Mais pourquoi les militants pro-euthanasie ne voient-ils pas que très peu de gens sont finalement concernés ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La loi actuelle permet, et même incite, à supprimer la souffrance et reste donc assez bien adaptée à la phase terminale.
La loi actuelle permet, et même incite, à supprimer la souffrance et reste donc assez bien adaptée à la phase terminale.
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Fin de vie

On estime que 10 000 personnes seraient concernées chaque année par l'euthanasie. Pour Jean Leonetti, il est avant tout essentiel d'améliorer les soins palliatifs. Il faudrait également mieux connaître les raisons pour lesquelles une personne demande la mort.

Jean Leonetti

Jean Leonetti

Jean Leonetti est député des Alpes-Maritimes, maire d'Antibes  et ancien vice-président de l'UMP (defévrier 2013 à juin 2014. Médecin, ancien directeur du service de cardiologie du centre hospitalier d'Antibes, il a présidé la mission parlementaire sur l'accompagnement de la fin de vie, qui a conduit à l’adoption de la loi du 22 avril 2005, appelée loi Leonetti. Il a été ministre chargé des Affaires européennes de juin 2011 à mai 2012.

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Atlantico : Aujourd’hui, en France, combien de personnes seraient concernées par l’euthanasie ?

Jean Leonetti : Pour répondre à cette question, la seule manière de procéder est de transposer la loi belge ou néerlandaise, puisque les propositions qui sont faites s’inspirent de ces deux pays qui ont dépénalisé l’euthanasie. Si l’on tient compte des différences de populations cela correspondrait environ à 10 000 euthanasies par an en France, soit une euthanasie toutes les dix minutes.

Qui est le plus souvent à l’origine de la demande de soins palliatifs ? Selon une étude publiée par l'European Journal of Cancer, dans environ 40% des cas ce ne serait pas le malade lui-même qui la formulerait.

Il existe au fond deux situations caricaturalement différentes : dans le cas d’une personne en fin de vie (en période quasi terminale), l’initiative vient la plupart du temps de l’entourage. Par contre, lorsque le malade est loin de sa fin de vie, comme dans le cas de Vincent Humbert, la demande émane le plus souvent de la personne elle-même.

La loi actuelle permet, et même incite, à supprimer la souffrance et reste donc assez bien adaptée à la phase terminale. Si l’on applique la loi, on ne devrait plus physiquement ou psychologiquement souffrir en fin de vie. La loi ne pose donc pas de problèmes. C’est souvent la famille, épuisée, qui réclame que l’on accélère le processus pour que la fin arrive plus tôt.

En ce qui concerne les cas où la demande émane d’un malade qui est loin de sa fin de vie mais qui juge que celle-ci ne vaut pas la peine d’être vécue, l’entourage est généralement modérément enclin à soutenir la demande. Ici, la loi n’est effectivement pas adaptée puisque il s'agit uniquement d'une appréciation personnelle. Il n’y a pas de souffrances physiques intolérables, il y a une souffrance morale. On se retrouve alors davantage dans un contexte de suicide assisté. Mais dans ce cas, on n’accompagne pas une fin de vie, on interrompt une vie.

Sommes-nous aujourd’hui en mesure de savoir le nombre de personnes qui pourraient demander chaque année en France à être euthanasiées et les raisons pour lesquelles elles formuleraient cette demande ? L’étude de l'European Journal of Cancer indique par exemple que seuls 3,7% des malades le demandent à cause de la douleur physique.

Il n’y a pas d’études globalisées, mais il existe des études sur les demandes de soins palliatifs. Les demandes de mort sont exceptionnelles, même s’il ne faut pas nier qu’elles existent.

Pour ne pas avoir envie de mourir, il existe trois éléments majeurs : le premier est de ne pas souffrir, le deuxième tient au sentiment d’abandon du corps médical lorsque celui-ci estime qu’il ne peut pas sauver le malade, le troisième est l’absence de perception d’un sens à la vie. Les deux premiers restent les plus importants.

On parle toujours de la liberté de l’individu. Mais quand le malade se sent abandonné, c’est par les autres. Il y a donc une large part de responsabilité venant de l’entourage. La dignité se lit dans le regard de l’autre, "on n’a jamais honte tout seul", comme le disait joliment Sartre.

Si l’on ne sait pas combien de personnes pourraient être concernées par l’euthanasie, sommes-nous en mesure de déterminer s’il s’agit d’un phénomène majeur ou marginal ?

Cela concerne en vérité peu de monde. Les gens sont surtout préoccupés par le fait qu’on les prolonge artificiellement, anormalement. J’ai rarement vu des malades qui ne souffraient pas et qui ne se sentaient pas abandonnés vouloir mourir. Si on traite suffisamment tôt le malade via des soins palliatifs, alors la demande de mourir devrait diminuer. Je ne dis pas qu’elle sera nulle, je dis que si l’on applique bien la loi, ces demandes devraient rester exceptionnelles.

Il y a eu des travaux effectués, notamment par le docteur Edouard Ferrand, qui montrent que l’on envoie les gens en soins palliatifs, une fois sur deux, parce qu’ils demandent de mourir. Alors que l’on ne devrait pas attendre que la souffrance soit telle que l’on demande la mort. On devrait anticiper et essayer de soigner les gens. On entreprend donc les soins palliatifs dans une phase trop tardive. On nie souvent la mort, la souffrance et la douleur. Et au dernier moment, on décide de faire des soins palliatifs, alors que ceux-ci doivent accompagner un malade très tôt, en amont. Ces mauvaises pratiques induisent une augmentation des demandes de mort.

Donner la mort à quelqu’un qui a encore beaucoup de vie devant lui, c’est prendre le risque inhumain qu’il puisse changer d’avis. Par conséquent, en lui donnant la mort, même s’il le demande, on altère sa liberté.

Comment peut-on aborder sereinement la délicate question de la fin de vie lorsque si peu d’études existent ?

Quand on a travaillé sur la fin de vie, on a bien vu qu’on était souvent sur du médiatique, du passionnel voire de l’émotionnel. On a essayé de rationaliser. Si l’on crée des lois, il faut bien dire à qui elles s’adressent. On n’a pas droit au flou. Si l’on peut certes laisser un espace à l’interprétation, on ne peut pas non plus laisser une marge trop importante.

Il faut donc aborder ce problème, à la fois de la manière la plus humaine possible, mais aussi de manière scientifique. Il faut plus d’études. Il faut savoir pour quelles raisons la personne demande la mort. Si elle me demande la mort parce que sa femme l’a quitté, cela pose un problème moral à la société ; s’il la demande parce qu’il souffre physiquement, cela pose un problème scientifique : il s’agit de trouver un moyen d’apaiser cette douleur.

Ce sujet est souvent traité de façon caricaturale et médiatique entre le pro et les anti-euthanasie. Il faudrait plutôt l’aborder de façon scientifique.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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