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Supprimer le travail scolaire à la maison est hypocrite et ne conduit pas à une plus grande égalité
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Peut mieux faire

La FCPE (Fédération de Conseil aux Parents d'Elèves) s'est insurgée contre les devoirs à la maison. Critiquant l'inégalité que ceux-ci entraînent entre les élèves, le syndicat a lancé depuis le 26 mars une Quinzaine sans devoirs. Un problème en trompe l’œil ?

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Faut-il prendre au sérieux l’appel à la grève des devoirs lancé par la FCPE le 26 mars dernier ? Il restera sans doute, souhaitons-le en tout cas, non suivi d’effets, mais il faut cependant le considérer pour ce qu’il est : le symptôme d’une allergie de plus en plus prononcée d’une partie de la société civile française à l’égard du travail scolaire, auquel on reproche de troubler la quiétude de la vie familiale et le bien-être des enfants.

La FCPE est à la pointe de la révolte : rappelons que cette fédération de parents (indéniablement, la plus représentative) s’était déjà illustrée en demandant aux parents de prendre leurs enfants par la main pour les emmener aux manifestations contre la réforme des retraites ! Exiger la suppression des notes et des devoirs complète le tableau de manière cohérente, si bien qu’il lui faudra à l’avenir déployer des trésors d’imagination pour pousser plus loin de curseur de la démagogie ! La FCPE n’est toutefois pas seule en cause. La contestation des devoirs à la maison révèle l’existence d’une inclination plus générale de la société à marginaliser le travail scolaire.

On a notamment vu cette tendance à l’œuvre dans le mouvement conduisant à l’instauration de la semaine à quatre jours (que la FCPE, il faut lui reconnaître ce mérite, a toujours combattue). Lorsque, n’écoutant que son courage, Xavier Darcos décida la suppression des cours du samedi matin, il avait l’appui de 80% des parents et l’aval d’un Président soucieux, paraît-il, de réhabiliter la valeur travail, mais toujours attentif à la lecture des sondages. Les professeurs, quant à eux - mais qui pourrait leur en vouloir ? -, n’ont opposé qu’une molle résistance à cette invitation à travailler moins.

L’écho médiatique rencontré par la critique des devoirs à la maison pourrait surprendre tant est faible l’argumentaire sur lequel elle repose. Il recoure à trois types d’arguments qu’il convient de distinguer. Écartons d’emblée la première catégorie, celle des arguments qui mettent en cause la nature ou le contenu des devoirs : il est aisé de multiplier les exemples aberrants qui soulignent les problèmes d’emploi du temps, de pertinence pédagogique, de compréhension des exigences par les élèves ou par leurs parents, etc. Il va de soi que, pas davantage que les programmes ou la pédagogie, la nature des devoir à la maison n’a vocation à constituer un dogme soustrait à la critique. Cela ne saurait cependant en rien justifier que l’on mette en question le principe même de leur existence.

Sur ce point précis, l’argument supposément décisif est celui de l’égalité. Il consiste à partir d’une prémisse juste – la famille est la source de l’inégalité scolaire – pour aboutir à la conclusion absurde selon laquelle le travail scolaire ne devrait pas empiéter sur le temps de la vie extrascolaire, personnelle et familiale. Le caractère déterminant de la famille sur le destin scolaire des enfants est un fait bien connu, qui résulte de multiples facteurs : l’éducation morale donnée par les parents, leur implication personnelle dans le travail scolaire, le niveau culturel, les ressources financières et le réseau social. Cette inégalité ne peut être compensée (relativement) que par l’école.

Or, par définition, durant le temps vide de travail scolaire, l’activité de l’enfant et ses apprentissages dépendent de son milieu familial et social. Le fait que la France ait le nombre de jours d’école le plus faible d’Europe (140, contre 180 à 210 dans les autres pays européens) constitue déjà un handicap. Concevoir l’enfant comme un employé de bureau en le libérant de toute implication personnelle après la sortie de l’école ne ferait à cet égard qu’aggraver le mal.

Le mot d’ordre anti-devoirs souffre d’ambiguïtés qu’il faut souligner. Sur son site, la FCPE propose de remplacer le travail scolaire par des « activités » à caractère culturel. On peut légitimement se demander en quoi substituer de tels devoirs familiaux aux devoirs scolaires – par essence identiques pour tous – contribuerait à réduire l’inégalité scolaire. Que feront les enfants dont les parents ne sont pas disponibles pour de telles activités ? Le temps « gratté » sur le travail scolaire risque fort, dans le meilleur des cas, d’être dévolu à la télévision et aux jeux vidéo. Autre ambigüité problématique : à quel niveau l’interdit sur les devoirs est-il censé s’appliquer ? Le lycée ? Le collège ? L’école élémentaire ? D’un point de vue pédagogique, il faut soit supprimer le travail personnel à tous les niveaux, soit le maintenir partout : car il apparaîtrait pour le moins risqué d’attendre que les enfants soient en âge de décréter par eux-mêmes la grève des devoirs pour leur imposer une contrainte à laquelle ils n’auraient pas été préalablement habitués !

