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"Entre l’héritage et la conservation, il existe un lien étroit, éminemment politique"
©ALAIN JOCARD / AFP

Bonnes feuilles

Ce Dictionnaire du conservatisme évoque des hommes (De Gaulle ou Proudhon) comme des valeurs (Équilibre ou Honneur), des moments historiques (monarchie de Juillet ou Révolution) comme des institutions (Institut ou Sénat), des perspectives futures (développement durable ou transhumanisme) comme des mythes (Antigone ou Père). Extrait du livre "Le dictionnaire du conservatisme" de Christophe Boutin, Frédéric Rouvillois et Olivier Dard aux éditions du Cerf (1/2).

Olivier Dard

Olivier Dard

Olivier Dard est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-Sorbonne (Paris-IV), membre de l’UMR Sorbonne-Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe (CNRS UMR 8138) et coresponsable de l’axe 2 (épistémologie du politique) du LABEX « Écrire une histoire nouvelle de l’Europe » (EHNE). Spécialiste d’histoire politique, il a notamment publié La Synarchie. Le mythe du complot permanent, Perrin, 1998 ; Le Rendez-vous manqué des relèves des années 30, PUF, 2002 ; Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2005 ; Bertrand de Jouvenel, Perrin, 2008 ; Charles Maurras. Le maître et l’action, Armand Colin, 2013. Il a dirigé et codirigé une trentaine d’ouvrages collectifs consacrés principalement aux droites radicales en Europe et aux Amériques.

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Qu’est-ce donc que conserver, et pourquoi le faire, si tout est aboli et supprimé dès que l’on disparait ? Pourquoi s’acharner à construire, à maintenir, à préserver ce qui sera très bientôt perdu, ou confisque´ par l’Etat, sans que ses descendants, ses amis, ses disciples puissent obtenir la moindre parcelle de ce qui a été patiemment amassé ? Pourquoi, en ce cas, se projeter dans la durée et s’empêcher de tout de´penser au plus vite, en égoïste, sans limite ni discernement ? Entre l’héritage et la conservation, il existe donc un lien étroit, éminemment politique. Historiquement, c’est d’ailleurs au moment ou` l’on s’interroge sur la légitimité de l’héritage que nait aussi la notion de conservatisme au sens actuel du terme. Dans le Dictionnaire politique de Garnier-Pages paru en 1842, c’est l’avocat saint-simonien Elias Regnault qui, après s’être chargé du mot « conservateur » – défini très péjorativement comme le « nom adopté par les ennemis du progrès social » qui prétendent « introduire l’éternité dans les choses humaines » – rédige aussi l’entrée « hérédité ». Car comment dissocier l’un de l’autre ? Regnault, quoi qu’il en pense au fond, ne peut se permettre d’attaquer bille en tête. Il commence donc par reconnaitre, en des termes que pourraient reprendre ses ennemis conservateurs, que le sentiment de la sociabilité humaine ne serait qu’une vaine abstraction, un fait impuissant s’il n’était complété par le sentiment de la perpétuité. Il faut que le lien qui unit entre eux les hommes contemporains d’une e´poque unisse aussi entre elles toutes les époques ; il faut que l’homme soit en communion d’esprit et de pense´e, non seulement avec les choses du présent, mais avec celles du passe´ et de l’avenir ; qu’il reçoive en naissant la somme des richesses intellectuelles et matérielles qui l’entourent et, qu’en mourant, il le` gue a` ceux qui viennent après lui ses richesses accrues et développées : c’est le phénomène social que l’on appelle l’hérédité.

Celle-ci, reconnait encore Regnault, « perpétue les destinées humaines sans jamais leur permettre de s’interrompre, sans jamais égarer une parcelle des trésors accumulés pendant la durée des âges. L'hérédité, [...] c’est l’immortalité sur la terre » – autrement dit, on l’a noté, ce qu’il reproche aux conservateurs de vouloir de´fendre. Mais Regnault n’en reste pas la` . Et après avoir reconnu le rôle civilisateur de l’héritage, il renverse la perspective, et constate qu’en France, la nation « la plus avance´e dans cette question sociale », la Révolution a e´te´ « une protestation solennelle » contre l'hérédité. Elle l’a été dans l’ordre politique et administratif, avec la suppression des privilèges puis de la monarchie héréditaire, dans l’ordre culturel avec la volonté d’abolir les traces d’un passé obscur et voué à l’oubli, et même dans l’ordre patrimonial. Sur ce plan, les premiers pas ont été la suppression du droit d’ainesse et de la liberté de tester, qui morcelle et divise les propriétés a` chaque succession : « progrès immense en morale ! », estime Regnault – tandis qu’à l’inverse Balzac, dans son Traite´ du droit d’ainesse publié en 1824, plusieurs années avant son ralliement au légitimisme, voit au contraire dans cette liberté « le gage assuré du bonheur des individus et des familles », et dans sa suppression « l’avenir menaçant d’une révolution nouvelle » (Balzac, Œuvres complètes, Paris, Michel Lévy, 1873, t. XXII, p. 3). Ainsi, c’est « dans l'intérêt de (la) conservation » qu’il serait a` propos de la rétablir.

Extrait du livre "Le dictionnaire du conservatisme" de Christophe Boutin, Frédéric Rouvillois et Olivier Dard aux éditions du Cerf 

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