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#BalanceTonPorc : une libération de la parole utile mais à manier avec précaution
©LEON NEAL / AFP

Nouvelle tendance

Dans le sillon de l'affaire Weinstein, les femmes prennent la parole sur Twitter avec le #PayeTonPorc. Par dizaine, elles racontent cette violence et ce harcèlement quotidien dont elles sont les victimes. Virginie Martin, auteure de "Garde-corps" aux éditions Lemieux décrypte pour Atlantico cette nouvelle tendance.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Atlantico : Le #BalanceTonPorc a rencontré un franc succès sur le réseau social Twitter hier. Que pensez-vous de cette nouvelle tendance ? Est-ce un gadget ou au contraire est-ce que cela aide à libérer la parole ? Pris à l'inverse, ne pensez-vous pas que cela peut attiser les problèmes en donnant l'impression que les hommes sont tous "des porcs"?

Virginie Martin :Quand il y a des tendances comme ça sur twitter il y a toujours un coté gadget. Il y a toujours un côté instrumentalisé dans le sens où l'on surfe sur la tendance. C'est le jeu. En même temps ce qui est intéressant c'est que finalement beaucoup de femmes se sont emparées de la question qui au départ ne concernait au départ qu'un petit nombre de comédiennes concernées par l'affaire Weinstein. Cela veut dire que ça c'est quelque part démocratisé. Ce ne sont pas une dizaine de comédiennes puissantes qui ont accès aux médias qui ont eu le droit de dénoncer. Twitter a rendu populaire cette affaire. C'est le viol et les agressions sexuelles du silence qui s'expriment et le bruit qui se répand. De ce point de vue-là ce n'est pas un gadget. Après il faut tempérer la chose car twiter s'adresse à des populations averties. Mais même si ça ne va pas au fond de la société, ça s'étend, c'est tant mieux et ça fait réagir.

D'un autre côté bien sûr que ça a un effet amplificateur et que ça peut finir par faire dire un "tous pourris", non plus adressé qu'aux politiques mais sous la forme "les hommes tous pourris ?". Je crois quand même que ça fait prendre conscience de l'extrême ampleur du phénomène et c'est important. Il faut plutôt se demander maintenant quelle femme n'a jamais subi d'agression sexuelle. La norme c'est ça. On le voit dans les anecdotes entre le DRH qui propose de rester un jour de plus, le collègue de bureau qui lance des allusions graveleuses ou le professeur qui explique qu'il serait sympa que la femme reste une heure de plus après la classe. On touche du doigt le sexisme ordinaire et les violences faites aux femmes de manière ordinaire. Ce n'est pas juste le type dans la rue qui siffle mais c'est le collègue, le prof… On voit que ça s'immisce dans toutes les couches de la société. Cela ne veut pas dire "tous pourris" mais que l'ampleur du phénomène est réel.

Là la sociologie apporte une réponse, c'est parce que la femme est toujours vue avant tout comme une femme, c’est-à-dire comme un objet naturalisée en tant que femme et sexualisée en tant qu'objet social. Dans mon livre "Garde-corps" la ministre ne reçoit jamais de tweets sur ce qu'elle dit mais sur comment elle est habillée. A un moment elle reçoit un tweet (tiré d'un vrai) qui résume la situation et qui dit "Tu es trop bonne je ne peux même pas écouter ce que tu racontes". C'est toujours la sexualisation de la femme qui revient au-devant de la scène dans une logique de domination et de prédation.

Pour vous, est-ce que ce hashtag peut vraiment faire changer les choses dans une société plus sexiste qu'il n'y paraît ?

J'espère que cela le permettra. Là encore c'est ce qu'on appelle la question infra politique. Ce hashtag est infra politique. Elle n'est pas censée prendre le relais du politique. Le politique ça fait 320 ans qu'on l'interpelle, nous féministes, avec nos écrits académiques ou certaines avec leur roman. Il est interpellé tout le temps et à chaque fois il y a les Zemmour et autres qui disent que ce sont des "conneries".

On avait un président qui se promettait féministe et on a compris dès le premier jour qu'il ne le serait pas. Il n'a pas mis une femme en tant que Première ministre comme il avait été question, puis il met un sous-secrétaire d'Etat en tant que ministre de l'égalité hommes-femmes. Le politique ne veut pas s'emparer de ce sujet. Il s'est emparé du sujet du racisme très volontiers dès les années 80 mais refuse de prendre la question du sexisme en main. Il y a eu une parenthèse avec Najat Vallaud Belkacem au début de son ministère quand elle était au droit des femmes. Là elle est allée loin sur les questions de genre. On l'a moquée, critiquée, ironisé, bref, enterré. Si le #BalanceTonPorc peut réveiller la Marlène Schiappa ou le Macron ce serait déjà pas mal.

Comment les femmes peuvent-elles surmonter ces obstacles, ces "problèmes" ?

Dans mon roman l'héroïne est dans une forme de résilience et finalement elle va se dire : "J'ai été agressée sexuellement quand j'étais jeune mais je vais quand même devenir ministres errer les dents et les poings dans un monde de structure patriarcale" parfois paradoxalement l'obstacle, la douleur et la souffrance créé des carrières en faisant aller au-delà de soi-même. Elle a une réponse via l'ambition et la réussite ce qui n'empêche pas que derrière elle reste très en souffrance. D'autres femmes au contraire comme un autre personnage de mon roman, reste dans une forme de tétanie et la plupart font avec, ni paralysée, ni en résilience mais dans une forme d'intériorisation des stigmates et derrière ça fait des années plus tard des dépressions, des problèmes de santé incompréhensible… Il faut comprendre que ce n'est pas une question anecdotique c'est une question de santé publique et une question de protection de l'enfance.

Quand on voit des gens qui disent "Parlez !" comme une injonction, je suis tout à fait d'accord avec Christine Angot quand elle dit "ce n'est pas une injonction de plus à faire aux femmes", c'est aux politiques à répondre. Ce n'est pas mon affaire, l'affaire de la voisine, c'est l'affaire du politique. Les données sont là, les livres, les études scientifiques et les romans sont présents. Tout le monde sait tout. Il n'y a plus que les politiques qui ne sont pas à la hauteur.

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