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La presse française sous influence... mais de qui ?
©Capture d'écran Dailymotion

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Dans son long entretien au Point, Emmanuel Macron a ciblé aussi Le Figaro, dans une attaque à peine voilée. Mais cette question de la "consanguinité" de la presse française est l’arbre qui cache la forêt : la question de l’influence des GAFA parait plus préoccupante et dangereuse.

Jean-Marie Charon

Jean-Marie Charon

Jean-Marie Charon est sociologue, spécialiste des médias et chercheur au CNRS. Il a notamment co-dirigé avec Arnaud Mercier l'ouvrage collectif Armes de communication massives : Informations de guerre en Irak 1991-2003  chez CNRS Éditions

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Dominique Wolton

Dominique Wolton

Dominique Wolton a fondé en 2007 l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Il a également créé et dirige la Revue internationale Hermès depuis 1988 (CNRS Éditions). Elle a pour objectif d’étudier de manière interdisciplinaire la communication, dans ses rapports avec les individus, les techniques, les cultures, les sociétés. Il dirige aussi la collection de livres de poche Les Essentiels d’Hermès et la collection d’ouvrages CNRS Communication (CNRS Éditions).

Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Avis à la pub (Cherche Midi, 2015), La communication, les hommes et la politique (CNRS Éditions, 2015), Demain la francophonie - Pour une autre mondialisation (Flammarion, 2006).

Il vient de publier Communiquer c'est vivre (Cherche Midi, 2016). 

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Atlantico : Emmanuel Macron dans son entretien au Point s'est attaqué à l'indépendance de la presse. Il a critiqué la "consanguinité" entre une partie des industriels et la presse, s'arrêtant tout particulièrement sur le cas des lobbys de la défense, ciblant ainsi directement Le Figaro. Peut-on vraiment parler de consanguinité de la presse et des grands groupes industriels ? Et des lobbys en général ?

Dominique Wolton : Ce n'est pas un problème spécifique à la France, mais il est vrai que dans cette tentation de lier lobbys industriels et milieux politiques, la France est particulièrement touchée. Les marchands de canons ont toujours été plus ou moins propriétaires des grands groupes de presse. C'est un vrai problème démocratique. Il faudra un jour réussir séparer influence sur la presse et détention du capital – et même détention du capital d'information. Car la question est beaucoup plus forte en France en Europe et dans le monde depuis l'avènement d'internet. Le lobbying des industries est artisanal quand on le compare à celui des GAFA. Le problème n'est pas seulement de réguler l'influence de tel ou tel groupe mais de réguler l'influence énorme de ces GAFA. C'est beaucoup plus menaçant. 

Cependant, Dieu merci, l'influence est beaucoup moins importante qu'on ne le croit. On oublie qu'il ne suffit pas que quelqu'un dise quelque chose pour que le récepteur y adhère ! C'est là où toutes ces thèses de la part des propriétaires des médias comme de la part des politiques qui veulent réguler l'influence est un peu naïve parce qu'ils croient qu'il suffit que le Figaro parle pour qu'il soit cru par les gens. Non. Il y a une influence certes, mais on observe que cette influence est néfaste dans la durée. Le problème est donc plus complexe quand on parle d'industrie de l'information et de la communication. Et même au-delà de ces industries, c'est l'enjeu des industries de la culture et de la connaissance. 

Ce vieux problème qui traine depuis 1820 sans avoir jamais été résolu rebondit encore plus fort avec la question de la concentration des industries de la connaissance et de la culture, et de l'information. Il faudrait les réguler à minima pour que cela soit plus démocratique. Il faut limiter les concentrations, les fusions et la détention de plusieurs types de supports. 

Jean-Marie Charon : Le sujet n’est pas vraiment neuf. Le terme de « consanguinité » n’est pas le plus approprié, puisqu’il s’agit d’une dépendance capitalistique d’une part des médias à des groupes industriels de premier plan : Le Figaro dont le premier actionnaire est Serge Dassault, TF1 qui est une filiale de Bouygues, de Vivendi (Canal) contrôlé par Vincent Bolloré, etc. Le sujet n’est pas nouveau puisque dans les années 80 le groupe de Jean-Luc Lagardère était à la fois dans l’électronique et l’armement tout en contrôlant Hachette Filipacchi média l’un des premiers groupes mondiaux de magazines, alors que La Compagnie Générale des Eaux (devenue Véolia) créait Vivendi, etc..

S’agit-il d’un contrôle éditorial de l’information ? Le débat est récurrent sur le sujet ? Certes les dirigeants des groupes industriels ou leurs ne tiennent pas la main des journalistes au quotidien. En revanche, il s’agit d’un facteur d’autocensure, en même temps que les propriétaires peuvent avoir leur mot à dire dans le choix des dirigeants des rédactions.

