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Angela Merkel réélue en Allemagne : et maintenant quoi pour l'Europe... et pour Emmanuel Macron ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Nouvelle donne

Malgré des scores en baisse et une position fragilisée, la chancelière va bien entamer un quatrième mandat outre-Rhin. Mais avec quelle majorité ? Alors qu'Emmanuel Macron dévoilera ses propositions pour une réforme de l'Europe le 26 septembre à la Sorbonne, la relation entre la France et l'Allemagne pourrait considérablement changer.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant est professeur émérite de civilisation allemande à l'Université de Lille et directeur de la revue Allemagne d'aujourdhuiIl a récemment publié avec Hans Stark "Les relations franco-allemandes: vers un nouveau traité de l'Elysée" dans le numéro 226 de la revue Allemagne d'aujourd'hui, (Octobre-décembre 2018), pp. 3-110.
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Atlantico : Emmanuel Macron dévoilera ses propositions pour une réforme de l'Europe le 26 septembre à la Sorbonne, une date qui avait été choisie pour faire suite aux élections générales allemandes de ce 24 septembre. Maintenant que ces résultats sont connus, que peut-on attendre d'Emmanuel Macron ? Quelle est sa marge de manœuvre ? 

Jérôme Vaillant : Les résultats des élections législatives sont effectivement maintenant connus, ils confirment qu’Angela Merkel reste maître du jeu pour former une coalition gouvernementale mais on ne sait toujours pas de quels partis celle-ci sera faite. En effet, les résultats du 24 septembre représentent un séisme de moyenne ampleur qui bouleverse passablement le paysage politique allemand. Ce n’est pas tant l’entrée – attendue - de l’extrême droite populiste représentée par l’AfD ou même son score – plus inattendu – de 13% qui importe, mais le fait qu’au vu de sa défaite (-5 points de pourcentage par rapport à 2013), le SPD a décidé de faire désormais partie de l’opposition et donc de ne pas entrer dans une nouvelle grande coalition.

Par ailleurs, le parti de la chancelière perd pour sa part 8,5 points de pourcentage. En d’autres termes si le SPD a reçu une claque, la CDUI/CSU et la chancelière ont au moins reçu une gifle. La seule chose qui plaide en leur faveur est que, avec 33% des suffrages, la CDU/CSU demeure le parti le plus fort au sein du Bundestag et qu’aucun gouvernement ne peut être formé sans elle. Si Merkel reste maître du jeu, c’est à partir d’une position affaiblie qui, de plus, ne laisse guère à celle-ci le choix de ses partenaires comme elle pouvait l’espérer avant les élections. Alors, tout serait clair ?

Angela Merkel ne peut actuellement envisager de négocier qu’avec les Libéraux et les Verts une coalition dite aux couleurs de la Jamaïque (le noir pour les chrétiens-démocrates, le jaune pour les libéraux et le vert pour … les Verts). C’est la seule combinaison arithmétique en mesure de lui fournir une majorité parlementaire, mais ces deux partenaires s’opposent sur de nombreux points et semblent même avoir pris un malin plaisir pendant la campagne électorale à souligner leurs différences voire leurs oppositions : la politique fiscale, la défense de l’environnement, la politique migratoire, etc… Les deux partis au moins se conçoivent comme les défenseurs des droits de l’homme et sont pro-européens, mais ils divergent sur la politique économique de l’Europe et sa politique de défense.

Edouard Husson : Une perte de huit points pour la CDU/CSU et de cinq points pour le SPD. Soit 13 points perdus pour la coalition sortante. C'est considérable. En ce qui concerne Madame Merkel et Horst Seehofer, le chef de la CSU (la soeur bavaroise de la CDU, qui n'atteint, semble-t-il que 39% des voix alors qu'elle était habituée à la majorité absolue), on peut parler de défaite sévère. Merkel et Seehofer ont enfreint la vieille règle édictée par Franz Josef Strauss, l'ancien Ministre-Président bavarois et l'un des pères fondateurs de la République Fédérale: "Il ne doit émerger aucune force politique à droite de la CDU/CSU". Angela Merkel a tellement déplacé son parti vers la gauche de l'échiquier qu'elle a certes pris des voix au SPD mais elle en a perdu plus encore sur sa droite; et Seehofer paie très cher de ne pas s'être opposé plus à la politique des réfugiés alors qu'il en avait envie. 

