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Contrebande et contrefaçon : des ravages insoupçonnés
©Reuters

Mauvais pour la santé

Non limitée aux vêtements et produits de luxe, la contrefaçon concerne aussi et surtout des produits de consommation courante. Les très lucratifs marchés parallèles des médicaments, des boissons ou encore des cigarettes font courir des risques vitaux aux consommateurs, le plus souvent à leur insu. Face au danger sanitaire et aux répercussions économiques qui se chiffrent en milliards d'euros, entreprises et États commencent à s'organiser contre le phénomène.

Le 25 septembre dernier, Interpol a saisi 25 millions de médicaments contrefaits lors d'une opération record, qui s'est déroulée simultanément dans 123 pays. Près de 400 personnes ont été arrêtées pour une valeur de marchandise dépassant les 51 millions de dollars, parmi lesquelles se trouvaient des compléments alimentaires, des antalgiques, des antiépileptiques, des antipsychotiques, mais aussi des implants dentaires, des seringues, des bandelettes de test médical ou encore du matériel chirurgical. Chaque année, la contrefaçon de médicaments tuerait 700 000 personnes dans le monde, selon l'OMS.

Le business des médicaments illicites ne s'est jamais aussi bien porté. Il faut dire qu'il rapporte énormément : avec 200 000 à 400 000 euros de bénéfices pour 1 000 euros d'investissements, la contrefaçon de produits de santé serait 10 fois plus rentable que le trafic d'héroïne, tout en étant beaucoup moins pénalisée, selon l'Institut de recherche anti-contrefaçons de médicaments (Iracm). Mais d'autres produits de consommation courante font aussi l'objet d'un marché parallèle d'ampleur mondiale.

Dans ce domaine, les alcools, et en particulier les spiritueux, sont sujets à de nombreuses imitations, qui entraînent régulièrement la mort d'amateurs de vodkas, cognacs et autre whiskys bon marché. Dans le nord de la France, plus de 150 000 litres de spiritueux de contrebande ont ainsi été saisis depuis 2010. Ces produits proviennent majoritairement de Chine, de Russie et d'Inde. Mais le phénomène touche surtout les destinations prisées par des touristes en quête de boissons à prix cassés, comme Bangkok, La Havane, Prague ou encore Bali, où l'alcool frelaté coulerait à flot. L'été dernier à Cuba, un rhum chargé de méthanol aurait ainsi envoyé 11 personnes au cimetière et 60 autres aux urgences...

Autre cible de trafics bien connu : les cigarettes, que l'on peut acheter à deux euros le paquet à la sortie du métro nord-parisien, alors même qu'Édouard Philippe envisage de passer le prix légal à 10 euros. La France est championne d'Europe du commerce parallèle de tabac : 27,1 % de la consommation totale serait issue du marché parallèle (contrefaçon, contrebande et achats à l'étranger).

Quelles solutions pour lutter contre les trafics ?

Outre les risques sanitaires, les contrefaçons représentent un important manque à gagner pour les entreprises, qui font parfois face à des productions industrielles de produits illicites. En 2013, la Scotch Whisky Association a dépensé près de 2 millions d'euros de frais de justice pour lutter contre la contrebande de whisky. En Chine, la contrefaçon de vins français a atteint un tel niveau qu'elle représenterait plus de la moitié des bouteilles consommées. « C'est quasiment une coutume admise », déplore Aymeric de Clouet, expert en vin auprès de la Cour d'appel de Paris. Et cela ne cesserait d'empirer, privant les entreprises françaises de millions, voire de milliards d'euros de chiffre d'affaires.

Pour l'industrie pharmaceutique, les pertes liées au trafic de médicaments contrefaits s'élèveraient à 3 % des revenus annuels, soit plus d'un milliard d'euros en France et 10,2 milliards en Europe, selon l'Office de l'Union européen pour la propriété intellectuelle (EUIPO). Ce manque à gagner serait responsable de la perte de 3 667 emplois directs chaque année dans l'Hexagone et même 9 212 en comptant les répercussions indirectes sur les autres secteurs d'activités. Au niveau mondial, le marché de la contrefaçon de médicaments pèserait tout de même entre 75 et 200 milliards de dollars. Tous secteurs confondus, il s'élèverait entre 600 et 1000 milliards d'euros.

Le manque à gagner est donc colossal, aussi, pour les États, qui ne perçoivent pas de taxes sur la vente illégale de ces produits. En France, la contrebande de cigarettes priverait le fisc de plus de 2 milliards d'euros de recettes annuelles. Et en Europe, les trafics en tout genre  seraient responsables de 14,3 milliards d'euros de pertes fiscales, selon les très prudentes estimations du Conseil économique et social européen (Cese), avec 800 000 emplois en moins à la clé.

Face à l'ampleur du phénomène, entreprises et États commencent à prendre des mesures pour tenter de faire reculer ces pratiques. En France, le Conseil interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) s'est récemment associé à la douane pour créer un dispositif de marquage garantissant l'origine et la traçabilité des vins. Bien que relativement préservé par le monopole des pharmacies, le marché français du médicament s'arme également contre les trafics. À Tours, Sanofi s'est ainsi doté d'un laboratoire anti-contrefaçon spécialement dédié à l'analyse des produits suspects. En matière de tabac aussi, la lutte contre le marché parallèle s'organise avec le projet de suivi et de traçage des produits du tabac lancé par la commission européenne.

Confié à chaque État-membre de l'UE, le marquage des paquets devra être assuré par des entreprises indépendantes de l'industrie du tabac. Pour limiter les risques de conflits d'intérêt, les sociétés retenues ne pourront tirer plus de 20 % de leurs revenus du secteur cigarettier. Reste que le lobby du tabac s'activerait en coulisses pour que cette indépendance, réclamée par l’OMS, soit purement cosmétique. Le Comité national contre le tabagisme (CNTC) et l’Alliance contre le tabac pour la France regrettent ainsi que les dispositifs de sécurité prévus par la directive européenne ne permettent pas, en l’état, d’assurer une réelle indépendance vis-à-vis de l’industrie du tabac. Un problème, sachant que les fabricants sont accusés de suralimenter les pays où le tabac est le moins cher afin de contourner la fiscalité plus contraignante de pays comme la France, ce qu’ils devraient continuer de faire en l’absence de dispositif de traçabilité indépendant. 

Une harmonisation européenne alignée sur le Protocole de l’OMS, qui impose que les missions de traçabilité soient sous le contrôle des autorités publiques et non déléguées à l’industrie du tabac, s'avère nécessaire. Le projet de directive actuel semble davantage s’escrimer à mettre au profit des cigarettiers la relative imprécision sémantique de ce Protocole pour mieux le détourner, jouant sur la lettre pour mieux travestir l’esprit. On peut le regretter, puisqu’il en va de la santé des citoyens européens, mais aussi de la collecte de recettes fiscales sur lesquelles devraient continuer de s’assoir encore un moment les Etats membres.

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