Quelle a été l'évolution de cette situation ? La situation actuelle est-elle "meilleure" ou pire que dans le passé ? L'impact sur le lectorat est-il mesurable ? 

Jean-Marie Charon : La situation évolue en effet, sous la pression de la dégradation des modèles économiques liés au numérique. Des médias hier indépendants doivent leur salut à des rachats par ces groupes. On peut penser au Monde ou à Libération. Surtout de nouveaux géants industriels font leur entrée venant cette fois de l’univers des télécommunications et du numérique. Xavier Niel et Free ou Patrick Drahi et Altice pour la France. Jeff Bezos, Verizon ou ATT par exemple aux Etats -Unis. Leur influence est ici d’autant plus déterminante qu’ils entrent dans les médias pour reconfigurer le paysage de l’information et de la communication en cohérence avec leurs intérêts industriels et financiers. Les rachats qu’ils opèrent ou les partenariats qu’ils engagent sont marqués par un profond déséquilibre dans le partage des ressources, en même temps qu’ils privilégient les « marques médias » ayant le plus fort potentiel de développement tant d’images que de revenus. L’impact sur le public est d’autant plus substantiel que c’est par ces intermédiaires, fournisseurs d’accès, moteurs de recherche, réseaux sociaux que les individus ont et auront de plus en plus accès à l’information.

Dominique Wolton : Le problème est la multiplication des supports et la concentration des industries. Les supports électroniques sont en train de prendre le pas sur les industries de contenus : il y a tellement de tuyaux ! Ce sont les GAFA qui bouffent tout. Le tourisme, le commerce, tout est sous leur coupe. Et ils s'intéressent aujourd'hui à l'information, ce qui fait qu'il y a un vrai problème de séparation. 

Le lectorat dans un premier temps garde une distance idéologique habituelle, mais je pense par contre que ce lectorat n'est pas habitué pour l'instant aux pressions de la concentration entre presse écrite, radio et internet et ne voit plus comme avant. Il croit qu'internet c'est la liberté… ce qui est faux. Il manque une veille démocratique. D'une certaine manière, il y a un problème plus général que je souligne depuis des années : pourquoi est-ce que les médias ne sont pas les premiers à soulever les problèmes que posent les GAFA ? Parce que dans la tête de chaque journaliste, il y a cette idée naïve et fausse qui consiste à dire qu'internet, c'est la liberté. En confondant dictature et démocratie !

Le gouvernement a fait voter une loi de moralisation de la vie publique. Quelles pourraient être les mesures les plus efficaces permettant un assainissement de la situation ? 

Dominique Wolton : Comme par hasard, ces sujets ne sont pas du tout évoqués ! Ceux dont on parle sont complètement minimes : qu'est-ce que je fais de mon argent de poche, puis-je embaucher mon amant et ma maitresse... Les sujets d'influence sur la presse sont bien plus importants pour la vie démocratique ! Ce qu'il faut, ce n'est pas de la moralisation mais des lois permettant l'organisation de la démocratie à l'heure d'internet plutôt que de faire du secondaire. Quand Google rachète des universités ou finance des universités ou bibliothèques virtuelles, quid ? Quand Google va offrir gratuitement à l'ensemble des journaux la possibilité d'accéder à des recherches et des documentations, quid ? 

L'enjeu des GAFA fait passer Emmanuel Macron pour vieux jeu. Il a raison car son problème est irrésolu mais connu. Alors que l'enjeu autour des lobbys pro numérique qui veulent que tous les enfants aient des tablettes numériques est autrement plus incroyable et inquiétant !

Jean-Marie Charon : Il n’est pas sûr que l’ampleur du défi, qui devient mondial, soit à l’échelle des Etats nationaux. L’exemple de Google et de différents pays européens est assez parlant. Il faut au minimum qu’une réflexion se tienne ici à l’échelle européenne et qu’elle débouche rapidement sur des dispositifs qui garantiraient la diversité éditoriale et l’indépendance des rédactions. On le voit il s’agit d’un chantier complexe, demandant beaucoup de détermination. D’autant que les européens, à commencer par les groupes de médias ont plutôt tendance à avancer en ordre dispersé. Il suffit d’observer ici les réponses des différents médias à l’égard des « partenariats » proposés par Facebook et Google. Il faudra plus que l’évocation de la « consanguinité » du secteur de l’information à d’hypothétiques lobbys pour le conduire à son terme. L’expérience de la loi Bloch, au moment où Vincent Bolloré mettait en pièces la rédaction d’Itélé, est ici plutôt cuisante à l’échelle de la France.

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