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La fin du CDI, c'est maintenant et ça n'a rien à voir avec la réforme du code du travail mais tout avec la réalité du marché de l'emploi
©LOIC VENANCE / AFP

CDD à l'infini

Selon l'OCDE, le taux de transition d'un contrat de travail temporaire en contrat de travail permanent serait bien plus faible en France que dans les autres pays de l'Union européenne.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : Selon les chiffres fournis par l'OCDE, le taux de transition d'un contrat de travail temporaire en contrat de travail permanent serait bien plus faible en France (autour de 10%) que dans les autres pays de l'Union européenne (plus de 20%) qu'en Allemagne (plus de 30%) ou qu'au Royaume Uni (proche de 60%). Comment expliquer cette exception française ? Quels sont les freins à cette transformation ? 

Gilles Saint-Paul : Ces chiffres sont très surprenants au regard du fait que selon Eurostat, en 2015, année des chiffres de l’OCDE dont la source est également Eurostat, 85 % des salariés étaient en CDI. Certes, on s’attend à ce que les CDI dominent plus dans le stock d’emploi que dans les embauches, puisque les CDD se terminent plus vite et sont parfois convertis en CDI – de la même façon qu’une baignoire peut être moins pleine qu’une autre bien que profitant d’un afflux d’eau supérieur, parce qu’elle pâtit d’une fuite plus importante. Cependant, on sait que 85 % des embauches sont en CDD, et il est pratiquement impossible que 85% des emplois soient en CDI si seulement 10 % des CDD débouchent sur des CDI. 

Malgré ces réserves sur les données, il s’agit là d’une évolution récente et préoccupante à la fois. La sortie de crise a été caractérisée par une hausse considérable des embauches en CDD, tandis que malgré la reprise modérée les embauches en CDI ont continué à baisser. Ainsi, la part des embauches en CDD est passée de 70 % en 2008 à 85 % en 2015. Ce recul du CDI par rapport au CDD se traduit également dans les chiffres de conversions du CDD en CDI rapportés par l’OCDE.

Cette évolution suggère que la reprise entamée depuis le creux de la crise est entachée d’incertitude. Les entreprises sont réticentes à embaucher en CDI car elles font face à une grande incertitude sur la fiscalité et sur les réformes. Ceci étant, il faut se garder des comparaisons internationales. En France, le droit du travail spécifie très clairement et précisément le type de contrat de travail qui peut être signé, les conditions selon lesquelles on peut y avoir recours ou y mettre fin, etc. Un CDI est un contrat où il est très coûteux pour l’entreprises de licencier, ce qui n’est absolument pas le cas des équivalents du CDI en Grande Bretagne.Il n’est donc pas surprenant que dans ce dernier pays, la plupart des contrats temporaires soient convertis en contrats permanents. Ces contrats permanents ne représentent pas les mêmes contraintes pour l’entreprise que leur équivalent Français, et si la législation britannique contraignait les entreprises à n’offrir que des CDI « à la française », ceux-ci seraient tout aussi impopulaire que de ce côté-ci de la Manche.

Qu'est ce que ce chiffre révèle du marché de l'emploi en France ? Quelle est l'utilisation des CDD faites par les entreprises ? 

Au fil du temps et du durcissement de la réglementation, les entreprises ont développé une véritable phobie de l’embauche et de la protection de l’emploi. Elles n’embauchent qu’en dernier recours et, si elles embauchent, elles privilégient la forme d’emploi la plus flexible possible. Ainsi, CDI, stages et sous-traitance ne sont pas dûs à la nature du travail à effectuer mais à la recherche de la forme de contrat la plus économique du point de vue de l’employeur. En conséquence, le caractère extrêmement protecteur du marché du travail français se retourne contre ceux que la réglementation prétend protéger, puisqu’il les maintient dans la précarité en rendant l’accès au CDI de plus en plus difficile. 

Quelles sont les pistes à explorer permettant de rectifier le tir de cette situation, et ainsi offrir une perspective aux personnes bloquées dans des CDD ? 

Ces pistes ont été maintes fois évoquées dans la presse et les rapports officiels. Le consensus est que le dualisme du marché du travail français doit être réduit, en rendant le CDI plus attractif pour les entreprises, c’est-à-dire en facilitant le licenciement. Certains préconisent de compenser cela en taxant les CDD, quoique l’argument économique en faveur d’une telle mesure soit relativement faible. D’autres sont partisans d’un contrat de travail unique, dont le niveau de protection du salarié augmenterait en fonction de son ancienneté dans l’entreprise. Cependant, ces propositions de réforme se heurtent au fait que la situation actuelle procède d’un équilibre politique, comme je l’ai montré dans des travaux déjà anciens. Le dualisme permet de conjuguer protection des travailleurs en CDI et flexibilité pour les entreprises. Ce compromis se fait au détriment des nouveaux entrants sur le marché du travail (comme les jeunes) et des travailleurs peu attachés à ce marché (les travailleurs âgés et les mères de famille). Mais il est difficile de mettre en place un système alternatif qui ne se heurterait pas à l’opposition de certains groupes d’intérêts. Le « contrat unique », par exemple, profiterait  sans doute aux travailleurs précaires. Mais les syndicats risquent de s’y opposer s’il augmente le risque de perte d’emploi chez les travailleurs en CDI. Et les entreprises pourraient bien lui préférer le système actuel s’il leur ôte le volant de flexibilité que constituent les CDD. Il n’est donc pas étonnant que le système dual perdure depuis plusieurs décennies dans plusieurs pays d’Europe, qui sont ceux (Espagne, Italie, France) où la réglementation du travail est la plus contraignante pour les entreprises qui emploient des travailleurs protégés. 

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