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Les establishments allemand et européen parviendront-ils à sauver une Angela Merkel à bout de souffle ?
©John MACDOUGALL / AFP

Un pas en avant, ou deux en arrière ?

Tout plaide pour un retour au clivage droite/gauche en Allemagne, mais la classe politique, les médias et les milieux industriels ont décidé qu’il valait mieux une opération de soutien à une Angela Merkel usée que l’incertitude d’un processus électoral prolongé.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Alors que la perspective d'une grande coalition paraissait écartée, suite à l'arrêt des tractations d'une coalition "jamaïcaine", les sociaux-démocrates ont fait volte-face en ouvrant la porte à une telle solution, notamment pour éviter la tenue de nouvelles élections. Comment comprendre cette décision ? Qui en sont les instigateurs ?

Edouard Husson : Depuis dimanche dernier, les milieux dirigeants allemands et européens sont fébriles. Ils redoutent de nouvelles élections en Allemagne. D’abord parce que les sondages sont mauvais pour la CDU et le SPD. Ensuite parce que le processus constitutionnel serait tel que de nouvelles élections ne peuvent pas se dérouler avant le mois de mars. A Berlin, à Bruxelles, à Paris, c’est la quasi-panique : sans gouvernement allemand, l’Europe ne fonctionne plus. Au secours, le Brexit pourrait bien se passer ! Tous les appels à la responsabilité ne doivent pas faire illusion : nous voyons un intérêt de classe s’exprimer et préférer le maintien au pouvoir d’une chancelière usée, sans plus aucun ressort, à une situation d’incertitude prolongée. Là-dessus vient se greffer un trait profond de la culture allemande. Les Allemands ont horreur de ce qu’ils ne peuvent pas planifier. S’engager dans un nouveau processus électoral comprend tellement d’incertitudes que la majorité des Allemands préfèrent une Grande Coalition ou toute autre combinaison laborieusement construite à une plongée dans l’inconnu... démocratique. Comme en novembre 1918, le SPD s’apprête à jouer le rôle que l’oligarchie attend de lui plutôt que de prêter son concours au renforcement de la démocratie. En 1918-1919, Ebert, le chef du parti social-démocrate, a passé alliance avec l’Etat-Major de l’armée allemande pour réprimer le parti socialiste indépendant, pacifiste et démocrate ; plutôt que de profiter de la défaite militaire pour se débarrasser de dirigeants déconsidérés. Eh bien, un siècle plus tard, Schulz s’apprête à répéter la trahison d’Ebert.  Il préfère l’alliance de son partie avec l’oligarchie européenne plutôt que de nouvelles élections qui seraient l’amorce d’un renouveau démocratique.

Quelles pourraient en être les effets sur Angela Merkel et sur la politique allemande des prochaines années ?

Angela Merkel est finie politiquement. En s’accrochant au pouvoir comme elle le fait, elle s’apprête à n’être plus que le pantin des intérêts qui l’auront maintenue en survie politique artificielle. Si une nouvelle grande coalition se met en place, sortez vos mouchoirs tant nous serons confrontés au pathos des milieux dirigeants ; l’auto-congratulation par médias interposés sera à la hauteur de la grande peur qu’ils auront éprouvée auparavant. On nous vantera le sens de la responsabilité de M. Schulz ; la sagesse de tous ceux qui auront contribué à sauver l’Europe et le soldat Macron. En fait, c’est le contraire qui se passera, à terme. Par instinct de survie, le SPD avait d’abord pensé rester dans l’opposition. C’était très sage pour un parti qui faisait encore 35% sous Schröder et qui est tombé à 20%, usé par deux Grandes coalitions depuis 2005.

A présent, le parti est rentré dans la spirale du déclin électoral. La CSU aussi a beaucoup à perdre. Les sociaux-démocrates ne devraient pas défendre une position très différente que les Verts sur l’accueil des réfugiés. Donc le parti bavarois devrait signer un nouveau compromis qui l’éloigne encore un peu plus de sa base. Seuls les libéraux ont compris ce qui est en jeu : le retour d’un vrai débat entre droite et gauche ; c’est-à-dire l’abandon de la méthode Merkel consistant à picorer un peu partout des idées et à les faire porter par une coalition la plus large possible entre la droite et la gauche.

D'un point de vue européen, et au regard des ambitions européennes d'Emmanuel Macron, que peut on anticiper si une telle solution venait à se matérialiser ?

Emmanuel Macron a tout misé sur le succès d’Angela Merkel et son soutien à ses projets européens. Je fais pour ma part le pari d’une poussée de propagande en deux temps, en admettant qu’une Grande Coalition se forme. D’abord, la plupart des commentateurs français se réjouiront et expliqueront que le plan de Macron est préservé par le sens de la responsabilité de la classe politique allemande – ah ! Mon bon Monsieur, si seulement nous étions un peu plus allemands dans nos réflexes !... ; puis le gouvernement allemand, laborieusement constitué, décidera que le plan français n’est pas viable parce qu’au préalable Emmanuel Macron n’a pas vraiment assaini la situation budgétaire française. Et là, les mêmes commentateurs français deviendront un choeur de tragédie grecque, s’apitoyant sur Macron, qui avait tellement bien pensé le moteur franco-allemand et l’Europe mais qui n’a pas le peuple qu’il mérite, incapable de suivre le « modèle allemand ». 

A la vérité, se joue en Allemagne la même lutte entre oligarchie et démocratie que celle à laquelle nous avons assisté en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, en France en 2016-2017. Madame Merkel a perdu beaucoup de soutiens suite à l’ouverture totale des frontières aux réfugiés des guerres du Proche-Orient et d’Afrique. Non pas que la société allemande n’ait pas été remarquable dans sa capacité d’accueil. Mais le nombre des personnes à intégrer sur une période aussi courte excède les capacités d’une société, même aussi moderne et riche que l’Allemagne. Les Allemands ont eu l’impression que leur chancelière les avait laissés tomber. Et puis ils ont constaté que leurs médias préféraient soutenir Madame Merkel que décrire les difficultés de l’intégration au quotidien. Nous sommes dans un contexte où les inégalités se creusent ; où la puissance publique n’investit plus depuis des années dans les infrastructures. Les deux grands partis de gouvernement, chrétiens- et sociaux- démocrate, ont perdu une bonne moitié de leur électorat ; les Verts et les Libéraux savent que leur score dépend de leur capacité à formuler des positions politiques claires. Le symptôme de la crise politique le plus fort a été la percée des populistes de l’AfD.

Visiblement l’Allemagne s’apprête, comme la France - et à la différence de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis - à confirmer le choix de l’oligarchie plutôt que d’accepter de prendre le risque d’un renouveau démocratique si de nouvelles élections avaient lieu. Je veux dire par là que l’alliance au centre des partis de gouvernement est à terme mortifère pour la démocratie. On peut regretter le Brexit mais pour autant se réjouir de ce que la Grande-Bretagne revient, depuis lors, à un débat en profondeur entre conservateurs et travaillistes. On peut détester Trump mais espérer que le parti démocrate trouvera le moyen de se reconstituer comme grand parti d’opposition. Eh bien ! Ce qui se joue en Allemagne et en France est du même ordre. Tout plaide pour un retour au clivage droite/gauche ; mais classe politique, médias, milieux industriels ont décidé qu’à Berlin il valait mieux une opération de soutien à Angela Merkel que l’incertitude d’un processus électoral prolongé.

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