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Un islamiste et antisémite à la tête de l’UNESCO ?
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Controverse

Lundi dernier, a démarré à l’UNESCO l’interminable et rocambolesque élection du futur directeur général de cette vénérable institution onusienne.

Mezri Haddad

Mezri Haddad

Mezri Haddad est Philosophe et ancien Ambassadeur à l'UNESCO. Il est l'auteur de plusieurs essais et articles sur la réforme de l'islam et l'un des précurseurs en matière de comparatisme religieux. En France, c'est le seul intellectuel musulman à avoir été qualifié en 2007 par le CNU maître de conférence en théologie catholique.

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Lundi dernier, a démarré à l’UNESCO l’interminable et rocambolesque élection du futur directeur général de cette vénérable institution onusienne dédiée, depuis novembre 1945, à l’éducation, à la science et à la culture. Sept candidats étaient en compétition : Audrez Azoulay pour la France, Mouchira Khattab pour l’Egypte, Hamad Bin Abdulaziz al-Kawari pour le Qatar, Vera el-Khoury Lacoeuilhe pour le Liban, Qian Tang pour la Chine, Pham Sanh Chau pour le Vietnam et Polad Bülbüloglu pour l’Azerbaïdjan.

Comme prévisible, aucun candidat n’a pu obtenir, des 58 Etats membres du Conseil exécutif, la majorité requise de trente voix pour passer du premier coup. Mais à l’étonnement général, le premier tour de ce scrutin a placé le candidat du Qatar à la tête des favoris (avec 19 voix), devant la candidate française (13 voix), la candidate égyptienne (11 voix), la candidate libanaise (6 voix), le candidat chinois (5 voix), le candidat vietnamien (2 voix) et le candidat d’Azerbaïdjan (2 voix). En d’autres termes, n’eut été la candidature surprise et in extremis d’Audrez Azoulay, le cheval de Troie de l’islamisme mondial aurait été élu du premier tour.

Une telle issue, si affligeante soit-elle pour tous ceux qui luttent contre l’obscurantisme et le terrorisme islamiste, aurait été l’aboutissement logique d’un dévoiement successif et d’une déliquescence morale, intellectuelle et politique qui a commencée voilà plus de quinze ans. Avec la « toyotisation » de l’UNESCO sous le double mandat de Koïchiro Matsuura (1999-2009), qui a vidé l’institution onusienne de sa substance intellectuelle, voire de son âme philosophique, en la dirigeant comme l’on manage Toyota automobile, et après sa bureaucratisation stalinienne sous la mandature d’Irina Bokova (2009-2017), qui a méthodiquement suspendu l’élan réformateur d’Amadou-Mahtar M’Bow (1974-1987), inlassablement entretenu par son prédécesseur Frédérico Mayor (1987-1999), le naufrage du bateau ivre de l’UNESCO sur les rives de Doha aurait été, en effet, un spectacle aussi « naturel » que l’organisation de la coupe mondiale de 2022 !

Mais l’UNESCO n’est ni le club Paris Saint-Germain, ni une FIFA qui se relève à peine d’une crise affectant son éthique, ni le comité international olympique, lui aussi tenté un moment de confier ses jeux de 2024 à l’oligarchie gazière. Même si ces dix dernières années l’UNESCO a fait sienne la devise « l’argent n’a pas d’odeur », notamment pour compenser le manque à gagner des cotisations américaines, et en dépit du fait que le candidat du Qatar promet de « sauver » l’UNESCO, non guère par la force des idées ou la grandeur de la vision mais par la seule puissance de l’argent, les Etats-membres du Conseil exécutif doivent y réfléchir à deux reprises avant de déposer leurs bulletins « secrets ». Il y va de leur réputation ainsi que de la crédibilité de l’institution qu’ils représentent diplomatiquement faute d’en incarner la vocation originelle : « Construire la paix dans l’esprit des hommes et des femmes ».

