les mosquées salafistes qui pouvaient poser problème, les imams les plus radicaux ou ce genre de choses.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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