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"J’ai toujours aimé la France, mais"... : les relations très paradoxales qu’entretiennent certains djihadistes avec leur pays natal
©Reuters

Bonnes feuilles

Ni fous, ni ignares, les « soldats de Dieu » n’en sont que plus dangereux. Cet ouvrage présente les cadres cognitifs (idéologies, doctrines, visions du monde, valeurs) développés par des acteurs islamistes djihadistes. Alors que beaucoup a été dit sur les trajectoires de ces militants islamistes, on sait finalement peu de choses des discours qui les animent, des haines qui les habitent et de leur rapport à la France, à la démocratie, à la politique, au monde qui les entoure. Extrait de "Soldats de Dieu" - Paroles de djihadistes incarcérés, de Xavier Crettiez et Bilel Ainine, co-édité par l'Aube et la fondation Jean-Jaurès (1/2).

Xavier Crettiez

Xavier Crettiez

Xavier Crettiez est professeur de sciences politiques à l’université de Versailles Saint-Quentin. Spécialiste de la question de la violence politique en Corse, il a publié en 1999 La question Corse, puis en 2010 l'ouvrage Les violences politiques en Europe : un Etat des lieux, en collaboration avec Laurent Mucchielli.

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Bilel Ainine

Bilel Ainine

Bilel Ainine est docteur en sciences politiques, chercheur au Cesdip (CNRS) et chargé de mission à la MIVILUDES.

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Ibra déclare très vite, en s’étonnant de notre étonnement, son amour pour la France : « Pour revenir au foyer, et tout ça, honnêtement, dans le foyer, j’étais heureux, j’allais en vacances, je partais au ski avec mes amis, j’ai fait le tour de la France grâce au foyer. Je ne peux rien reprocher au foyer, je ne peux que remercier la France qui a pris soin de moi. Parce que je n’ai rien contre la France. S’il n’y avait pas eu ces institutions, je ne sais pas ce que j’aurais pu faire avec ma mère quand elle me maltraitait, et tout ça. Honnêtement, je pense avoir eu une enfance assez heureuse. »

Bassil va dans le même sens lorsqu’il évoque sa chance d’avoir immigré en région parisienne : « En fait, je n’avais pas les mêmes intérêts que les autres, surtout que j’étais né en Afrique, j’étais venu pour la réussite. C’était une chance pour moi d’être venu en France, chez nous on adorait la France, ça aurait pu être un autre de mes frères ou mes cousins, voilà. J’ai grandi avec cette idée. J’étais bon à l’école. Au niveau du comportement, ce n’était pas vraiment ça, mais pour les résultats, il n’y avait rien à dire. J’avais des facilités, j’ai toujours eu entre… La plus mauvaise note que j’aie eue, c’est 13. »

Choukri, tout en manifestant son adhésion aux valeurs de la France, insiste sur sa souffrance en tant que musulman, comparant le musulman à une « bête de foire » au service d’une élite distante : « Je me suis toujours senti français. J’ai toujours voté. J’ai toujours respecté les valeurs de la France. Mais là, avec tout ça, ça devient plus dur, et j’utilise peut-être un terme excluant. Disons que je distingue plusieurs groupes en France  : les musulmans qui sont des bêtes de foire, l’élite qui s’en fout de tout le monde et qui se barrera dans ses hélicos dès que ce sera la merde, et les Français en général. Ça, c’est pour faire simple, on peut distinguer d’autres catégories, mais c’est pour aller vite. Donc voilà. J’ai toujours aimé la France. Je connais même La Marseillaise. Et je suis sûr que plein de Français ne la connaissent même pas. J’ai toujours aimé la France, mais avec ce qu’elle m’a fait [son incarcération très mal vécue]… J’aurais sans doute du mal à travailler. »

