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Libéral, pro-riches, rigoureux... ou pas ? Voilà à quoi ressemble le PLF 2018 passé au crible de la comparaison avec le budget de nos voisins
©REUTERS/Jacky Naegelen

L'assiette du voisin

Mardi 24 octobre, le PLF 2018 a été adopté dans sa première partie. Au programme, dégrèvement de la taxe d'habitation et contractualisation sur la baisse des dépenses des collectivités.

Pascal de Lima

Pascal de Lima

Pascal de Lima est un économiste de l'innovation, knowledge manager et enseignant à Sciences-po proche des milieux de cabinets de conseil en management. Essayiste et conférencier français  (conférences données à Rio, Los Angeles, Milan, Madrid, Lisbonne, Frankfort, Vienne, Londres, Bruxelles, Lausanne, Tunis, Marrakech) spécialiste de prospective économique, son travail, fondé sur une veille et une réflexion prospective, porte notamment sur l'exploration des innovations, sur leurs impacts en termes sociétaux, environnementaux et socio-économiques. Après 14 années dans les milieux du conseil en management et systèmes d’information (Knowledge manager auprès de Ernst & Young, Cap Gemini, Chef Economiste-KM auprès d'ADL et Altran 16 000 salariés, toujours dans les départements Banque-Finance...), il fonde Economic Cell en 2013, laboratoire d’observation des innovations et des marchés. En 2017, il devient en parallèle Chef Economiste d'Harwell Management.

Diplômé en Sciences-économiques de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (PhD), de Panthéon-Sorbonne Paris 1 (DEA d'économie industriel) et de Grandes Ecoles de Commerce (Mastère spécialisé en ingénierie financière et métiers de la finance), il dispense actuellement à Sciences-po Paris des cours d’économie. Il a enseigné l'Economie dans la plupart des Grandes Ecoles françaises (HEC, ESSEC, Sup de Co, Ecoles d'ingénieur et PREPA...).

De sensibilité social-démocrate (liberté, égalité des chances first et non absolue, rééquilibrage par l'Etat in fine) c'est un adèpte de la philosophie "penser par soi-même" qu'il tente d'appliquer à l'économie.

Il est chroniqueur éco tous les mardis sur Radio Alfa, 98.6FM, et chroniqueur éco contractuel hebdomadaire dans le journal Forbes.

 

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Atlantico : Mardi 24 octobre, les députés ont adopté, à une large majorité, la première partie du PLF pour 2018, ainsi que le projet de loi de programmation des finances publiques. Les deux mesures phares - le dégrèvement massif de taxe d'habitation et la contractualisation sur la baisse des dépenses des collectivités - sont ainsi confirmées. Comment peut-on caractériser le budget français en le comparant aux budgets d'autres grandes nations, comme l'Allemagne, Italie, l'Espagne, le Royaume-Unis, ou les Etats-Unis) ?

Pascal De Lima : C’est un travail de comparaison extrêmement compliqué. Grosso modo il faudrait être capable de savoir si un pays est dans une phase basse du cycle économique ou haute puis voir ensuite si le budget est expansif ou restrictif. En règle générale on souhaite dans l’idéal que lorsque le cycle est haut, on s’autorise un peu plus d’économies, et à contrario lorsque le cycle est bas, il faudrait relancer pour ne pas étouffer la poule aux œufs d’or. Considérons un taux de croissance moyen sur la zone euro pour 2018 de 1,8%, des déficits de 1,5, et une dette de 89%, tout cela rapporté au PIB.

