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Insoumis d’hier et d’aujourd’hui : le vote Mélenchon, des maquis de la Résistance à Notre-Dame-des-Landes
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Insoumis

Meetings en multiplex avec recours très médiatisé à un hologramme, activité intense sur Youtube et les réseaux sociaux, la campagne de Jean-Luc Mélenchon a accordé une très large place aux instruments de la modernité, faisant du leader de la France Insoumise, le candidat le plus « 2.0 » de la dernière campagne présidentielle.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Sylvain Manternach

Sylvain Manternach

Sylvain Manternach est géographe-cartographe, formé à l’Institut français de géopolitique, et auteur d'une note sur les résultats du second tour des élections départementales co-écrite avec Jérome Fourquet, Directeur du département Opinion et stratégie d'entreprises de l'Ifop. Parmi ses publications, on retrouve notamment : Perpignan, une ville avant le Front (avec Jérôme Fourquet et Nicolas Lebourg, Fondation Jean Jaurè), Karim vote à gauche et son voisin vote FN (collectif sous la direction de Jérôme Fourquet, éditions de l'Aube), L'an prochain à Jérusalem (avec Jérôme Fourquet, éditions de l'Aube). Prochainement, une double note de Sylvain Manternach (avec Jérôme Fourquet) sur la crise migratoire à Calais et la très nette augmentation du vote FN, paraîtra à la Fondapol. 

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Mais, s’il a parfaitement saisi la puissance conférée par ces outils technologiques pour mobiliser ses partisans et faire passer ses idées (s’inspirant en cela du « nord-américain » Bernie Sanders), Jean-Luc Mélenchon a su afficher cette hyper-modernité tout en mobilisant dans ses discours de nombreuses références et symboles historiques faisant des Insoumis de 2017, les héritiers de nombreux combats glorieux pour l’émancipation.

En tirantce fil rouge, il a voulu s’appuyer sur la puissance évocatrice et mobilisatrice d’événements ayant marqué les mémoires collectives. Ainsi, à Lyon, il entonna le chant des canuts qui fut repris poing levé par la foule. A Toulouse, il fit référence aux cathares et aux camisards avec un succès certain dans le public. On notera également que Jean-Luc Mélenchon arbore en permanence sur sa veste un petit triangle rouge qui correspond à l’insigne attribué par les nazis aux déportés politiques et aux résistants (souvent communistes) envoyés dans les camps. Le porter, plus de 70 ans plus tard, est une façon pour Jean-Luc Mélenchon de rendre hommage à ces résistants, tout en rappelant son engagement contre l’extrême-droite.

Parallèlement à l’usage massif des réseaux sociaux comme gage de modernité, l’inscription de sa démarche politique dans l’histoire des luttes et de la Résistance a été payante électoralement car elle lui a permis, au plan national, de capter tout un imaginaire encore vivace mais relativement délaissé par ses concurrents. La mise en avant de cette France Insoumise, rebelle et résistante, a résonné de surcroît avec une acuité toute particulière dans certains lieux et territoires de mémoire.

