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Organisation de son parti ou réforme des institutions : les dangereuses idées de Jean-Luc Mélenchon pour la démocratie
©AFP

Démocrature ?

Jean-Luc Mélenchon explique que la France insoumise est plus une organisation populaire qu'un parti politique traditionnel. Cela sous entend une stratégie de mise en avant du collectif.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : Dans le journal le 1, Jean-Luc Mélenchon a déclaré que le but de la France Insoumise n'étais "pas d'être démocratique, mais collective", car il s'agit d'un mouvement et donc "d'une forme organisée du peuple" à opposer au parti politique qui est selon lui contre le peuple.  Et quand on lui demande : "Qu’avez-vous prévu pour parler au peuple sans diplôme ?", le leader de LFI déclare "Moi. Vous pouvez vous identifier à moi." Si on intègre ces déclarations à la vision que porte LFI de la VIe République, ne peut-on pas considérer que cette négation du caractère représentatif de la démocratie démocratique de la Ve République suit une pente de plus en plus antidémocratique ?

Eric Deschavanne : Cela dépend ce que l'on entend par "démocratique". La culture politique de Mélenchon est celle de l'extrême-gauche révolutionnaire et anti-libérale. La démocratie représentative libérale n'est pas son modèle. En revanche, la souveraineté du peuple est le dogme qui fonde sa démarche. Il oppose à la représentation comme forme d'expression politique de cette souveraineté, une "auto-organisation" du peuple, dont les modalités ne sont par définition pas très claires puisque déterminées sur la base d'un refus des procédures. "Le mouvement n'est ni vertical, ni horizontal, dit-il, il est gazeux".

Même fumeux pourrait-on ajouter !  En matière de procédures, ce qui émerge, ce sont celles que les partisans de la démocratie directe opposent classiquement à la démocratie représentative : le tirage au sort et la révocation des élus. La révocation des élus se fonde sur la théorie du mandat impératif qui a été fort justement écartée au profit du mandat représentatif par la Révolution française : un représentant dont la volonté est placée à tout moment dans la dépendance vis-à-vis de ses électeurs ne dispose pas de l'autonomie nécessaire pour incarner l'intérêt général (il dépend, s'il est député, des intérêts particuliers qui l'ont élu) ou pour prendre, s'il exerce le pouvoir, les décisions rationnelles que la situation ou l'intérêt collectif à long terme imposent et qui peuvent éventuellement contrarier les intérêts et les passions du moment. Bref, en l'absence d'une représentation politique doté d'un minimum d'autonomie, un peuple ne peut ni se gouverner, ni même se représenter ce qu'il veut. Quant au tirage au sort, pratiqué par la démocratie  athénienne, et encore aujourd'hui pour constituer les jury de cours d'assise, il peut apparaître comme la forme de sélection la plus démocratique puisque le premier venu à sa chance. Par définition, il interdit en revanche le choix éclairé des meilleurs ou des plus aptes, ou simplement le choix de l'orientation politique que l'on souhaite privilégier. Si l'on devait tirer au sort le Président de la République, le sort pourrait désigner aussi bien Marine Le Pen, que Mélenchon, Macron ou Jean Lassale. Pas sûr que le peuple y gagnerait beaucoup en souveraineté et en "auto-organisation" !

En vérité, la vogue actuelle du tirage au sort doit beaucoup à l'individualisme de l'époque, lequel est le véritable ressort du populisme que Mélenchon s'efforce de promouvoir. Comme l'a fort bien vu Tocqueville, la dynamique de l'individualisme démocratique repose sur la haine de l'autorité intellectuelle et morale d'autrui, ce que le concept mélenchonien d'insoumission illustre parfaitement. Le rejet des élites, y compris lorsqu'elles sont démocratiquement élus, est stimulé par cette allergie à l'idée d'être gouverné par quelqu'un d'autre que soi. A l'extrême, cela donne Nuit Debout, mouvement "organisé" pour donner à chacun le même temps de parole et pour empêcher l'émergence d'un quelconque leader. Mélenchon s'appuie sur cette dynamique individualiste du populisme,  bien que LFI repose au final sur une gigantesque "contradiction performative" : L'auto-organisation du peuple, la révocation des élus et le tirage au sort sont promus par un mouvement dont la "clé de voûte" (selon ses propres dires) est le leader auto-proclamé, lequel n'est ni tiré au sort ni révocable.