La croissance de la France devrait se situer entre 1,7 et 1,9% en 2018. On devrait donc s’attendre en période de reprises à plus d’économies or ce n’est pas le cas. L’occasion perdue de résorber les déficits. C’est une première chose que l’on peut dire. Ceci peut paraître de prime abord inquiétant car la France (avec l’Espagne) n’est toujours pas dans les clous de Bruxelles contrairement aux autres pays européens. Si l’on doit ajouter à cela qu’en gamme de production l’Espagne a d’ores et déjà rattrapé la France…enfin, aujourd’hui la France peut se vanter de taux d’intérêt nominaux des bonds à 10 ans < aux taux de croissance, la règle d’or pour que la croissance ne coûte pas trop chère à financer. Le sentier de dette est donc raisonnable même s’il reste élevé. Mais infine, si la croissance s’approche de la moyenne de la zone euro, le déficit et la dette restent supérieurs.

De l’Espagne parlons en car son rattrapage est impressionnant avec environ 3% de croissance en 2017 et 2,4 de prévision sur 2018. Un gros effort a été entrepris sur le déficit structurel c’est-à-dire hors conjoncture. Cependant comme la France, son déficit dépasse toujours les 3%. Aujourd’hui l’Espagne peut aussi se vanter de taux d’intérêt nominaux des bonds à 10 ans < aux taux de croissance. Le sentier de dette est donc raisonnable même s’il reste élevé. La situation est proche de celle de la France. Ici, l’Espagne surperforme la zone euro en termes de croissance mais pas en termes de déficit et de dette.

Pour l’Italie, avec une croissance aux alentours de 1% en 2017, le déficit approche chaque jour de l’équilibre et ce, malgré les tremblements de terre. L’Italie pourtant inquiète : ses taux d’intérêt nominaux des bonds à 10 ans > aux taux de croissance. Avec une dette publique dépassant déjà les 130% du PIB on a de quoi s’inquiéter sur l’avenir. Mauvais candidat de la croissance en zone euro, elle figure parmi les bons candidats en terme de déficit, mais en queue de peloton en termes de dette.

En Grande Bretagne, la croissance devrait se situer à 1,7% en 2018. Le déficit public aux alentours de 2,6%. En ces périodes de reprises, la GB même avec le Brexit (ou surtout) relance sa machine via des investissements publics, un coup de pouce aux ménages et des allègements fiscaux. Une politique, comme la France plutôt pro-cycle donc. Aujourd’hui la Grande Bretagne peut se vanter de taux d’intérêt nominaux des bonds à 10 ans < aux taux de croissance. Le sentier de dette est donc raisonnable.

En Allemagne, la situation est d’or, un équilibre parfait des comptes publics. On a l’habitude depuis des années de ne pas étouffer la croissance en pratiquant une politique économique contra-cyclique. On fait de la dépense lorsque les choses vont mal, on fait des économies lorsque tout va bien. C’est ce que l’Allemagne a fait. Evidemment les conditions structurelles étaient bonnes avec les lois Hartz de 2004. Il ne s’agit évidemment pas de répliquer les mêmes choses comme on l’entend ici et là mais de comprendre qu’une économie qui va mal doit être un peu sous perfusion et non pas quand elle va bien. De même que mettre une économie à la diète quand elle va mal n’amène pas à grand-chose si ce n’est sa fragilité grandissante…Aujourd’hui avec des excédents commerciaux colossaux, et un équilibre du budget digne des grandes orthodoxies, l’Allemagne peut se contenter de taux de croissance proches des 1,7%. Avec des taux à 10 ans proches de 0,3% on a de quoi voir l’avenir sereinement, le stock de dette avoisine les 68% du PIB, un miracle. Pourtant récemment, de lourds investissements dans la recherche et développement et même dans les logements sociaux ont été entrepris. Clairement le meilleur budget des pays de la zone euro, du moins en termes quantitatif.

