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Retour de la croissance : ces défis à relever pour ne pas (encore) gâcher un contexte économique au beau fixe pour la France
©Pixabay / RaphaelaFotografie

Boom !

​Forte baisse du chômage au mois de septembre selon la DARES, "Plus forte croissance de l’emploi depuis près de 10 ans et demi " selon Markit, l'économie française semble être dans une posture favorable en cette rentrée 2017,​ mais que doit elle faire pour en profiter pleinement ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Forte baisse du chômage au mois de septembre selon la DARES, "Plus forte croissance de l’emploi depuis près de 10 ans et demi " selon Markit, l'économie française semble être dans une posture favorable en cette rentrée 2017, et ce, dans un contexte global également favorable. Peut-on considérer que l'économie française exploite au mieux une configuration qu'elle n'a pas connue depuis les années 2000 ?

Jean-Yves Archer : L'économie des temps présents nous inflige frontalement une certitude : la notion de cycles économiques n'est pas dépassée. Avec 1,8% de croissance pour 2017, comme dirait l'incontournable, à force de paroles éparses et lassantes, François Hollande : " ça va mieux ". Effectivement, à part un euro un peu fort pour nos exportateurs, l'alignement des planètes se poursuit. Taux d'intérêt bas, prix contenus de l'énergie et reprise d'activité en zone euro sont des éléments favorables. Concernant la France, je suis plus dubitatif quant à l'amélioration du chômage. C'est une bonne nouvelle pour près de 70.000 personnes qui ont retrouvé le chemin de l'emploi mais il faut être très attentif à la notion de l'INSEE nommée le " halo " du chômage. Défini par l'INSEE  ( https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1415  ), ce concept doit voir sa définition lue attentivement. " La définition et la mesure du chômage est complexe et extrêmement sensible aux critères retenus. En effet, les frontières entre emploi, chômage et inactivité ne sont pas toujours faciles à établir (exemple d'un étudiant qui travaille quelques heures par semaine...).

Le Bureau international du travail (BIT) a cependant fourni une définition stricte du chômage, mais qui ignore certaines interactions qu'il peut y avoir avec l'emploi (travail occasionnel, sous-emploi), ou avec l'inactivité : en effet, certaines personnes souhaitent travailler mais sont « classées » comme inactives, soit parce qu'elles ne sont pas disponibles rapidement pour travailler (deux semaines), soit parce qu'elles ne recherchent pas activement un emploi. Ces personnes forment ce qu'on appelle un « halo » autour du chômage. " Certains recoupements d'antennes de Pôle emploi et une étude INSEE (https://www.insee.fr/fr/statistiques/2122738?sommaire=2122750   ) estiment que le " halo " du chômage frôlerait les 1.400.000 personnes en ce moment ce qui nuance, hélas, certains discours triomphalistes. La France est bien un pays où le chômage de masse est profondément incrusté d'autant que la durée moyenne au chômage est une des plus élevées d'Europe. Supérieure à un an en moyenne et supérieure à deux ans pour les plus de cinquante ans. Si l'investissement privé, qui avait été soutenu habilement par des règles fiscales de suramortissement jusqu'en avril 2017 est au rendez-vous, alors une sorte de " main invisible " cher à Adam Smith pourra réarmer notre pays sous une réserve : que nous sachions monter en gamme et proposer des produits de qualité.

Dans le tableau d'aujourd'hui, nul ne peut gommer notre lourd échec en matière de commerce extérieur.

Jean Paul Betbeze : Ouf ! Voilà un an que l’économie française va mieux. Et mieux encore : l’amélioration se poursuit, sinon s’accélère. Certaines prévisions sont même favorables jusqu’en 2019, avec 1,9% de croissance. Mais soyons francs : la France va mieux parce que le monde, malgré tout, va mieux. Il connaît une croissance synchrone entre pays émergents et avancés, dont les Etats-Unis et la zone euro. Cet « alignement » vient en large part de l’effet des politiques monétaires qui ont, partout, fait baisser les taux longs et soutenu la remontée des profits et des bourses. Cette reprise par les marges bénéficiaires se retrouve en France, où la baisse des taux d’intérêt, le CICE et la modération salariale ont joué conjointement. La part de l’excédent brut d’exploitation dans la valeur ajoutée est ainsi passée de 27,5% à 31,8%.

