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Les Russes ont des « projets » pour l’avenir de l’Europe et voilà l’inquiétante carte qui les détaille
©Reuters

Après le soutien à la Catalogne

La perspective d’une éventuelle indépendance de la Catalogne, qui aurait fait sourire, il y a seulement encore quelques années, la quasi-totalité des experts en géopolitique, semble désormais devenir un scénario relevant du domaine du possible, ce qui inquiète consécutivement les dirigeants européens sur le risque de balkanisation politique d’un continent qui l’est déjà beaucoup plus que le reste de la planète.

En effet, l’Europe compte près d’un quart des Etats de la planète (soit 49 sur environ 200) alors qu’elle ne représente que 7 % de la superficie des terres émergées et ne comprend que 10 % de la population mondiale. Dans ce cadre, le risque d’une poursuite du processus de balkanisation du continent n’est pas à prendre à la légère car certaines puissances extérieures antagonistes ont tout intérêt à ce que ce scénario se réalise, dans l’optique d’affaiblir, voire de faire disparaître, l’Union Européenne, la principale concentration de richesse de la Terre, jugée comme étant une puissance hostile à leurs intérêts. Parmi ces puissances antagonistes, la première d’entre elles, est le grand voisin oriental que constitue la Russie, qui a une revanche à prendre sur les occidentaux suite à l’effondrement de l’URSS en 1991 et au soutien (tacite) des européens au mouvement sécessionniste tchétchène, voire même à leur tentative d’incitation auxTatarsdu Tatarstan de faire de même.

En conséquence, il n’apparaît guère surprenant que les médias russes et leurs « alliés »sur les réseaux sociaux, tels que Wikileaks, aient été très présents dans la campagne indépendantiste de Catalogne, profitant de l’occasion pour faire l’apologie du sécessionnisme dans d’autres régions européennes, dont l’Ecosse, le Royaume-Uni étant l’ennemi numéro 1 de la Russie en Europe, et le nord de l’Italie (Lombardie et Vénétie). Dans ce cadre, pour mieux comprendre ce que souhaiteraient les dirigeants russes, l’analyse critique d’une carte des mouvements autonomistes « actifs » sur le continent, publiée en février 2014 dans le cadre d’un article sur un site internet d’ultra-nationalistes russes,Sputnik& Pogrom, est particulièrement parlante et rappelle la fameuse carte du redécoupage du Moyen-Orient réalisée par le lieutenant-Colonel Ralph Peters en 2006 dans la revue Armed Journal Forces aux Etats-Unis. Le site Sputnik& Pogrom étant anti-Poutine, la carte ne peut être considérée comme une carte « officielle », mais, le pouvoir russe s’inspirant, bien souvent, des idées des ultra-nationalistes, son analyse présente un intérêt certain.

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Le premier élément qui saute aux yeux lorsque l’on découvre cette carte est l’existence d’unnombre considérablement beaucoup plus important de mouvements autonomistes « actifs » que sur une carte classique, auxquels les experts en géopolitique sont habitués en Europe. En règle générale, seule une dizaine de mouvements, au grand maximum, sont considérés comme « actifs », alors que selon cette carte russe, il n’y en aurait pas moins d’une soixantaine. Si cela peut paraître ridicule au premier abord (la Normandie !), témoignant d’une méconnaissance certaine des réalités territoriales européennes, il ne faut cependant point prendre cette carte à la légère, car, plus qu’une traduction d’une réalité tangible, elle est le révélateur d’une volonté d’une balkanisation très poussée de l’Europe, bien au-delà de ce que nos élites pensent.Pour ses promoteurs, il ne s’agit pas juste de faire perdre une ou deux régions dans l’optique de créer une épine dans le pied des états les plus puissants, mais d’une véritable volonté de démembrer totalement certains pays, dont le Royaume-Uni, ce qui ne surprendra  pas les spécialistes, du fait de l’antagonisme très fort de ce dernier Etat avec la Russie, mais aussi l’Espagne, allié traditionnel de Washington.

