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“Je ne suis pas le père Noël” : Emmanuel Macron ou le bonapartisme mal maîtrisé
©LUDOVIC MARIN / AFP

Bégaiement de l'Histoire

Le lien entre Emmanuel Macron et Bonaparte se voit dans des détails personnels presque anecdotiques (une femme plus âgée, par exemple), mais aussi dans des considérations plus politiques, par exemple dans la méthode appliquée dans la conquête du pouvoir.

Jean-Dominique Merchet

Jean-Dominique Merchet

Jean-Dominique Merchet est journaliste à L'Opinion. Il a travaillé pendant vingt ans sur les questions militaires.

Auteur du blog Secret Défense, il a récemment publié Une histoire des forces spéciales (Jacob-Duvernet / 2010) et de La mort de Ben Laden (Jacob-Duvernet / 2012).

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Atlantico : Vous décrivez dans votre livre Macron-Bonaparte les grandes proximités qui unissent ces deux chefs d'états à plus de 200 ans d'écarts, à commencer par leur ambition à la Rastignac, qui les poussa très jeunes et contre les présages à atteindre le sommet de l'Etat. Qu'est-ce qui fait qu'il y a du Napoléon Bonaparte en Emmanuel Macron ?

Jean-Dominique Merchet : Il y a un élément de biographie et un élément de contexte politique. L'élément de biographie c'est deux aventures personnelles romanesques de jeunes gens qui ne sont pas prédisposés à l'origine à devenir des chefs d'état, et qui arrivent très vite au premier plan. Bonaparte a 30 ans quand il devient premier consul et Emmanuel Macron a 39 ans quand il devient président de la république ; quelques années avant, ils n'étaient pas connus. Il y a aussi des éléments anecdotiques comme le fait qu'ils se soient mariés tous les deux mariés à des femmes plus âgées qu'eux, qu'ils dorment peu, qu'ils ont tous deux une grande énergie, ou encore qu'ils viennent de la gauche tout en étant en même temps des hommes d'ordre.

L'élément de contexte politique c'est la crise politique. Bien sûr le contexte du directoire avec la Révolution, la terreur et la guerre est beaucoup plus dramatique que celui que l'on traverse. Mais il y a néanmoins une classe dirigeante politique qui n'arrive plus à tenir les rênes d'un pays et qui est contestée, et sur sa droite, et sur sa gauche. Cette classe dirigeante est contestée à l'époque de Bonaparte par les royalistes et les jacobins et elle est contestée aujourd'hui, pendant la période des élections présidentielle par exemple, par Marine Le Pen et par Jean-Luc Mélenchon. Les équipes dirigeantes au fond s'entendent donc pour faire un gouvernement au centre et confier les rênes à une nouvelle personnalité. C'est comme dans le roman puis le film le Guépard : si on veut que tout reste comme avant il faut que tout change. Si on ne veut pas la révolution in la réaction, si on ne veut ni l'extrême gauche ni l'extrême droite, il faut que le personnel change, il faut que les anciens partis changent. Le phénomène Macron c'est la rencontre d'une aventure individuelle assez romanesque (et lui la vit de cette manière) et d'un contexte politique.

Il y a aussi une question de caractère et d'obsession de l'autorité…

Ce qui est frappant chez Macron quand on lit ce qu'il a écrit avant de devenir candidat et donc lorsqu'il dit la vérité de ce qu'il pense sans rentrer dans des éléments de langage propre à une campagne et des éléments de langage qui sont ceux d'un président de la République, on se rend compte qu'il a une vision fondamentalement monarchique du pouvoir : ce qu'il manque à la démocratie française c'est la figure du roi, et il faut donc la combler. Depuis Napoléon puis Charles De Gaulle dit-il, elle n'a jamais été comblée. Il s'inscrit donc dans une tradition intellectuelle assez monarchique. Lui-même fait référence à l'épisode napoléonien dans une interview au Figaro magazine. C'est une conception monarchique du pouvoir, très verticale, il le dit, il l'assume, "je suis votre chef " comme il l'a dit assez maladroitement aux militaires cet été. Il a cette conception très autoritaire du pouvoir. Il y a un chef, légitime parce qu'élu, sans logique de contre-pouvoir. C'est un homme d'ordre même s'il vient de la gauche.