J'aurais donc tendance à vous dire que le président français devrait se réjouir. Il va avoir affaire à une chancelière affaiblie et une Allemagne plus difficile à gouverner. C'est bon pour regagner de l'espace aux intérêts français. Si l'on élargit le regard, on se dit qu'avec la Grande-Bretagne à la fois en dehors et soucieuse d'aboutir sans trop tarder sur le Brexit et une Allemagne affaiblie politiquement, la France peut en profiter. Je dirais même que Paris est dans une situation inespérée à condition de faire de la politique au sein des institutions européennes. La mise en place de la nouvelle coalition gouvernementale allemande va durer de longues semaines. Emmanuel Macron, lui, est solidement en place: il faudrait en profiter pour redéfinir le périmètre d'influence de la France en consultant les pays d'Europe du Sud; en se réconciliant avec le groupe de Visegrad. 

Mais va-t-on faire de la politique, à Paris? Ou va-t-on continuer dans l'idée qu'il faut s'attirer les faveurs de Berlin. On rapporte que le président français disait redouter, il y a quelques jours, un SPD faible et la nécessité pour Madame Merkel, de s'entendrfe avec les libéraux, qui entreront moins volontiers dans l'esprit d'un gouvernement de la zone euro. Et si l'on inversait le point de vue? Madame Merkel est affaiblie, le pic de son influence en Europe est dépassé depuis longtemps: saisissons l'occasion pour faire réentendre une voix autonome de la France. Comme sous Sarkozy. Et même plus fortement que dans les années 2007-2012.   

Convergence sociale et fiscale, instauration d'un budget de la zone euro, apparition d'un poste de ministre des finances unique, d'un parlement dédié, politique migratoire et de défense...des propositions d'Emmanuel Macron, quelles sont celles qui pourraient retenir l'attention de Berlin et quelles sont celles qui pourraient disparaître du débat politique avec Berlin ? 

Jérôme Vaillant : Pour Emmanuel Macron, cela signifie que la présence des Libéraux au sein de la future coalition gouvernementale ne pourra que compliquer ses négociations avec l’Allemagne sur la relance de l’Europe. Là où il attend que l’Allemagne bouge sur la question comme il estime que le fait la France, il risque de trouver en face de lui un gouvernement allemand plus figé que jamais dans le respect des règles édictées par la Bundesbank. Simple posture avant d’entamer des négociations avec les chrétiens-démocrates, ou déjà façon de tracer une ligne rouge ? Dès le soir des élections, Christian Lindner, président fédéral du FDP, a évoqué une telle ligne rouge si les investissements européens demandés par la France devaient servir à abreuver les marchés français et italiens. Un ministre des finances de la zone euro pourrait être négociable à condition qu’il ne s’agisse pas de mutualiser les dettes, une perspective dont le FDP ne veut pas entendre parler. Et il y a bien pire encore, s’il voit bien l’intérêt du plan Juncker qui ne fait jamais que rappeler les objectifs définis par les traités de l’Union européenne, s’il conçoit également qu’il faille réorganiser la zone, Ch. Lindner ne voit pas la nécessité d’un parlement dédié de la zone Euro.

L’Allemagne n’a d’ailleurs jamais été particulièrement favorable à la mise en place de nouvelles institutions et a toujours plaidé pour emmener autant que faire se peut tous les pays membres de l’Union vers un même objectif d’intégration. Elle a refusé en 1991 la création d’une Confédération européenne, proposée par F. Mitterrand pour accueillir les pays européens de l’est en transition vers l’économie de marché parce que son chancelier de l’époque, Helmut Kohl, y voyait une impossible « usine à gaz » et surtout une façon d’empêcher ces pays d’intégrer un jour pleinement l’Union européenne.

Certes tous les partis démocratiques allemands ont le sens du compromis pour empêcher que s’enraye la machine : Libéraux et Verts pourraient enterrer la hache de guerre et s’entendre sur un compromis avec les chrétiens-démocrates mais la tâche aurait été, à n’en pas douter, plus aisée pour E. Macron – et sans doute pour A. Merkel elle-même - avec une grande coalition, rompue aux compromis, laborieux mais efficaces une fois qu’ils ont abouti.

Edouard Husson : A première vue, le prochain gouvernement allemand sera peu enclin à aller dans les directions proposées par Macron. Si ce dernier fait de la politique, il dira aux Allemands: l'Europe va mal; plusieurs des membres de l'Union européenne, dont mon pays, sont en mauvais état; or votre intérêt est que l'Europe aille mieux. Si l'euro éclatait, par exemple, la nouvelle monnaie allemande serait bien plus forte que l'euro, ce qui handicaperait le pays, en Europe et hors d'Europe, en termes de politique commerciale. Vous avez donc intérêt à discuter sérieusement mes propositions etc.... Et si le prochain gouvernement allemand fait la moue, qu'à cela ne tienne, il y a d'autres options: renforcer la coopération avec la Grande-Bretagne en matière de politique de défense; suspendre Schengen tant que l'Allemagne n'accepte pas de le réviser. Aller à Washington, Moscou et Pékin, discuter d'un nouvel ordre monétaire international. La France reste un pays influent; et l'Allemagne va perdre en influence dans les prochaines années. 

