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Les militaires maliens abusent de la menace Al Qaida pour convaincre "les pigeons européens de leur éviter le naufrage"
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Epouvantail

La défaite de l'armée malienne face à la rébellion touareg est la principale cause de la destitution du Président Amadou Toumani Touré. Les militaires Maliens invoquent une proximité entre les Touaregs et Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi). Une manière d'effrayer les Européens. La relation est loin d’être évidente, les Touaregs restant imperméables au fondamentalisme musulman.

Bernard Lugan

Bernard Lugan

Bernard Lugan est expert auprès du TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda). Il anime un blog www. bernard-lugan.com et il édite par internet une revue mensuelle l’Afrique réelle. Il vient de faire paraître Les guerres d’Afrique des origines à nos jours, 400 pages, 70 cartes et planches en couleur. Le Rocher, 2013.

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Si le coup d’Etat militaire qui a renversé le général Amadou Toumani est bien la conséquence de la défaite de son armée face aux insurgés Touaregs[1], l’origine du conflit est, elle, clairement inscrite dans la nuit des temps.

Durant des millénaires les sédentaires sudistes noirs et agriculteurs ont en effet vécu dans la terreur des raids lancés contre leurs villages par les Berbères touaregs surgis des immensités sahariennes. La colonisation a libéré les premiers de cette menace puis elle a inversé le rapport des forces en leur faveur. Avec les indépendances, l’espace sahélo saharien fut ensuite cloisonné par des frontières artificielles. Pris au piège de l’utopie de l’Etat-nation, Touaregs et Noirs furent alors forcés de vivre ensemble. La démocratie a aggravé le problème car les seconds étant plus nombreux que les premiers, l’ethno mathématique électorale leur a assuré le pouvoir et ils n’ont pas boudé leur revanche historique. Voilà qui explique les évènements actuels ; mais alors que jusque là les Touaregs se battaient pour obtenir plus de justice, ils exigent aujourd’hui la partition du Mali. Les données du problème ont donc totalement changé.

Face à cette situation que peut faire une Europe condamnée, qu’elle le veuille ou non, à veiller sur son « arrière-cour » saharo sahélienne ? Peut-elle en effet laisser prospérer un irrédentisme touareg venant s’ajouter à des foyers régionaux de déstabilisation situés dans le nord du Nigeria avec la secte Boko Haram, dans la région du Sahara nord occidental avec Aqmi et dans la zone des confins algéro-maroco-mauritaniens où le Polisario qui a perdu sa guerre contre le Maroc s’est largement reconverti dans des activités mafieuses, une partie de la production mondiale de cocaïne transitant désormais par le Sahara ?

Deux options sont possibles :

1-soit l’intervention urgente et massive aux côtés des armées du Mali et du Niger à la fois pour écraser les rebelles touaregs, maintenir la fiction de ces deux Etats, tenter de contenir Aqmi et sauvegarder nos approvisionnements en uranium.

Cette solution, la plus facile, mais sans perspective, éteindra peut-être provisoirement l’incendie, mais elle ne réglera pas le problème en profondeur. En effet, la solution de la question touareg ne passe ni par un engagement militaire, ni par des élections et encore moins par le déversement d’une nouvelle aide aussi inutile que les précédentes, mais par la prise en compte de la forte personnalité de ce peuple.

2-soit tout au contraire, nous reprenons le problème à sa racine et nous revenons au réel en reconnaissant le fait touareg.Puis, nous « sous-traitons » à ce peuple, contre garanties solides, à la fois la lutte contre Aqmi et contre les structures mafieuses qui gangrènent la région. Pourquoi ne pas profiter de la situation pour corriger nos erreurs passées et mettre en pratique la célèbre maxime de Kipling qui est que « le loup afghan se chasse avec le lévrier d’Afghanistan » ?

Certes, mais l’on nous assure que les Touaregs ont partie liée avec Aqmi. Or, à y regarder de plus près, cette affirmation repose sur une profonde méconnaissance de la géographie ethnique de la région, les observateurs confondant en effet trop souvent les Touaregs qui sont des Berbères avec notamment trois autres populations sahariennes qui, elles, sont Arabes ou arabisées :

-les Chaamba  qui ont pour coeur territorial l’oasis de Timimoun en Algérie ;

-les Reguibat qui nomadisent entre la Mauritanie et le Sahara occidental ;

-les  Maures qui sont installés en Mauritanie.

Ce que n’ont pas vu les observateurs est qu’Aqmi prospère essentiellement chez certains de ces Arabes sahariens, pas chez les Touaregs, à quelques exceptions près liées à des clivages opportunistes internes à certains sous clans. Pour le moment, les Touaregs non acculturés sont en effet, et par nature, imperméables au fondamentalisme musulman : leurs femmes ne portent pas le voile, elles sont libres économiquement et sexuellement et ils sont farouchement opposés à la charia.

Le problème est que la rébellion touareg ayant perdu son protecteur libyen, elle est à la recherche de soutiens et Aqmi lui tend une main intéressée pour sortir de son propre isolement. Mais comment cette nébuleuse terroriste et mafieuse dont les forces sont à la fois très peu nombreuses et dispersées et qui, de plus, ne dispose ni de base arrière, ni d’arsenal,  pourrait-elle soutenir matériellement la guerre « classique » que mènent les Touaregs, aujourd’hui contre le Mali et peut-être demain contre le Niger? Tant qu’elle ne sera pas appuyée sur un Etat, Aqmi ne sera pas en mesure de fournir véhicules, carburant, pièces de rechange et armement adapté aux combattants touaregs. En dehors de réseaux dont l’importance réelle reste à démontrer, Aqmi ne peut rien offrir de « solide » ; tout au contraire, l’appui qu’il pourrait donner aux Touaregs condamnerait immédiatement ces derniers aux yeux des Occidentaux.

La réalité est qu’Aqmi est un appeau utilisé par l’Etat malien pour attirer les pigeons européens qui, seuls, peuvent lui éviter le naufrage.

Cependant encore, et là est le vrai danger, si l’option du soutien au Mali et au Niger était choisie par les Européens, les Touaregs seraient poussés dans les bras d’Aqmi. Comme ils sont présents dans la totalité des immensités désertiques du Sahara central et au contact de tous les autres foyers de déstabilisation de la sous région, les conséquences d’une telle association seraient alors incalculables, tant pour tout l’arc sahélo saharien que pour nos intérêts.

Nos responsables politiques doivent donc faire un choix, et vite. Or, comme ils sont formatés à travers le double prisme de la démocratie individualiste, celle du « un homme, une voix » et sur celui de l’Etat-nation unitaire, il est à craindre qu’ils ne soient pas en mesure d’appréhender la réalité régionale qui repose tout au contraire sur les groupes et sur les peuples. Dans ces conditions, il va être difficile de leur faire comprendre que le règlement de la crise passe par une profonde redéfinition de ces deux façons d’Etats que sont le Mali et le Niger…


[1]Voir à ce sujet le dossier publié dans l’Afrique réelle du mois de février 2012.

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