  1. Un survote Mélenchon dans les anciens maquis de la Résistance

L’analyse des résultats de l’élection présidentielle montre en effet que la candidature du leader de la France Insoumise a rencontré un écho particulier dans des terres marquées par l’histoire. C’est le cas notamment dans les régions où la mémoire de la Résistance demeure vivace. On constate ainsi que le vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon, qui atteint déjà un niveau assez élevé dans les départements limousins est encore plus important aux confins de la Haute-Vienne, de la Corrèze et de la Creuse, sur le plateau des Millevaches, zone où les maquis furent les plus nombreux et les plus actifs au cours de la Seconde Guerre mondiale. C’est le cas notamment dans le sud-est de la Haute-Vienne, terroir qui fut le fief de Georges Guingouin, le « Préfet du maquis ». Fortes de plusieurs milliers d’hommes à la fin de la guerre, les troupes du résistant communiste menèrent une lutte très active contre l’occupant et les troupes vichystes. Signe de la combativité de ce maquis et de l’enracinement du PC, les Allemands surnommèrent cette région la « Petite Russie ». Ces cantons ont été le théâtre de nombreux coups de mains, sabotages et combats. S’appuyant sur une implantation communiste préexistante[1] renforcée par l’apport de réfugiés républicains espagnols, tout un réseau très maillé s’est constitué organisant des terrains de parachutage pour recevoir des armes, des caches pour les réfractaires du STO et même des centres d’entraînement. Ainsi, à Eymoutiers, où eut lieu le 1er sabotage des maquis de la Haute-Vienne, le 12 décembre 1942, Jean-Luc Mélenchon recueille 29,1% des suffrages et fait mieux encore dans les communes voisines de Saint-Amand-le-Petit, Sainte-Anne-Saint-Priest et Nedde avec respectivement 35,9%, 41,7 % et 41,9% des voix. A Sussac, théâtre de la bataille du Mont Gargan en juillet 1944, lors de laquelle les résistants perdirent près de 40 hommes et éliminèrent plus de 300 soldats allemands et miliciens, Jean-Luc Mélenchon obtient 33% des suffrages. Les combats et les drames (les maquisards ayant payé un lourd tribut), mais aussi toutes ces activités et ces réseaux liés à la Résistance active pendant plusieurs années ont marqué de leur empreinte profonde la mémoire collective dans cette région.

Le souvenir de cet état d’esprit a été transmis à titre individuel et personnel dans les familles, mais aussi au plan collectif et officiel avec la présence de musées, de monuments commémoratifs et l’organisation de cérémonies du souvenir régulières mobilisant anciens combattants et résistants, élus locaux et habitants des communes en question. Cette mémoire particulière ainsi entretenue a contribué à conforter l’influence électorale du PC dans ce territoire et plus largement à y ancrer les valeurs de la Résistance mais aussi une disposition d’esprit particulière, propice à la contestation ou l’insoumission, chère à Jean-Luc Mélenchon et ses troupes. Ainsi, dans la Creuse, à La Villedieu et Faux-la-Montagne, communes limitrophes de la zone de la Haute-Vienne évoquée précédemment, et qui connurent un bref épisode d’opposition à la conscription pour la Guerre d’Algérie en mai 1956[2], Jean-Luc Mélenchon obtient 51,3% et 50% des suffrages. Dans la commune voisine de Gentioux-Pigerolles, où le candidat de la France Insoumise recueille 41% des suffrages, se dresse un célèbre monument aux morts, sur lequel des générations d’habitants et de militants ont pu lire « Maudite soit la guerre, maudits soient ses bourreaux, Baudy n’est pas un lâche, mais un martyr[3] ». Dans ces communes, où le souvenir de ces évènements reste vivace, les déclarations de Jean-Luc Mélenchon, « candidat de la paix » lors de son meeting à Marseille le 9 avril 2017, semblent avoir fait mouche.

Enfin, en Corrèze, toujours sur le Plateau des Millevaches et à quelques kilomètres seulement des communes évoquées précédemment se trouve Tarnac, où Jean-Luc Mélenchon recueille 29,2% des voix et où Armand Gatti, journaliste et lauréat du prix Albert Londres en 1954 est une des figures locales de la Résistance. Ce dernier prit le maquis à 18 ans en se cachant dans la forêt de Berbeyrolle, située sur la commune. Si la mémoire locale de la Résistance reste vive, c’est l’affaire dite « de Tarnac » qui a valu à la commune de réapparaître récemment dans l’actualité. Le 11 novembre 2008, 10 personnes sont arrêtées à Tarnac et mises en garde à vue (dont Julien Coupat, considéré comme le « leader » du groupe) dans le cadre d’une enquête sur le sabotage d’une ligne TGV le 8 novembre 2008. La qualification « terroriste » des faits reprochés a provoqué une vive polémique et la mise en place d’un comité de soutien dont le porte-parole est Thierry Letellier, maire de La Villedieu.