Si on suit ce genre de déclarations ou encore sa volonté de référendums pour révoquer les élus, la VIe République demandée par Jean-Luc Mélenchon se rapproche-t-elle plus fortement d'un régime à la vénézuélienne ou façon Jamahirya lybienne que ce que son leader ne prétend? 

Mélenchon demeure fasciné par les mouvements populistes et révolutionnaires d'inspiration marxiste (le castrisme principalement) qui ont "réussi" en Amérique du Sud, au sens où ils ont pris le  pouvoir pour s'y maintenir dans la durée. Ce qui en fait un démocrate malgré tout est qu'il a renoncé à la lutte armée et prône la révolution dans les urnes. Il faut en prendre acte : LFI est aussi républicaine que le FN; dès lors que l'extrême-droite et l'extrême-gauche jouent le jeu de la démocratie, on ne peut les confondre avec l'extrême-droite et l'extrême-gauche historiques. Ce qui subsiste d'antidémocratique, c'est le déni du pluralisme qui demeure inhérent à la rhétorique populiste. France insoumise n'est pas un parti mais un mouvement, dit Mélenchon, parce que "le parti, c'est l'outil de classe, le mouvement, c'est la forme organisée du peuple"; le parti, est clivant, un parmi les autres, au service d'intérêts particuliers, tandis que le mouvement est inclusif, il tend à fédérer le peuple tout entier, à incarner la souveraineté populaire, de sorte que son leader, sa "clé de voûte", est au final le leader auquel le peuple doit s'identifier. En abandonnant la lutte des classes pour le populisme, Mélenchon abandonne aussi la social-démocratie, laquelle admettait la légitimité de la confrontation pacifique des classes et des partis politiques qui les représentaient dans le cadre de la démocratie libérale.

Paradoxalement, ne peut-on pas considérer qu'il a une posture très Ve République pour quelqu'un qui prétend défendre un régime IVe ?

La démocratie d'opinion dans laquelle nous sommes entrés a pour moteur l'individualisme et pour scène principale le système médiatique. Dans ce nouveau contexte, il n'y a en vérité aucune place pour la démocratie directe. La démocratie est plus que jamais représentative en ce sens que la voix de chacun ne peut se faire entendre des autres que si elle est portée par une forte personnalité qui puisse rayonner dans les médias. Les gens qui votent Mélenchon veulent un changement politique radical qui passe par la conquête du pouvoir. Il existe une contradiction massive entre ce volontarisme politique et le projet d'une nouvelle république dont la vertu principale aux yeux de ses promoteurs serait de n'avoir aucune direction et d'être ingouvernable.

On peut ajouter que le discours sur la démocratie directe est sans doute en réalité l'instrument qui permet d'asseoir une autorité politique sur des électeurs et des militants animés par le rejet individualiste de l'autorité. Ce n'est pas un hasard si ce phantasme de démocratie directe se trouve aujourd'hui réactivé par les deux mouvements nés de l'effondrement du PS - LREM et LFI. Dans un cas comme dans l'autre, la procédure du tirage au sort apparaît comme le moyen d'empêcher que ne s'installent en interne le pluralisme des courants, le débat démocratique, une majorité et une opposition. LREM, comme le souligne Mélenchon, est certes plus "vertical" : le parti fonctionne comme une assemblée d'actionnaires, les adhérents tirés au sort jouant le rôle des petits actionnaires spectateurs des décisions prises par le conseil d'administration et approuvées par les gros actionnaires (les élus, les référents choisis par la direction contrôlée par le président). En raison de sa vocation populiste et protestataire, LFI s'appuie davantage sur les initiatives de "la base", mais il est évident que toute cette rhétorique de "l'auto-organisation" du peuple et de l'absence de direction officielle vise à permettre au leader d'imprimer sa direction au mouvement sans avoir à souffrir d'une contestation interne.

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