Par ses positions publiques autant que par ses actes, le régime qatari est aux antipodes des valeurs prônés par l’UNESCO et de l’humanisme universel qui en constitue l’esprit. Par sa diplomatie secrète, par sa chaine de propagande islamiste Al-Jazeera, par les fatwas criminelles de son guide spirituel Youssef Qaradaoui, par ses agissements terroristes en Libye, en Syrie, en Irak, en Egypte, en Mauritanie, au Soudan, au Gabon, au Sénégal, au Niger, au Tchad…l’émirat du Qatar n’a jamais contribué à « construire la paix dans l’esprit des hommes », mais il a plutôt semé la haine et propagé la discorde parmi les communautés religieuses ou ethniques au Moyen-Orient et en Afrique. Nul besoin d’étayer ici toutes les preuves qui impliquent le régime qatari dans la métastase de l’islamisme radical aussi bien dans le monde arabe qu’en Occident, un islamisme dont l’éventail va des Frères musulmans jusqu’aux Talibans ou Daech, en passant par Al-Qaïda et ses nombreuses ramifications.

Ultime injure ou stade suprême dans l’insolence, le candidat du Qatar à la direction générale de l’UNESCO, qui est arrivé encore mardi au second tour en tête devant Audrez Azoulay et Mouchira Khattab, n’est pas uniquement un cheval de Troie de la nébuleuse islamiste que son pays protège et finance. Il est aussi un zélateur décomplexé de l’antisémitisme le plus abject. C’est le centre Simon Wiesenthal qui en a apporté les preuves il y a plus de deux ans[1], dans une vaine tentative d’alerter les plus hautes autorités de l’UNESCO sur la candidature pour le moins sulfureuse de Hamad Bin Abdulaziz al-Kawari, l’ancien ministre de la Culture de cet émirat pas comme les autres. Plutôt que de faire amende honorable, de se rétracter ou de présenter un autre candidat plus fréquentable, d’autant plus que le précédent crée par la candidature de l’égyptien Farouk Hosni est encore dans les mémoires[2], le régime qatari s’est obstiné en croyant dur comme fer que par la seule force de l’argent, par sa diplomatie du carnet de chèque, il finira pas imposer son candidat à la communauté internationale et pis encore, à la conscience universelle.

Depuis lundi, dans les coulisses labyrinthiques de l’UNESCO, au milieu des manœuvres machiavéliques et des intrigues kafkaïennes, c’est ce scénario qui semble prendre forme, comme si l’apothéose du candidat qatari était une fatalité et comme si l’antisémitisme n’était plus qu’une banale opinion. Si, par caprice de l’histoire, par cupidité des Etats et par lâcheté des hommes, le Qatar venait à prendre la « Mecque » de la culture, cela signifierait que Qaradaoui sera le gardien du temple humaniste et les Frères musulmans en seront la légion. Des alternatives honorables existent pourtant en la personne de Mouchira Khattab ou d’Audrez Azoulay.

Candidate féministe et esprit libre, la première représente un pays résolument opposé aux Frères musulmans et engagé dans la lutte contre le terrorisme global. Ce serait qui plus est un signe fort qu’on donnerait à un monde arabe qui attend depuis des lustres son tour d’accéder à une si prestigieuse fonction et qui ne peut en aucun cas se reconnaitre dans la candidature du qatari. Nonobstant certains stéréotypes, les Arabes ne sont pas des islamistes, encore moins des antisémites.

Indépendante, au croisement du paradigme andalou et des Lumières, porteuse d’un projet régénérateur pour l’UNESCO et compatible avec les aspirations du monde arabe et du continent africain, Audrez Azoulay saura, bien mieux que le qatari, incarner le désir de liberté, de paix et de connaissance chez les Arabes et chez les Africains. Pour éviter le pire, pour que l’UNESCO ne troque pas son humanisme séculier contre l’islamisme « modéré », un accord tacite entre la France et l’Egypte, entre l’Orient et l’Occident s’impose comme une nécessité impérieuse.                 

En septembre 2009, sur l'antenne de France Inter, Elie Wiesel déclarait triomphalement que « L'Unesco vient d'échapper à un scandale, à un désastre moral. Farouk Hosni ne méritait pas ce travail ; il ne méritait pas cet honneur. Ce n'est pas quelqu'un, à mon avis, qui aurait dû même être candidat à ce poste ». En dira-t-on autant du candidat qatari dans les heures ou les jours qui viennent ?

Mezri Haddad

Philosophe et ancien Ambassadeur à l’UNESCO.

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