Plus de 70 ans plus tard, dans ces terroirs peu dynamiques démographiquement et donc sans afflux de population allogène, cet état d’esprit demeure vivace et le candidat de la France Insoumise, arborant le triangle rouge des déportés communistes, a obtenu des scores relativement importants dans ces terres de Résistance. Ces différents épisodes de l’histoire locale valent l’appellation de « Plateau insoumis » ou encore « plateau des Résistances[4]  » au terroir du plateau des Millevaches, où projets alternatifs et autogérés et agriculture biologique se développent et s’épanouissent.

Le survote en faveur de Jean-Luc Mélenchon dans les anciennes zones de maquis du Limousin n’est pas un cas isolé. On retrouve en effet le même phénomène dans d’autres régions où la Résistance fut particulièrement active. On pense bien évidemment au Vercors. Dans la partie iséroise du massif, le candidat atteint ainsi 27,4% à Saint-Nizier-du-Moucherotte et 29,6% à Malleval pour une moyenne départementale de 20,5%. Sur le versant drômois, les scores sont également sensiblement plus élevés que la moyenne départementale (20,1%) comme en témoignent les résultats à La Chapelle-en-Vercors (25,6%), Saint-Martin-en-Vercors (28,4%), Vassieux en-Vercors (29,9%) et Saint-Agnan-en-Vercors (32,8%).

Plus au sud, dans le même département, Jean-Luc Mélenchon recueille 34,7% (soit 14,6 points de plus que la moyenne départementale) dans la commune d’Eygalayes, à proximité de laquelle le maquis du Ventoux fut décimé par les nazis et la milice à Izon-la-Bruisse en février 1944.

On observe le même phénomène dans le massif du Canigou (Pyrénées-Orientales) où le maquis Henri Barbusse fut actif avant d’être attaqué dans la petite commune de Valmanya en août 1944. Le village qui fut détruit à l’époque par les Allemands, a accordé 39% des voix à Jean-Luc Mélenchon contre une moyenne départementale de 21,1%. Ce très net survote se retrouve également dans les petites communes voisines comme Corsavy (31%), Baillestavy (37,5%) et Taurinya (39,1%). Dans ces communes, l’influence électorale du PC s’est d’abord nourrie de l’activité minière (mines de fer du Canigou) et a été ensuite renforcée par l’accueil de Républicains espagnols, puis par la Résistance. A cet héritage ancien, s’est ajoutée, à partir des années 70, l’implantation de néo-ruraux souvent acquis à la gauche alternative ou radicale. La sédimentation de ces différentes strates a abouti à un écosystème local très favorable au message porté par Jean-Luc Mélenchon.

La région des Vans dans le sud de l’Ardèche (à proximité du Gard) présente de nombreuses similitudes avec ce versant du Canigou. Aux confins des Cévennes, le PC s’est implanté précocement dans le bassin charbonnier. Ici aussi, les maquis FTP, composés de mineurs communistes et de Républicains espagnols, ont été actifs et ont affronté les Allemands dans la région d’Orgnac et de la Banne. On entretient encore la mémoire et la flamme de la Résistance dans ces villages, qui eux-aussi ont vu s’installer des néo-ruraux. L’influence de la Confédération paysanne et de la mouvance altermondialiste est significative dans ces territoires et se manifeste par exemple par des actions anti-OGM ou anti-gaz de schiste. Cette superposition d’un passé communiste et résistant et d’une culture de gauche alternative contemporaine a constitué un terreau très favorable au candidat des Insoumis qui a ainsi recueilli par exemple 25,8% à Banne (pour une moyenne départementale de 21,8% en Ardèche), 27,2% à Gravières, 28,2% à Valgorge, 28,5% à Saint-André de Cruzières, 28,7% aux Vans et jusqu’à 48% dans le petit village de Malarce-sur-la-Thines, où José Bové avait rassemblé 16% des voix en 2007.