Omar évoque pareillement une véritable affection pour la France, dont il admire l’aura internationale. Mais son projet universel lui semble en concurrence avec l’islam : « Je n’ai jamais détesté la France, je pensais que c’était vraiment un beau pays qui offrait de multiples opportunités. Mais maintenant, je pense qu’il n’y a plus les mêmes libertés qu’avant. Peut-être que ce n’est pas mon idéal, mais pour moi ça reste un grand pays. La France n’a jamais été connue comme une grande puissance militaire et économique. La France, c’est plutôt les idées. Elle brille par ses idées et sa culture dans le monde. Bien sûr, ça me parle, et pour moi, d’ailleurs, l’islam est un modèle universel également. Donc c’est quelque chose qui me parlait parce qu’il y avait une certaine ressemblance […]. Pour moi, ce sont des systèmes en concurrence. Je n’ai jamais pensé qu’ils devaient être en confrontation. C’est comme une concurrence entre deux constructeurs de voitures, il n’y aura jamais un choc. »

Dans le même sens, Michel reconnaît à la France une forme de supériorité morale sur bien des pays musulmans, mais formule le constat d’une vie impossible pour le croyant radical qu’il est : « Ce que peut être une hidjra… Parce qu’il y a aussi une hidjra d’une terre de mécréance vers une terre d’islam où on peut vivre un peu mieux. Et moi, je pense qu’on vit moins bien dans un pays arabe qu’en France parce qu’en France on ne risque pas la torture et on a plus de droits que dans ces dictatures. C’est une migration, mais pas vraiment une hidjra. Mais bon, mon projet, quand je sortirai de prison, c’est de partir au Maroc parce que mon épouse, ma nouvelle épouse, est marocaine. Parce qu’en France, ça devient un peu pesant. »

Choukri  abonde dans ce sens. Il relie son rejet de la France admirée à la position de ses gouvernements à l’égard du monde musulman, en évoquant le déclin moral d’une nation «  efféminée  »  : «  On est incarcérés abusivement. Il y a du terrorisme, d’accord. À toutes les époques, il y a toujours eu du terrorisme. Mais la France est censée être le pays des droits de l’homme, et je suis en prison depuis trois ans alors que je n’ai rien fait ! Je ne ferai jamais d’attentat ! Je n’irai jamais sur un théâtre de combat ! Il faut être déter - miné et je n’ai pas cette qualité […]. En France, il y a systématiquement un problème avec l’islam. Je n’avais jamais vu ça avant. On se fascise sans s’en rendre compte. On [les musulmans] vous a aidés à libérer la Corse, et maintenant les Corses sont des racistes ! Regardez l’attitude des élus ! Ce sont des Marocains, des musulmans qui ont libéré la France, et vous avez vu comment on est traités  ! Les jeunes commencent à s’en rendre compte. Le problème, c’est qu’ils sont trop efféminés. Ils ont peur de la mort, de la guerre. Ils sont élevés comme ça. C’est avec des valeurs qu’on doit construire les jeunes générations. La France est censée être le pays des droits de l’homme. Les valeurs dont elle se réclame devraient logiquement conduire à protéger les musulmans. J’avais une grande image de la France. Je la voyais comme quelque chose de supérieur. Mais la France a tué beaucoup de musulmans dans le monde. Elle reste indifférente au massacre des musulmans en Syrie. Mieux vaudrait encore voter pour l’extrême droite car c’est sur nous [les Français musulmans] qu’ils taperaient. En tant que musulman et français, je ne suis pas d’accord avec ça ! »

Abdel porte un regard très négatif sur l’invirilité française, répétée plusieurs fois, aboutissant en miroir à un discours de glorification de la posture guerrière, ici assimilée au nationalisme russe portant honni, qui se fond dans le virilisme exacerbé propre au discours djihadiste : « Prenons les Russes, par exemple. Ils combattaient, ils criaient, ils aiment leur pays et tout. Ça, c’est une armée difficile à combattre parce qu’elle a un but. Mais prenez un Français, il va combattre quoi  ? La patrie  ? La patrie des jeunes, c’est Apple ! Le drapeau français, ils l’ont foutu dehors. Il n’y a rien de patriotique […]. Plus le temps avance, mieux c’est pour nous ! Parce qu’on voit bien comment devient la société française. Pour l’instant, elle ne se dirige pas vers un pays de combattants. »

Extrait de "Soldats de Dieu" - Paroles de djihadistes incarcérés, de Xavier Crettiez et Bilel Ainine, co-édité par l'Aube et la fondation Jean-Jaurès

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