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Réprimande présidentielle : François Hollande pourrait-il faire vivre un enfer à Emmanuel Macron ?
©REUTERS/Philippe Wojazer

L’édredon maudit

A l'occasion du festival du film francophone à Angoulême, François Hollande a déclaré "il ne faudrait pas demander aux Français des sacrifices qui ne sont pas utiles", une première pique adressée à Emmanuel Macron.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : A l'occasion du festival du film francophone, à Angoulême, François Hollande s'est exprimé sur le terrain politique en déclarant « Il ne faudrait pas flexibiliser le marché du travail au-delà de ce que nous avons déjà fait, au risque de créer des ruptures." tout en ajoutant « Il ne faudrait pas demander aux Français des sacrifices qui ne sont pas utiles ». Comment interpréter une telle déclaration alors même que François Hollande avait indiqué la veille, "Je ne veux pas être, pour l'instant, celui qui commente" ? Quelles peuvent en être les conséquences pour Emmanuel Macron ?

Jean PETAUX : Les adversaires de François Hollande pourraient lui reprocher d’être plus actif pendant son premier été post-présidentiel qu’il n’a pu l’être pendant son premier mois d’août élyséen en 2012… Au point qu’un média résolument présent sur les réseaux sociaux, « Le Lab » d’Europe 1, a posté : « On a plus entendu François Hollande qu’Emmanuel Macron cet été ». Commentaire assurément exagéré mais qui souligne la présence forte de François Hollande dans les médias, en juillet et août, quand ses prédécesseurs à l’exception notable de celui qui a battu en 2012, Nicolas Sarkozy, se sont tous astreints à une vraie cure de silence plus ou moins longue d’ailleurs. Giscard, très déprimé (au sens propre) par sa défaite du 10 mai 1981 réapparait sur la scène politique à la faveur des élections cantonales de mars 1982 (10 mois après sa défaite) avec une élection « triomphale » : 72% des voix dans le nouveau canton de Chamalières… Il faudra attendre le 16 septembre 1982 avec un passage dans la déjà fameuse émission de télévision « L’Heure de vérité » pour entendre l’ancien président de la République s’adresser publiquement aux Français et, précisément, aux « déçus du socialisme ».
En septembre 1984, à l’occasion d’une élection législative partielle, VGE fait un retour remarqué à l’Assemblée. A ceux qui ironisent sur son « nouveau parcours politique », il cite l’exemple de Poincaré qui revint aux affaires dans les années 20 après avoir été président de la République. Le cas de Giscard va rester un contre-exemple jusqu’à Nicolas Sarkozy. Hormis par le biais de leurs mémoires, ni de Gaulle, ni Mitterrand, ni Chirac ne vont faire la moindre déclaration concernant la vie politique française après avoir quitté l’Elysée. Avec Nicolas Sarkozy, dès l’été 2012 et un communiqué cinglant sur l’inaction de son successeur sur une question de politique étrangère, on comprend que le battu de mai 2012 se prépare déjà au combat de 2017… La suite des événements politiques jusqu’au soir du premier tour de la primaire de la droite et du centre, en novembre 2016, va n’être que la confirmation quotidienne de ce premier tir de l’été 2012. Est-ce que François Hollande choisit de mettre ses pas dans ceux de son immédiat prédécesseur ? On connait la formule, elle est prêtée à Clémenceau, mais on ne prête qu’aux riches : « En politique on succède toujours à un incompétent et on est toujours suivi d’un intrigant ». François Hollande qui, dit-on, aurait laissé tomber à propos d’Emmanuel Macron : « Il m’a trahi avec méthode », au sortir de l’été 2016, pourrait sans doute se reconnaitre dans l’aphorisme attribué au « Tigre ». S’il est bien trop tôt pour imaginer que François Hollande est d’ores et déjà en campagne pour 2022, on peut tout simplement considérer que celui qui occupa la plus haute fonction de l’Etat entre 2012 et 2017 entend, systématiquement, défendre sinon son bilan du moins sa « ligne politique ». De là à apparaitre comme un « recours » au centre-gauche si les turbulences s’accroissent et s’installent durablement pour Emmanuel Macron il n’y a qu’un pas que les « circonstances » (terme gaullien par excellence) trancheront.
Il est une autre explication que l’on peut également envisager en rapport avec l’intervention de François Hollande à Angoulême. Contrairement aux propos que vous rapportez (« Je ne veux pas être, pour l’instant, celui qui commente »), François Hollande n’a jamais cessé d’être le « Holande » (avec un seul L ) qui signait des papiers commentant l’actualité politique et économique dans les colonnes du « Matin de Paris » dont il fut un chroniqueur régulier dans les années 1984-1986 quand Max Gallo en assurait la direction. L’ancien président de la République est « accro » à la politique qui est pour lui une drogue dure. Comme a pu l’écrire Max Weber à propos des « acteurs politiques », il fait partie de ceux-ci « vivent de et par la politique ». Tout porte à croire qu’il n’a en rien changé après avoir renoncé à se présenter à un second mandat présidentiel le 1er décembre 2016 au soir. Comme il a commenté son propre quinquennat (cf le livre de Lhomme et Davet et d’autres moins passionnants d’ailleurs), François Hollande commente les débuts du quinquennat de son successeur. C’est, a minima, ce que l’on peut dire de l’intervention de F. Hollande. Quant aux conséquences pour Emmanuel Macron elles dépendent tout autant de sa réaction à venir que des propos de son prédécesseur.