Pour exploiter au mieux cette situation, il faut d’abord dire (et répéter) que la vraie sortie de crise passera par une augmentation de la croissance potentielle. A 1,25% aujourd’hui, elle plombe en effet toutes nos solutions. A moyen terme, c’est donc l’offre qui fera la différence, par l’investissement, l’innovation, la formation et l’exportation. Les vents porteurs que sont les taux bas, l’inflation faible et l’euro stable, sinon faible par rapport au dollar, plus un pétrole pas cher, pourraient se prolonger. C’est donc maintenant qu’il faut en profiter.

En profiter, c’est d’abord ne pas gaspiller ces soutiens par une augmentation des dépenses publiques et surtout des salaires. L’augmentation des salaires profiterait en effet aux salariés dans les plus grandes entreprises, avec des compétences établies, au détriment des autres. L’objectif fondamental français est double : réduire la progression de la dépense publique, soutenir l’exportation. Si nos déficits jumeaux demeurent, nous gâchons cette configuration qui nous est si favorable pour bâtir une croissance plus forte et solide.

L’exploiter au mieux, c’est ensuite expliquer la stratégie d’ensemble à suivre, la même depuis des années, mais avec plus de chances de la réussir ! Cette stratégie, c’est un secteur public plus efficace, un secteur privé plus exportateur, avec l’idée d’en convaincre nos concitoyens, au-delà de ce qu’on entend sur le « Président des riches ». Il faudra des années, et l’amélioration actuelle de l’emploi en est la preuve la plus tangible, avec une amélioration des relations au sein des entreprises.

Ajoutons que deux éléments peuvent aider à court terme : la simplification des activités économiques dans les TPE-PME et le soutien aux services à la personne. Ce sont là deux sources d’emploi à court terme, qui renforceront le moral des entrepreneurs et des ménages. Dire que l’offre doit jouer un rôle moteur, ceci ne veut pas dire que la demande ne doit pas aider. Elle doit au contraire soutenir le mouvement, qui commence par l’offre et qui prendra des années. C’est cette logique offre-demande qu’il faut faire repartir, mais différemment. N’oublions pas que le chômage baisse certes, mais qu’il concerne encore 9,5% de la population, et que le taux d’activité (rapport entre le nombre d’actifs et l’ensemble de la population) est de 71,5% (77,6% en Allemagne). Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge !

Quelles seraient les décisions à prendre pour ne pas gâcher ce "moment" ? Entre réduire les déficits et l'endettement, un accompagnement de l'investissement, ou la mise en place de réformes profondes, quelles sont les priorités ? 

Jean-Yves Archer : Soutenir l'investissement en réintroduisant les règles de suramortissement d'autant plus requises que nous sommes dans une phase d'accélération de l'incorporation du progrès technique. Dommage que le PLF 2018 ne le fasse pas. Relancer la dynamique de la compétitivité hors-prix qui doit impérativement venir conforter la compétitivité par les coûts. Design, qualité intrinsèque, accessibilité de la maintenance, délais de livraison, niveau de gamme sont autant de paramètres à privilégier. Cela fait des années que des initiatives simples et fécondes comme " les Cercles de qualité " se sont diluées dans plein d'autres projets de management. Pour ne pas gâcher ce moment ( selon votre savoureuse expression ), il faut relancer la bataille de la production – y compris dans les services – et considérer que le PLF pour 2018 est déjà assez ambitieux en matière de reprise en main de la gestion publique. Dans l'idéal, il faudrait faire plus mais qui ne voit que cela aurait alors un rôle dangereusement contra-cyclique.

Pour les lecteurs intéressés, je ne peux que recommander de se rapprocher de la pertinente notion de corridor de Leijonhufvud et de l'école de la théorie du déséquilibre ( dont Edmond Malinvaud, longtemps directeur général de l'INSEE, fût un haut représentant en France ). http://www.cairn.info/revue-recherches-economiques-de-louvain-2014-2-p-111.htm Cette théorie établit des liens analytiques entre néo-classiques et keynésiens en recherchant les foyers microéconomiques explicatifs des déséquilibres macroéconomiques. Elle réfute surtout l'idée que la monnaie soit considérée à travers le seul prisme de sa fonction d'échange ce qui est essentiel en période de financiarisation de l'économie et de taux d'intérêt anormalement bas.