Un second élément, qui apparaît aussi vivement sur cette carte, est l’existence d’un bien plus grand nombre de territoires autonomistes à l’ouest d’une ligne reliant les îles Féroé(qui appartiennent au Danemark) au nord à la Sicile au sud, ce qui peut s’expliquer de deux manières. La première est que la balkanisation de l’Europe orientale, à laquelle les dirigeants occidentaux ont largement contribué,étant déjà très largement réalisée suite à la fin de la guerre froide, il n’existe donc plus beaucoup de possibilité de réduction de la taille d’Etats, qui sont déjà bien petits. Par contre, à l’ouest du continent, il demeure des Etats relativement importants comme le Royaume-Uni, la France, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne. Il apparaît donc assez logique que les possibilités de les fragmenter soient plus importantes.Le second élément, qui peut aussi expliquer la surreprésentation des Etats d’Europe occidentale, est que ces derniers sont les concurrents les plus sérieux de la Russie, de par leur population et leur économie, plus que par leur superficie, puisque sur ce dernier critère, la Russie est hors-concours. Par exemple, la France, l’Italie ou le Royaume-Uni ont une population équivalent à plus de 40 % de la population de la Russie et ont un PIB supérieur.

Plus en détail,les logiques de découpages des territoires autonomistes utilisées apparaissent diverses. Il n’est pas possible de trouver un critère unique. Le principal semble être le critère linguistique, tout territoire ayant,ou ayant eu,une langue légèrement différente de la langue de son Etat, est considéré comme potentiellement autonomiste. Par exemple, c’est le cas de la Catalogne, du pays basque ou de la Galice en Espagne, des régions du sud de la France qui parlaient la langue d’oc, de l’Alsace et de la Bretagne dans le reste de la France, de l’Ecosse, du Pays de Galles et de la Cornouailles au Royaume-Uni, de la Frise aux Pays-Bas, de la Flandre et de la Wallonie en Belgique, de la Bavière en Allemagne, du Tyrol du Sud en Italie... Un deuxième critère, qui peut se combiner au premier, paraît plus géographique, c’est-à-dire le caractère insulaire, comme pour laCorse, la Sardaigne, la Sicile, les îles Shetland ou encore les îles Féroé… Un troisième critère est plutôt d’ordre historique, l’existence d’un « Etat » aujourd’hui disparu, comme c’est le cas en Espagne pour l’Andalousie, la Castille ou l’Aragon, ou en France pour la Savoie et Nice (qui faisaient partie du royaume de Piémont-Sardaigne) ou encore la Normandie (ancien duché). Enfin, il semble même parfois que ce soient des critères économiques qui aient été pris en compte, tout du moins pour la partie anglaise du Royaume-Uni, qu’il paraît difficile de découper selon des critères d’ordre culturel, avec le bassin londonien ou les Midlands, mais aussi pour l’Italie du Nord.

Finalement, que faut-il penser de cette carte ? Exercice intellectuel amusant, mais sans conséquence, ou potentiel projet géopolitique d’un Etat antagoniste de l’Union Européenne ? La réponse est probablement un peu les deux. Si la carte de la balkanisation de l’Europe du Kremlin, dont nous pouvons supputer l’existence, est très vraisemblablement partiellement différente de cette carte et doit varier au fur-et-à-mesure du temps en fonction des évolutions géopolitiques, il n’en demeure pas moins qu’elle nous donne une idée de la psyché des nationalistes russes sur cette question. Les dirigeants européens ont donc intérêt à la garder en tête pour éviter d’être dépassés par les évènements si les mouvements sécessionnistes venaient à se multiplier. En effet, l’exemple catalan doit faire réfléchir, car ce n’était pas la région d’Europe qui paraissait la plus susceptible d’engager un processus d’indépendance dans les dernières décennies, contrairement au pays basque espagnol par exemple. Les « nations » sont des constructions fragiles, dont les définitions peuvent évoluer au cours du temps. Si l’Union Européenne venait à contribuer à l’implosion de ses Etats membres, cela signifierait son échec final et la victoire géopolitique de la Russie sans tirer (directement) un coup de feu !

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