Si la prohibition du travail personnel ne devait s’appliquer qu’aux écoliers, le soin de leur faire acquérir les habitudes et la discipline scolaires nécessaires pour la suite des études seraient abandonné aux familles. L’écart ne pourrait que se creuser entre ceux qui ont la chance d’avoir des parents « conscients » de la nécessité d’une telle initiation et les autres.

Mais l’argument de l’égalité est-il sincère, ou à tout le moins déterminant ? On peut raisonnablement en douter. Les militants de la cause anti-devoirs sont pour la plupart des parents d’un bon niveau socioculturel qui n’ont pas trop d’inquiétude quant à leur capacité à accompagner efficacement la scolarité de leurs enfants. Sans faire de procès d’intention abusif, force est de constater que leur progéniture peut sans trop de dommages se passer des devoirs à la maison, lesquels apparaissent en revanche irremplaçables pour les enfants moins favorisés.

Au moment de l’entrée au collège, quatre enfants sur dix souffrent de difficultés de lecture qui vont entraver la suite de leur parcours scolaire. Croit-on sérieusement que cette situation résulte d’un excès de temps consacré à l’exercice de la lecture personnelle ? C’est bien plutôt l’insuffisance que l’excès qu’il convient de déplorer, sauf à considérer que l’école doit se donner pour mission de réaliser l’égalité en alignant tous les enfants sur le niveau des plus faibles !

Il faut donc chercher ailleurs, du côté des arguments relatifs au bien-être familial, la véritable motivation de l’hostilité à l’égard des devoirs. Quand on rentre du travail, on voudrait « profiter de ses enfants » et passer avec eux un moment de bonheur partagé, libéré de la contrainte scolaire. Ce sont déjà des arguments de ce type qui avaient été avancés pour réclamer la mise en place de la semaine de quatre jours. Il faut reconnaître que la question de l’harmonisation entre vie familiale, vie professionnelle et vie scolaire est une vraie question, que l’on aurait tort de négliger. Mais il est facile autant que dangereux de trancher systématiquement aux dépens du travail scolaire, en ignorant les conséquences à long terme d’un tel choix de société.

Il serait absurde de prétendre que les parents ne se soucient pas de la scolarité de leurs enfants. Ils sont à l’inverse, et à juste titre, de plus en plus anxieux à ce sujet, comme en témoigne le recours massif aux cours particuliers privés - une tendance qui semble contredire cet apparent refus du « stress » lié à la « pression » du travail scolaire.La contradiction peut en vérité s’expliquer par la méconnaissance des ressorts de la réussite scolaire. Les mêmes parents qui répugnent à l’encadrement des devoirs à la maison au nom de la tranquillité des week-ends se lamenteront d’entendre leurs enfants devenus adolescents utiliser les mêmes arguments pour justifier leur refus du travail personnel.

Les aptitudes scolaires s’acquièrent très tôt : certaines compétences, cognitives et non cognitives (tels les compétences langagières, le caractère « consciencieux »), dès l’âge maternel. L’habitude du travail personnel, les compétences de base dont l’acquisition requiert la répétition des exercices (mémoriser, lire, écrire, compter), dès l’école élémentaire. La construction de la réussite s’opère tout au long du parcours de vie, et le laxisme des débuts est malheureusement tout à fait compatible avec la panique qui gagne au moment où, à l’approche de l’orientation et de la sélection, on se trouve rattrapé par la réalité.

La dénonciation de l’ineptie de cet appel à la grève des devoirs, et l’inquiétude devant le mouvement plus général de contestation du travail scolaire dont elle est le symptôme, n’impliquent bien sûr pas la défense du statu quo. En matière de devoirs à la maison, par exemple, une initiative récente - susceptible de donner un sens réel au projet de « faire évoluer » le métier de professeur et d’« individualiser » l’enseignement - mériterait tout particulièrement d’être valorisée et développée : l’aide en ligne aux devoirs, expérimentée dans quelques collèges et lycées, permet aux élèves qui souhaitent obtenir un éclaircissement d’entrer directement en relation, par le truchement d’internet, avec un professeur de permanence.

Au rebours de la volonté de séparer radicalement temps scolaire et temps personnel ou familial, une grande part des progrès que l’on peut espérer réaliser dans l’avenir dépendra de la capacité à développer cette zone périscolaire où la liaison est rendue possible (école des parents, associations d’aide aux devoirs, études encadrées, etc.).Critiquer l’existant est nécessaire, à condition que ce soit pour le meilleur, et non pour le pire. Plutôt que de céder à la facilité du dénigrement, il importe à l’inverse de multiplier les moyens d’accroître l’implication dans le travail scolaire, laquelle constitue l’une des clés de la réussite dans les études.

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