Cependant, tous les maquis ne se caractérisent pas par la même histoire et la même sociologie locale, ni par le même tropisme mélenchonien. Ainsi par exemple, sur le Plateau des Glières, autre haut-lieu de la Résistance, où la mémoire des combats contre l’occupant et Vichy demeure vive, le candidat au petit triangle rouge fit nettement moins recette avec un score de 15,6% à Filière (commune ayant absorbé récemment Thorens-Glières) et seulement 13,4% au Petit-Bornand-Les-Glières. Dans cette Haute-Savoie conservatrice, le maquis très actif qui se développa ne fut pas d’obédience communiste mais gaulliste avec un encadrement fourni par des officiers d’active et un rattachement à l’Armée Secrète. Cette différence n’avait pas échappé à Nicolas Sarkozy qui fit plusieurs déplacements aux Glières, choisissant ce « maquis de droite » comme symbole historique.

  1. Le candidat des Insoumis enregistre de bons scores dans la France de José Bové et à Notre-Dame-des-Landes

Les cas de Tarnac ou de certaines communes du massif de Canigou ou ardéchoises ont mis en lumière qu’un vote élevé en faveur du candidat des Insoumis pouvait trouver son origine dans l’empreinte laissée par un maquis souvent communiste ou communisant, mais aussi par la présence d’une mouvance alternative et/ou néo-rurale ou post-soixante-huitarde.

La lutte contre l’extension d’un camp militaire sur le Plateau du Larzac a été l’un des foyers de mobilisation emblématiques de la gauche alternative dans les années 70. Si ce lieu n’a pas été, contrairement aux autres cas évoqués précédemment, marqué par l’existence d’un maquis durant la Seconde Guerre mondiale, le combat pour lutter contre les expropriations des paysans locaux (avec comme mot d’ordre « Gardarem Lo Larzac ») mêlant anti-militarisme, gauchisme, régionalisme et convictions écologistes, a constitué un épisode fondateur pour ce territoire. Des dizaines de milliers de militants ont convergé sur le plateau lors de grandes manifestations, un certain nombre d’entre eux y sont restés et, comme José Bové, se sont mêlés à une population locale ayant fait l’objet d’un processus de politisation tout à fait singulier, et ce, sur une période très étendue. Or, cet épisode historique particulier a laissé des traces profondes et la mémoire de cette lutte, comme d’une certaine manière les combats de la Résistance, imprime toujours sa marque sur les mentalités locales.

Le candidat des Insoumis, qui a ajouté à son programme tout un volet écologiste, a manifestement capté toute une part de cet électorat contestataire et néo-rural. Alors qu’il obtenait en moyenne 19,7% dans le département de l’Aveyron, son score était plus élevé sur le plateau rebelle. Il atteignait ainsi 23,4% à la Couvertoirade, 24% à Millau, 24,3% à Sainte-Eulalie-de-Cernon et 24,5% au Caylar. Le record est obtenu à la Roque-Sainte-Marguerite, 37,5%, commune dont dépend le village de Montredon, qui fut l’épicentre du mouvement, où vivent encore de nombreux acteurs de cette lutte qui entretiennent cette mémoire et cet état d’esprit frondeur. Le niveau du vote Mélenchon est nettement plus faible dans les communes voisines de La Cavalerie (18,2%) et de l’Hospitalet-du-Larzac (20,6%) où votent d’importants effectifs militaires, car si le camp du Larzac n’a pas été agrandi, il accueille toujours des militaires et un contingent de près de 450 légionnaires a récemment été affecté dans cette implantation. Cette forte présence militaire est électoralement plus favorable à Marine Le Pen (29,7% à l’Hospitalet-du-Larzac et 33,7% à La Cavalerie) qu’au candidat de la France Insoumise[5].