Jean Paul Betbeze : Il ne faut pas se tromper d’époque : nous sommes dans l’économie de la connaissance. Donc la formation, la digitalisation dans le public et dans le privé, doivent nous aider pour être plus efficaces. Ce sont ces nouveaux outils, avec une culture plus ouverte au changement, qui permettront d’avoir une croissance plus forte et pérenne, privée et publique. Les « réformes » ne sont pas la précarisation ou la fragilisation, comme on l’entend trop souvent, mais le passage mieux réparti aux progrès que permettent les nouvelles technologies. On peut ainsi s’assurer ou se soigner mieux, et pour moins cher. Il ne sert à rien de faire peur sur les emplois qui disparaissent, sans voir ceux qui se créent et surtout ceux qui se transforment.

Dans ce contexte, il semble important de revoir le système de rémunération par le salaire, et de passer à un ensemble plus complet, mettant en avant l’emploi dans la durée : salaire, plan de formation, intéressement, actions gratuites, complément de retraite, conditions de travail et suivi de santé. Les réformes profondes concernent la culture de et dans l’entreprise, à tous ses niveaux. Dans des économies de services comme les nôtres, elles seules feront la différence. Il faut donc que les règles et la fiscalité s’alignent avec ce projet.

Que peut faire le pouvoir politique pour permettre qu'un tel contexte puisse durer suffisamment longtemps pour permettre d'estomper les différents stigmates de la crise qu'a connu le pays au cours de ces dernières années ? Combien de temps la convalescence peut-elle encore durer

Jean-Yves Archer : Les prévisionnistes avisés sont globalement d'accord pour concevoir un retournement de conjoncture, aux Etats-Unis, à compter de l'été 2018 surtout si le Président Trump effectue des nominations hasardeuses à la FED. Autrement dit, à horizon de l'hiver 2018, la situation conjoncturelle de l'Europe pourrait bien vaciller et quitter sa dynamique présente. Retrouverons-nous un régime de croisière ou serons-nous happés par une nouvelle crise est la question-clef ? Si l'on prend la première hypothèse, je redoute que notre pays demeure caractérisé par un chômage de masse en comparaison de la situation de nos partenaires. En clair, la convalescence sera longue n'en déplaise à certains esprits plongés dans une euphorie qui finit par être politiquement suspecte. Il y a un lien entre le destin d'Icare et celui des économistes qui fréquentent excessivement les allées du pouvoir…

Jean Paul Betbeze : Le pouvoir politique ne doit surtout pas relâcher son effort parce « la situation est meilleure » : il doit au contraire en profiter pour aller plus vite ! L’économie française, comme toutes les autres d’ailleurs en zone euro, est en profonde transformation. Regardons nos modes de vie, de consommation, de lecture, de loisir, avec Apple, Internet et Facebook ! Cette économie doit donc corriger son vieux refus du changement, avec la montée des emplois publics payés par le déficit et la dette. Ceci prendra dix ans ! Mais au moins la digitalisation et la pyramide des âges vont aider. Elle doit ensuite gérer les stigmates de la crise récente avec la montée du chômage, à réduire. On voit que ceux qui viennent d’entrer au chômage, les plus jeunes, les mieux formés, s’en sortent les premiers. Les politiques de formation et d’apprentissage vont devoir former les séniors, ce qui ne sera pas le plus rapide. C’est pourquoi il faut mettre en place des « victoires rapides », en soutenant spécifiquement les services à la personne, qui peuvent créer rapidement 200 000 emplois (en une année) et voir précisément ce qu’il en est des 200 000 emplois offerts et non pourvus (selon la Dares). Pour s’en sortir, il y a une part de convalescence, certes, mais aussi de mutation ! Il ne faut pas en avoir peur, tout faire pour la faciliter, et d’abord décrire ce monde nouveau qui s’ouvre, pour nous.

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