Enfin, aux Etats-Unis, on a généralement l’habitude de dire que longtemps la politique budgétaire expansionniste était conjuguée à une politique monétaire restrictive disons jusqu’à la fin 2016. Ceci était comparé à la politique budgétaire toujours globalement restrictive en Europe, à l’inverse de sa politique monétaire clairement laxiste. C’est ceci qui aurait créé un différentiel favorable à la hausse du dollar. Les tendances semblent aujourd’hui amendées avec la hausse de l’euro. L’Europe n’est pas aussi restrictive et pas toujours au bon moment. La croissance devrait dépasser largement les 2% en 2018 mais avec des déficits publics proches de 3%. Plus récemment, les Etats-Unis sont devenus moins expansionnistes que prévu car le sentier de dette inquiète et les niveaux de croissance sont assez proches des taux de bonds à 10 ans. Difficile de faire respirer la croissance quand l’argent qu’on emprunte coute aussi cher. On doute du vote au parlement des dépenses en infrastructures et des baisses d’impôt pourtant promises par Donald Trump pendant les élections présidentielles. La dette avoisine déjà les 105% du PIB.

Alors que le projet français est régulièrement qualifié de "libéral", une telle comparaison avec ces pays a-t-elle pour effet de mesurer le propos ? 

Pour préciser un peu notre situation, la baisse des dépenses publiques dans le PLF 2018 s’élève à 15 milliards au lieu de 20. Par ailleurs la baisse des prélèvements ne sera pas de 10 milliards d’euros en 2018 comme le revendiquait le gouvernement mais bien de 6,6 milliards d’euros. Par ailleurs ce budget est étrange : des allègements fiscaux pour les plus aisés, la suppression de l’ISF et son remplacement par l'IFI (en espérant désinciter les rentes) et la flat tax de 30% tout de suite au 1er janvier 2018. En revanche, les suppressions de cotisations sociales, la revalorisation de l’allocation adultes handicapées et l’augmentation de la prime d’activité ou du minimum vieillesse seront étalées sur l’ensemble de l’année. En résumé, un budget qui apparaît pro-cyclique et assez injuste. In fine, on espère que cette économie de l’offre et du ruissellement (le fait de libérer les entreprises pour avoir un effet positif via les investissements sur l’ensemble de la société) nous fera définitivement passer en dessous de 3% de déficit en 2018. A voir…

Maintenant il me semble étrange de confondre libéral et clientéliste. Libéral, libéralisme, cela vient des années Reagan – Thatcher dans notre Ere dirons nous. Il renvoie à la libéralisation du marché du travail et du marché des biens. Je dirais que le projet est une sorte de clientélisme du ruissellement, pour ne pas le confondre avec le ruissellement des libéraux ou ce sont les investissements des entreprises qui sont sensés être bénéfiques pour tous. On en espérera autant du clientélisme. Rien de tout cela ailleurs où l’on reste dans le prisme de la politique économique.

Ce projet de loi entend par exemple privilégier les investissements productifs en détournant l’épargne française de la rente pour la diriger vers les entreprises. Au regard des principales mesures d'un tel budget, que peut on en attendre en termes de résultats ? 

Oui c’est le ruissellement. Une note récente de Natixis Research démontre que « les rentes seraient présentes depuis la seconde moitié des années 1990 aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone euro…et ce malgré les dérèglementations des marchés et la concurrence des émergents ». En règle générale, on regarde le rendement du capital et l’idée c’est de le taxer davantage. Certes on a l'IFI mais la notion de rente est complexe, elle peut être financière aussi. Par ailleurs ne pénalise t-on pas les bons projets immobiliers. De plus la flat tax ne va pas dans le sens du contrôle de la spéculation financière pure. Pourquoi fait-on cela ? Car il s’agit de clientélisme et non d’une volonté de mettre fin à des rentes. Un clientélisme politique dont on espère un ruissellement économique pour tous mais dont on obtiendra plutôt une réélection.

Enfin, une distinction doit être opérée. Taxer le capital qu’est-ce que cela signifie. On pourrait distinguer deux éléments du capital : le capital des entreprises, les profits, les investissements productifs, des placements financiers. Le capital matériel des entreprises mériterait peut être un meilleur sort puisque celui-ci fait vraiment partie du ruissellement économique…car « les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain » Helmut Schmidt. 

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