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L'Etat islamique en Irak, c'est fini comme Etat mais pas comme marque mondiale attirante et donc très dangereuse
©AHMAD AL-RUBAYE / AFP

Une bataille gagnée

Le Premier ministre irakien Haider Al-Abadi a déclaré samedi que la guerre contre l'Etat islamique dans son pays était terminée. Mais il serait imprudent de baisser la garde : la fin de Daech en tant qu'Etat n'était que la première bataille. Tant que le salafisme sera attirant, il recrutera en masse.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Le Premier ministre irakien Haider Al-Abadi a déclaré samedi 9 décembre que la guerre contre l'Etat islamique dans son pays était terminée. Il a cependant admis que si militairement, la victoire était acquise, il fallait encore "nettoyer" le désert occidental du pays. Que pensez-vous de cette déclaration ?

Alain Rodier : Il a parfaitement raison s’il veut parler de l’« Etat » islamique tel qu’il existait depuis 2014/2015. Cette entité territoriale située à cheval sur l’Irak et la Syrie a disparu. A savoir que son « gouvernement » central, ses « gouverneurs » de wilayas (provinces), la véritable « administration » (éducation, santé, transports, finances, affaires religieuses, police, etc.) qui gérait les 5/8 millions d’habitants du « califat » ont disparu. C’est donc bien une « victoire militaire » mais en aucun cas la « guerre » n’est gagnée. Elle change juste de forme.

Pour revenir aux fondamentaux, la guerre insurrectionnelle a globalement trois niveaux :

- quand les insurgés sont faibles, ils utilisent le « moyen » terroriste car il est relativement facile à mettre en œuvre et peu coûteux en hommes et matériels ;

- quand ils se renforcent et que les forces auxquelles ils sont opposés ne parviennent plus à contrôler totalement le terrain, il passent au « moyen » guérilla en harcelant l’adversaire là où il est faible ;

- quand ils sont assez puissants pour affronter l’ennemi en champs clos, ils passent à la guerre classique avec blindés, artillerie, etc. Généralement, il ne leur manque que l'aviation (en dehors des drones qui connaissent un succès grandissant). Parvenir au troisième niveau ne veut absolument pas dire ne pas continuer à employer les moyens utilisés dans les deux niveaux précédents.

L’exemple historique est la guerre d’Indochine. Le Vietminh a commencé en 1945/46 par des actions terroristes pour monter peu à peu au niveau guérilla autour de 1950 (bataille de la RC 4) puis pour finir en bataille classique à Diên Biên Phu en 1954.

Daech a fait de même : terrorisme en Irak jusqu’en 2011 (sous l’appellation d’Etat Islamique d’Irak, EII), guérilla à partir de 2012/2013 en Syrie (sous le sigle d’Etat Islamique d’Irak et du Levant, EIIL) puis batailles classiques en 2014/2017 en Syrie puis en Irak. Il vient de perdre ce dernier niveau est revient donc aux deux précédents : terrorisme et guérilla.

Il ne fait pas de doute qu’il a préparé ce rétropédalage (qualifié de « retour au désert » en référence au départ forcé de Mahomet de la Mecque en 622 - l'hégire -) puisqu’il avait déjà déclaré que la perte des grandes localités, Mossoul (Irak), Raqqa (Syrie) et Syrte (Libye) ne lui importait pas car la lutte continuerait.  En effet, son idéologie salafiste-djihadiste perdure voire continue à s'étendre. En gros, Daech est revenu au combat « clandestin ». Cela peut aussi être comparé aux années noires qu’a connu l’Algérie dans les années 1990 : une guerre clandestine menée par le GIA qui a fait plus de 100 000 victimes sans compter les attentats commis en France….

Si les principaux groupes armés sont bel et bien défaits, de quelle nature va être la lutte contre l'Etat islamique en Irak et en Syrie ?

Je l’ai évoqué précédemment. Il va avoir des attentats spectaculaires dans les grandes villes, même en dehors de la zone d’influence sunnite, des attaques de type hit and run sur des objectifs ponctuels peu protégés, etc. Tout va dépendre du soutien que Daech va continuer à avoir au sein des populations sunnites. Si une reconstruction rapide et une gestion correcte des populations ne sont pas assurées par le pouvoir de Bagdad, il est fort probable que Daech va survivre et même prospérer en recrutant au sein de la jeunesse de plus en plus révoltée.

Et pour l'instant, la réalité est inquiétante: les décideurs irakiens semblent toujours motivés par le clanisme (chiite), les arrangements entre "amis" (avec les Iraniens qui ont leur propre agenda) et la corruption.

Wassim Nasr, journaliste et spécialiste de la question djihadiste parlait cependant dans un entretien donné au Parisien d'une véritable "extension du logo, de la marque Etat islamique dans le reste du monde". En quoi cette internationalisation pourrait réaffecter les territoires dont l'Etat islamique a été expurgé ?

Il a parfaitement raison. D’ailleurs, la plupart des wilayas extérieures (Libye, Sinaï, zone Afpak, Extrême-Orient, Caucase, Sahel, etc.) étaient composées de combattants qui n’avaient fait que changer de bannière. Ils sont passés de la nébuleuse Al-Qaida « canal historique » estimée en perte de vitesse à Daech en odeur de victoires et de conquêtes.

En une phrase, la querelle des "anciens" représentés par le docteur Ayman al-Zawahiri contre les "jeunes" qui se reconnaissent en Al-Baghdadi. D’ailleurs, même dans la terre d’origine (l’Irak), Daech était la branche locale de la nébuleuse initiée par Ben Laden même si son père fondateur, Abou Moussab al-Zarqaoui a fait montre d'indépendance voire plus ! C'est lui qui s'est attaqué frontalement aux chiites qu'il considérait comme des "apostats" (des traîtres à l'islam) alors que Ben Laden était plus "mesuré" (on peut le comprendre, une partie de sa famille et des ses proches était en résidence surveillée en Iran).

Quoiqu'on en dise, il y a eu assez peu de "transferts" de combattants passant d’un théâtre d’opérations à un autre. C’est la conséquence de deux faits : les déplacements à l’international pour les activistes sont de plus en plus difficiles et surtout, leur hiérarchie a besoin d’eux là où ils se trouvent.

Maintenant, il y a des groupes de délinquants de droit commun - comme aux Philippines - qui trouvent intéressant d’habiller leurs trafics d’une cause politico-religieuse qui leur permet de recruter de nouveaux adeptes au sein des jeunesses désemparées. Par exemple, nous risquons de voir ce phénomène se développer au sein des Rohingya.

Pour résumer, une bataille a été effectivement gagnée mais la guerre continue. Il serait imprudent de baisser la garde. Et surtout, cette guerre est avant tout idéologico-religieuse. Tant que le salafisme sera attirant, il recrutera en masse. Le problème réside dans le fait que ce combat est interne à l'islam et que les "mécréants" n'y peuvent pas grand chose.

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