Si la chute d'Emmanuel Macron dans les sondages a pu être liée à son positionnement économique, critiquée aujourd’hui par François Hollande à la veille de la présentation de la loi travail, prévue le 31 août prochain, faut il y voir une tentative de François Hollande de revitaliser le PS ? Quelles pourraient être les conséquences, à gauche, d'un tel positionnement ? 

Sans être dans la tête de François Hollande qui assume désormais pleinement sa proximité avec le cinéma et sans, non plus et pour autant, imaginer un remake de « Dans la peau de John Malkovich », par ailleurs président, cette année, du jury du Festival du Film Francophone d’Angoulême, on peut imaginer, sans grand risque d’être démenti, que le principal souci de Hollande n’est pas, aujourd’hui, la revitalisation du Parti Socialiste modèle « Epinay 1971 modifié 1981 ». Le PS est moribond et Hollande a tout intérêt à le laisser mourir de sa belle mort. Débarrassé de son aile rose-vert qui va végéter entre autre dans le mouvement de Benoit Hamon, sorte d’avatar du PSU des années 60, le brio et l’intelligence d’un Rocard en moins, le Parti Socialiste reconstruit autour des « Hollandais » peut éventuellement occuper l’espace de la « social-démocratie » plutôt vacant aujourd’hui. Le seul souci pour Hollande c’est que ses troupes sont plutôt réduites et elles-mêmes parcourues de luttes intestines peu propices à une quelconque « reconstruction ». Sans compter quelques poids lourds passés avec armes et bagages chez Macron (ex. : Le Drian). Hollande peut-il envisager demeurer longtemps seul et sans une organisation partisane structurée autour de lui ?
Sa trajectoire politique montre qu’il a déjà connu des moments d’extrême solitude où personne (ou presque) n’allait parier un « cent » sur son avenir. Patrick Boucheron, le grand historien, indique volontiers, commentant Machiavel, qu’il existe aux yeux du célèbre auteur de la Renaissance italienne, deux types d’hommes politiques : ceux qui sont excellents dans la conquête du pouvoir et ceux qui sont les meilleurs dans l’exercice du pouvoir. Hollande fut incontestablement un champion dans la première des deux propositions. Il rencontra des difficultés telles dans la seconde qu’il se vit contraint de renoncer à tenter de se succéder à lui-même. Pourrait-il exceller de nouveau dans la reconquête ? Voilà une question qui mérite d’être posée. La gauche, non-mélenchoniste (et peut-être aussi « Insoumise ») ne pourra pas, peut-être plus vite qu’on ne le pense, faire abstraction de cette interrogation-là en tout état de cause. Quant à Emmanuel Macron, s’il a montré, avec quel panache, qu’il avait su être exceptionnel dans la conquête, il est bien trop tôt pour savoir s’il sera aussi excellent dans le « règne »…  

Alors qu'Emmanuel Macron a pu être critiqué par une approche "sévère" à l'égard du Général Pierre de Villiers, il paraît peu imaginable que le Président prenne le même ton à l'égard de François Hollande. Quelle pourrait être la difficulté, pour Emmanuel Macron, de gérer un François Hollande critique à l'égard de son action ?

Votre question rejoint la fin de ma réponse à votre première interrogation. Je pense que les conséquences qui peuvent découler de la dernière intervention de François Hollande, pour ce qui concerne Emmanuel Macron, tiennent tout autant à la réaction de ce dernier qu’aux propos-mêmes de l’ancien président. Si Emmanuel Macron répond directement à François Hollande de manière plus ou moins vive et polémique, sur le mode « merci du conseil mais on voit où cela vous a mené ! » ou s’il manie l’ironie dans le genre « pour courir le risque de demander des sacrifices inutiles aux Français il faut au moins leur demander des sacrifices » il peut, dans les deux cas, apparaître hautain et méprisant.
Le monde est ainsi fait que celui qui détient la puissance se doit d’être plus mesuré que ses critiques. Mais, pour autant, l’actuel président peut-il considérer comme « benign neglect » (« faire comme si de rien n’était ») les propos de son prédécesseur ? Peut-il se laisser faire la leçon sans réagir au risque d’apparaître comme un petit garçon rabroué par son mentor ? Bien sûr que non. Généralement dans ces cas-là la « cible » du propos attend quelques jours avant d’envoyer un signal fort qui peut permettre de dire : « Un partout, balle au centre ».
On se souvient ainsi que Lionel Jospin, premier ministre, répondant à une critique serrée du président Chirac parlant « d’expérience hasardeuse » à l’encontre d’un choix politique de la majorité législative (les 35 heure), avait repris au bond l’expression « expérience hasardeuse » pour l’appliquer à  la dissolution de l’Assemblée nationale voulue par ce même Chirac, en mars 1997, provoquant le retour anticipé de la « gauche plurielle » au gouvernement.  La méthode est simple, elle s’apparente à la prise de judo : saisir la critique de l’opposant et la retourner contre lui. Les spectateurs enregistrent parfaitement la séquence et comprennent qu’il s’agissait alors d’un épisode dans un affrontement qui en connaitra d’autres. Est-ce la tactique qu’adoptera Emmanuel Macron ? Le risque principal de cette option c’est qu’elle instaure une forme de « débat singulier » et qu’elle institue tout autant qu’elle riposte. Elle constitue l’opposant en lui répondant tout en donnant rendez-vous au public pour de futurs échanges avec ce même « meilleur adversaire ». Reste à Emmanuel Macron le recours aux « flingueurs », aux « premières gachettes »…  Dans cette configuration, les Castaner et consorts montent au créneau et organisent un tir de barrage sur François Hollande, évitant au président Macron de se salir les mains dans cette première polémique de fin de premier été… Jusqu’au prochain épisode !

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