Si Jean-Luc Mélenchon est parvenu à récupérer la majeure partie de l’héritage communiste qu’il s’agisse des anciennes régions marquées par la Résistance ou des bastions ouvriers traditionnels (Valenciennois, agglomération havraise, rouennaise, sillon lorrain, Vierzon etc…), le candidat des Insoumis a manifestement capté en 2017 une grande partie d’un autre courant de la gauche radicale, qui s’était reconnu dans José Bové et ses combats altermondialistes et écologistes. C’est manifeste sur l’emblématique plateau du Larzac, mais cela se vérifie un peu partout dans le sud de la France. Ainsi par exemple en Ariège, dans l’Aude ou bien encore dans la Drôme, les communes qui avaient fortement voté en 2007 pour le leader de la Confédération paysanne et le démonteur du Mac’ Do de Millau ont octroyé cette année des scores très élevés à Jean-Luc Mélenchon.

Par-delà ces exemples, on constate d’une manière générale que le vote Mélenchon a été très corrélé au vote Bové en 2007. Certes, les niveaux globaux ne sont pas comparables (1,3% pour Bové au plan national contre près de 20% pour Mélenchon cette année) de telle sorte que la dynamique du candidat de la France Insoumise ne s’explique que marginalement par l’apport de cet électorat Bové, mais ces chiffres indiquent que les territoires qui avaient été les plus réceptifs au paysan du Larzac en 2007 se sont nettement tournés vers Jean-Luc Mélenchon cette année.

Le Larzac n’est pas le seul lieu où la contestation post-soixante-huitarde s’est cristallisée dans les années 70. Un mouvement d’opposition à la construction d’une centrale nucléaire dans la commune de Plogoff dans le Finistère a généré également une forte mobilisation et des affrontements violents se sont produits avec les forces de l’ordre notamment en 1980. Mais à la différence du Larzac, ce mouvement ne s’est pas accompagné par l’installation sur place de militants et, si le souvenir de cette période demeure réel, l’état d’esprit local n’est pas le même que sur le plateau aveyronnais. En dépit de son passé frondeur, Plogoff a fortement voté, à l’instar de l’ensemble du Finistère, pour Emmanuel Macron et assez peu pour le candidat de la France rebelle, pourtant par ailleurs favorable à la sortie du nucléaire.

Aux confins de la Bretagne, en Loire-Atlantique, un autre projet d’aménagement d’infrastructure suscite depuis plusieurs années une mobilisation assez comparable. Il s’agit du projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Plusieurs grandes manifestations ont eu lieu sur place et à Nantes, rassemblements auxquels Jean-Luc Mélenchon a pris part à au moins deux reprises. Parallèlement à ces manifestations pacifiques, des affrontements entre opposants au projet et forces de l’ordre se sont produits pendant plusieurs semaines. Le site a été érigé en ZAD, « Zone A Défendre », et les militants locaux ont reçu le soutien de plusieurs centaines d’activistes et d’alternatifs. Les « zadistes » contrôlent plusieurs hameaux sur place, la mobilisation contre le projet ne faiblit pas et s’est inscrite dans la durée[6].

Toutes choses étant égales par ailleurs, tout se passe comme si un processus similaire au Larzac des années 70 s’était développé dans le bocage nantais. Dans ce terroir rebelle, le candidat des Insoumis a atteint 30,6% en 2017 et il semble qu’il ait capitalisé sur son opposition affichée à ce projet. Non seulement son score dans la commune contestataire est très supérieur à sa moyenne départementale (30,6% contre 22%), mais il y a nettement plus progressé par rapport à 2012 que dans l’ensemble de la Loire-Atlantique[7].

