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Jour de carence : ces étonnantes particularités de la fonction publique en matière d’absentéisme
©Reuters

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L’Insee a publié, le 10 novembre dernier une étude sur le jour de carence dans la fonction publique de l’Etat. Instauré dans la fonction publique entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2014, le jour de carence est un dispositif consistant à ne pas rémunérer un fonctionnaire dès son premier jour de congé lié à un arrêt maladie, et ayant pour but de limiter l’absentéisme dans la fonction publique.

François Ecalle

François Ecalle

François Ecalle est ancien rapporteur général du rapport annuel de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques ;  ancien membre du Haut Conseil des finances publiques, Président de FIPECO et fondateur du site www.fipeco.fr sur les finances publiques.

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Quel est l’intérêt d’un tel dispositif ? Le public est-il plus touché que le privé par l’absentéisme ? Eléments de réponse de François Ecalle, ancien rapporteur général du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques et président de l’association Fipeco. 

L'absentéisme public est-il plus ou moins important que l'absentéisme privé ? Comment expliquer la différence ? 

Je limiterai ma réponse à l’absentéisme pour raison de santé, au cœur de l’actualité du fait du rétablissement du jour de carence dans le secteur public. Selon le rapport de 2017 sur l’état de la fonction publique, 4 % des fonctionnaires ont été absents pour raison de santé au moins un jour au cours d’une semaine de référence en 2016, contre 3,8 % des salariés du secteur privé. Ce taux d’absence est plus élevé dans les fonctions publiques territoriale (5,1 %) et hospitalière (4,7 %) que dans celle de l’Etat (3 %)

Ces statistiques, tirées des réponses des ménages à l’enquête de l’Insee sur l’emploi, sont les plus fiables pour comparer chaque année les absentéismes public et privé. Une enquête moins fréquente sur les conditions de travail apporte des informations complémentaires. Elle montre que 33 % des fonctionnaires ont eu au moins un arrêt de travail pour maladie en 2013, avec peu d’écarts entre les trois fonctions publiques, contre 28 % dans le secteur privé. La durée de ces arrêts est toutefois plus faible dans le public, en grande partie du fait des enseignants.

Selon des sources moins homogènes (bilans sociaux notamment), le nombre moyen de jours d’absence pour raison de santé dans l’année est de 12,3 dans les services de l’Etat, de 22,4 dans les collectivités locales et de 22,7 dans les hôpitaux (personnel non médical ; 5,6 pour le personnel médical), en 2012, 2013 ou 2015 selon les secteurs. Le cabinet Ayming fait état de 16,6 jours d’absence dans le secteur privé en 2015, toutes raisons confondues. Il n’est cependant pas sûr que ces chiffres soient comparables.

Ces différences entre les taux d’absentéisme peuvent résulter des caractéristiques moyennes des agents de chaque secteur au regard de facteurs tels que les conditions de travail, l’âge, le sexe, l’état de santé, le niveau de formation… En exploitant avec des méthodes économétriques les données de l’enquête sur les conditions de travail en 2013, la direction générale de l’administration et de la fonction publique a estimé l’impact de chacun de ces facteurs. Elle en a conclu que, toutes choses égales par ailleurs c’est-à-dire en neutralisant l’impact de tous ces facteurs, la probabilité d’avoir au moins un arrêt de travail dans l’année est supérieure dans le secteur public à celle observée dans le secteur privé, de 6 % dans les hôpitaux, de 29 % dans les services de l’Etat et de 43 % dans les collectivités locales.

Il existe donc des particularités de la fonction publique, autres que les facteurs retenus dans cette analyse, qui ont pour effet d’y accroître significativement l’absentéisme par rapport au secteur privé. Je pense, sans pouvoir le démontrer, que les salariés du privé craignent que les arrêts de travail n’aient un impact négatif sur leurs primes et leur avancement, voire augmentent le risque de licenciement, quand bien même ce serait illégal. Les fonctionnaires ont bien moins de raisons de le craindre, surtout dans les collectivités locales, ce qui peut conduire à des arrêts injustifiés plus nombreux.

Comment analysez-vous les résultats de l’étude de l’Insee sur le jour de carence de la fonction publique d'Etat ?

Un jour de carence a été instauré dans la fonction publique le 1er janvier 2012 et supprimé le 1er janvier 2014. Sur la base de l’enquête emploi, l’Insee a comparé le pourcentage d’agents absents pour raison de santé dans la fonction publique d’Etat et le secteur privé avant, pendant et après la période d’application du jour de carence. Il en ressort que celui-ci n’a pas eu d’impact sur le nombre total d’agents absents mais a entraîné une forte baisse du nombre d’agents absents deux jours, compensée par une forte hausse de ceux absents entre une semaine et trois mois.

Ces résultats ne sont pas faciles à interpréter. Je ne vois pas bien pourquoi la baisse est concentrée sur les absences de deux jours et non sur celles d’une journée. L’Insee avance plusieurs explications possibles à la hausse des absences longues mais sans les valider : les agents pourraient prolonger la durée des arrêts longs pour être sûr de leur rétablissement et ne pas risquer un arrêt court non indemnisé ; la réduction des arrêts courts pourrait avoir dégradé leur santé et ainsi entraîné plus d’arrêts longs ; l’augmentation des arrêts longs pourrait traduire une réaction d’hostilité des agents à une mesure considérée comme injuste.

Les raisons invoquées par les auteurs de cette étude pour l’avoir limitée à la fonction publique d’Etat ne sont pas très convaincantes, alors que celle-ci est bien moins touchée que les deux autres par l’absentéisme. Environ 40 % des fonctionnaires de l’Etat sont des enseignants, qui ne se déclarent pas nécessairement absents pour raison de santé pendant les congés scolaires ou leurs jours de travail à domicile, ce qui peut expliquer le faible absentéisme mesuré dans les services de l’Etat.

Il reste que ces effets de la journée de carence estimés par l’Insee - globalement faibles et de sens opposés sur les absences courtes et longues - sont semblables aux résultats des études réalisées dans d’autres pays, comme la Suède, ou par le service statistique du ministère des affaires sociales sur les salariés du secteur privé (où le délai de carence varie selon les branches et les entreprises). Ils paraissent donc assez solides.

Quelles peuvent être les autres alternatives pour diminuer l'absentéisme dans le secteur public ?

Les absences pour raison de santé sont surtout dues à des problèmes de santé et les conditions de travail peuvent être adaptées pour contribuer à améliorer l’état de santé des agents.

Il faudrait également réduire les absences injustifiées. Dans un rapport de 2015 sur la masse salariale de l’Etat, la Cour des comptes note qu’une expérience de contrôle des arrêts de travail des fonctionnaires a mis en évidence un taux d’arrêts injustifiés de 5 %. Ces contrôles pourraient être plus fréquents.

S’il faut sans doute redonner plus de sens au service public et à l’action des fonctionnaires pour limiter leurs absences non justifiées par une réelle cause médicale, il faudrait également que les primes et les avancements soient moins automatiques et dépendent plus de leur manière de servir. Il faudrait enfin s’interroger sur le comportement des médecins face aux demandes d’arrêt de travail, mais ce sujet est plus large et plus difficile que l’absentéisme des fonctionnaires.

Initiallement publié par l'Institut Montaigne

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