En fait, je suis pour ma part convaincu que l'on peut obtenir beaucoup de Berlin, à condition de parler clairement et fortement. Les Allemands sont euclidiens, en termes de négociation: ils considèrent que la ligne droite est le plus court chemin pour convaincre un partenaire. Appliquons leur règle, exposons sans détour nos intérêts et ceux de l'Europe. Et soyons persévérants. Depuis Mitterrand, nos dirigeants ont toujours cru qu'il était possible de finasser avec les chanceliers allemands successifs. Quand Mitterrand n'a pas obtenu le gouvernement économique de la zone euro qu'il espérait, il a dit: ce n'est pas grave; faisons Maastricht puisque Kohl y est disposé; nous obtiendrons le gouvernement économique plus tard. La France attend toujours. Puisqu'Emmanuel Macron revient et approfondit cette idée, il a intérêt à parler sans ambiguïté et à déclarer aux partis allemands qui vont dessiner un accord de coalition que la position française n'est pas négociable. Puisque le discours de Macron sera prononcé à la Sorbonne, c'est le moment de rappeler au président la vieille devise de l'Université de Paris: "Vérité garde le roi". Jamais le peuple français, dont vous personnifiez la souveraineté, n'a eu autant besoin, Monsieur le Président,  d'un discours de vérité face à l'Allemagne.

Au regard des rapports de forces actuels et des probabilités de coalitions, que peut-on attendre de Berlin concernant les positions françaises ? Quels sont les scénarios envisageables ? 

Jérôme Vaillant : La chose se complique encore pour prévoir  de quoi seront fait les trois mois à venir, durée qu’il a fallu en 2013 aux chrétiens-démocrates et aux sociaux-démocrates pour sceller une grande coalition : Wolfgang Kubicki, vice-président fédéral du FDP, a dès le soir des élections laissé entendre que le rejet par le SPD d’une grande coalition n’était peut-être (sans doute ?) pas définitif, comme s’il voulait déjà anticiper un échec des négociations avec les chrétiens-démocrates pour former une coalition aux couleurs de la Jamaïque. Dans les mois qui viennent l’Allemagne aura beaucoup à faire pour former le gouvernement de coalition qui élira A. Merkel chancelière pour un quatrième mandat. Dans le cadre franco-allemand, cela signifiera que l’on pourra au mieux commencer à exécuter la très riche et très complète feuille de route décidée lors du 19e conseil des ministres franco-allemand le 13 juillet dernier pour fonder dans tous les domaines une Europe qui protège tout en restant ouverte au monde. La pierre d’achoppement reste comme le déclare cette feuille de route les « dysfonctionnements de la zone Euro qui favorisent la compétitivité allemande ». Faut-il entendre par là la question des excédents commerciaux allemands qu’A. Merkel se refuse à prendre en considération ? Alors que la loi sur la croissance et la stabilité dès 1967 demandait en Allemagne de respecter « un équilibre commercial global », comme quatrième côté du « carré magique » faisant par ailleurs au gouvernement allemand obligation de favoriser la croissance, d’empêcher l’inflation et de garantir le plein emploi ?

Edouard Husson : Le SPD déclare ce soir, par la bouche de Martin Schulz, qu'il ne voulait pas d'une nouvelle Grande Coalition. Attendons de voir. Mais il est certain que la Chancelière va d'abord tenter de constituer un gouvernement avec les Libéraux et les Verts. On peut imaginer que les Libéraux réclament le portefeuille des Finances. Ce serait la fin de l'ère Schäuble, en tout cas à ce poste clé. Cela ne sera pas plus facile pour autant pour Paris car Schäuble est passablement francophile; alors que le FDP d'aujourd'hui ne tient pas particulièrement à la coopération franco-allemande. En même temps, je ne crois pas qu'il y ait cinquante options pour un gouvernement allemand: soit il rentre dans l'esprit de la politique de renforcement de la zone euro proposée par Emmanuel Macron; soit il donne la préférence à un compromis sur le Brexit, en réintégrant la Grande-Bretagne dans le jeu de l'Union Européenne, avec une option de "soft Brexit". Il est effectivement très probable qu'une chancelière affaiblie et pressée sur sa droite par un FDP au gouvernement et une AfD à 80 députés ne voudra pas à première vue entrer dans les vues du président français. Sauf si Emmanuel Macron prend les devants en tendant la main à Londres avant que le gouvernement allemand soit installé et puisse le faire. Alors, par réaction, Madame Merkel essaierait de remettre de la distance entre Londres et Paris. Nous voilà revenus à l'ère de l'équilibre européen. Réjouissons-nous pour la France. Et souhaitons que le président français saisisse l'occasion que lui procure l'Histoire..

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