L’opposition à la construction du barrage de Sivens, sur la commune de Lisle-sur-Tarn (dans le département du Tarn), a elle-aussi donné lieu à une puissante mobilisation. Une ZAD s’est constituée sur la zone du Testet où le barrage avait commencé à être construit et des affrontements très violents eurent lieu à l’automne 2014 se soldant par la mort d’un jeune opposant au barrage, Rémi Fraisse en octobre 2014. L’abandon du projet initial en décembre 2015 ainsi que le démantèlement de la ZAD n’ont pas permis l’implantation et le développement sur le long terme d’une mouvance « alter » et contestataire comme cela a été le cas à Notre-Dame-des-Landes. Mais le décès du jeune militant a constitué un choc dans la région et la mobilisation contre ce barrage a laissé des traces dans l’ouest du département. Bien qu’il ait été chahuté par des « zadistes » radicaux quand il s’était rendu à l’époque sur place lors d’un week-end de manifestation, Jean-Luc Mélenchon semble avoir bénéficié d’un soutien un peu plus prononcé autour de Lisle-sur-Tarn (commune dont dépend le site de Sivens).Comme le montre le tableau suivant, la progression du vote Mélenchon entre 2012 et 2017 et son niveau cette année, sont plus importants dans cette zone que dans la moyenne du département.

Plus au sud, la vallée d’Aspe, dans les Pyrénées-Atlantiques, fut également le théâtre à la fin des années 90 et au début des années 2000 d’une opposition locale virulente à un autre projet d’aménagement routier cette fois : le tunnel du Somport. Dans ce territoire économiquement peu dynamique, la sociologie de la population n’est pas sans rappeler celle d’autres régions de montagne du sud de la France (Ardèche, Pyrénées-Orientales) que nous avons évoquées précédemment et se compose en bonne partie de retraités, de fonctionnaires, de néo-ruraux et de petits agriculteurs et éleveurs pratiquant souvent l’agriculture bio ou la vente directe aux particuliers. La défense des services publics et l’opposition aux projets d’infrastructures ont donné naissance à des collectifs et des associations qui jouent un rôle actif dans la sensibilisation de la population locale aux  combats écologistes et altermondialistes. Cet écosystème a été favorable ici aussi à Jean-Luc Mélenchon qui y a obtenu des résultats élevés. Comme le montre le graphique suivant, ce vote a été fortement concurrencé dans le bas de la vallée par la candidature de Jean Lassalle, l’enfant du pays qui recueille 69% des voix dans sa commune de Lourdios-Ichère et près de 40% dans les villages voisins d’Escot et de Sarrance. Mais c’est le vote Mélenchon qui domine dans le milieu de la vallée et plus encore dans les communes les plus proches de la frontière espagnole et du tunnel.



[1] Voir à ce sujet notamment Dominique Danthieux, « le communisme rural en Limousin : de l’héritage protestataire à la résistance sociale (de la fin du 19e siècle aux années 1960) ». Ruralia 16/17.2005

[2] Des habitants de La Villedieu et Faux-la-Montagne bloquèrent un camion de réservistes dont certains refusaient leur mobilisation. 

[3] Félix Baudy, qui refusa de monter à l’assaut d’une tranchée avec 250 de ses camarades a été fusillé en 1915 et réhabilité en 1934 (ainsi que ses 3 compagnons d’infortune) est originaire de la commune voisine de Royère-de-Vassivière.

[4]Par exemple respectivement dans les émissions du 24 mai 2013 sur France Inter et du 23 août 2016 sur France Culture.

[5] Voir à ce sujet : Ifop Focus n°151 « 2012-2017 : une radicalisation du vote des membres des forces de sécurité ».

[6] Voir à ce sujet. Eddy Fougier : « Les zadistes : un nouvel anticapitalisme » et « Les zadistes : tentation de la violence ». Notes de la Fondapol. Avril 2014

[7] La contestation contre le site de stockage de déchets nucléaires à Bure dans la Meuse et les prémices de la constitution d’une ZAD sur place n’ont pas eu pour l’heure la même traduction électorale. Dans ce territoire politiquement et sociologiquement très différent de Notre-Dame-des-Landes, c’est le FN qui règne sans partage avec un score de 34,7% pour Marine Le Pen à Bure contre seulement 6,1% pour Jean-Luc Mélenchon. Dans les communes voisines (Ribeaucourt, Mandres-en-Barois et Montiers-sur-Saulx), le FN oscille entre 30 et 40% quand le score du candidat des Insoumis est inférieur à 10%.

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