 Mais le macronisme est-il pour autant un bonapartisme, l'un des trois grands courants de droite selon la séparation classique ?

Cette vision de René Rémond sur la tripartition de la droite entre bonapartisme orléaniste et légitimiste est totalement obsolète depuis le milieu du vingtième siècle. Elle est vrai pour le 19ème, elle ne l'est pas pour le 20ème et donc encore moins aujourd'hui. Je ne parle pas de bonapartisme pour Macron. Mon analyse se porte d'ailleurs sur sa conquête et sa conception du pouvoir plus que sur son exercice (il est trop tôt pour le savoir). Une des similitudes c'est que dans le bonapartisme il y a une volonté de punir des idées de droite et de gauche. C'est la réconciliation de deux France, la France de l'ancien régime avec la Révolution. On maintient la révolution mais on rétablit l'ordre. Napoléon III a ce quelque chose d'autoritaire et mène en même temps des politiques assez progressistes. C'est une alliance des contraires que l'on va retrouver dans le gaullisme aussi, par exemple, que l'on ne peut pas non plus réduire à une famille de la droite. Sous la restauration le bonapartisme est de gauche. C'est en fait la réunion d'idées de droite et d'idées de gauche. On retrouve cela dans le bonapartisme, dans le gaullisme et dans le macronisme, si l'on peut parler de macronisme.  

Quelles sont les limites de cette comparaison ? Où est-ce que Macron n'est plus Napoléon ?

Les limites de cette comparaison sont nombreuses : la différence des époques d'abord. L'arrivée de Bonaparte au pouvoir se situe dans un moment historique très important, après la Révolution, la guerre. Le contexte aujourd'hui n'a pas cette dimension dramatique et tragique, il n'y a pas de morts. C'est la principale différence. Comparaison n'est pas raison ? C'est juste. Mais comme écrit aussi un certain écrivain allemand : penser c'est comparer. On peut comparer, cela nous éclaire. Il faut simplement savoir les différences de contexte. L'autre limite de la comparaison c'est que l'on connaît la fin de l'Histoire pour Napoléon, Emmanuel Macron, non. Mon livre ne peut parler que de ce s'est passé jusqu'à présent, c'est-à-dire du surgissement d'un candidat et de sa victoire a priori assez inattendue.

Aujourd'hui, on est au départ de quelque chose. Il n'y ni la guerre ni révolution mais manifestement le jeune président marque les esprits pour le moment, en France comme à l'international. Et tout Macron n'est pas dans Bonaparte et tout Bonaparte n'est pas dans Macron.

La récente déclaration d'Emmanuel Macron en Guyane sur l'inflexibilité de sa politique peut-aussi être très mal vue. Napoléon aurait-il parlé ainsi au peuple, avec tant de maladresse ?

L'image de Bonaparte puis de Napoléon correspond aujourd'hui à celle qui s'est construite bien après sa mort et qui correspond à une légende presque. Quand Bonaparte est arrivé le 18 brimaire, les sentiments étaient contrastés. Il n'a pas fait l'unanimité et il a bâillonner ses opposants. Aujourd'hui, on n'est pas dans un régime autoritaire mais dans une démocratie libérale. C'est une différence de taille. La dernière phrase de mon livre est la suivante : "le principal ennemi d'Emmanuel Macron c'est Emmanuel Macron lui-même". Le grand risque c'est ce sentiment de tout puissance qui peut l'emmener trop loin car il n'y a pas beaucoup de contre-pouvoir dans notre système. Certes il y a un système démocratique mais le président actuel a conjugué la puissance de l'institution de la 5ème République avec la force d'un homme dans un contexte d'affaiblissement des contre-pouvoirs. Et Emmanuel Macron gagne parce qu'il est séducteur et paradoxalement les gens, et notamment dans les classes populaires lui reproche son manque d'empathie, c'est ce qu'il se passe d'ailleurs en Guyane…

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