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Affaire Florence Cassez : en cas de libération, le Mexique se dirige vers une profonde réforme judiciaire
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Épilogue ?

Ce mercredi, la première chambre de la Cour Suprême du Mexique examine l’affaire de Florence Cassez avec en ligne de mire une possible libération. Quelles conséquences pour le système judiciaire mexicain ?

Patrice Gouy

Patrice Gouy

Patrice Gouy est un écrivain et journaliste. Depuis 1992, il est le correspondant de RFI au Mexique, un pays qu’il parcourt depuis 30 ans. Il a publié Le Mexique de A à Z en 2010 aux Editions André Versaille.

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Atlantico : La Première chambre de la Cour Suprême du Mexique examine ce mercredi le cas de Florence Cassez. Les Mexicains sont-ils pour ou contre cette libération ?

Patrice Gouy :Les Mexicains sont contre la libération de Florence Cassez à 83%. Ce chiffre est issu d’un sondage qui a été publié par le journal Excelsior. Il y a de fortes chances que ce sondage ait été commandé par la Présidence de la République qui est contre ce que veulent imposer les juges menés par Arturo Zaldivar. En réalité, les Mexicains ne comprennent pas très bien pourquoi la justice veut la libérer car ils se fient aux seules informations diffusées par Televisa et Tele Azteca qui ont participé à la reconstitution, la fabrication de sa fausse arrestation.

Le cas de Florence Cassez a refroidi les relations entre la France et le Mexique. Nicolas Sarkozy avait même annulé l’année du Mexique en France. Comment le gouvernement français est perçu par l’opinion publique ?

Il faut relativiser l’impact de cette affaire sur les relations franco-mexicaines. Les relations entre la France et le Mexique n’ont jamais été aussi bonnes. Du côté mexicain, l’affaire n’a pas été gérée efficacement et de ce fait les relations diplomatiques ont subi un petit coup de canife. Cependant, les coopérations entre la France et le Mexique restent très bonnes : en cinq ans, les entreprises françaises se sont installées comme jamais. Il y a eu l’inauguration de l’Institut Cousteau en basse Californie et Sanofi ouvre une grande usine de médicaments.

Mais il faut préciser que la France et le Mexique entretiennent des relations particulières depuis plus d’un siècle et demi : depuis les guerres contre les interventions françaises dans le pays. Maintenant les relations sont plutôt cordiales et on ne peut pas dire que les Français sont mal vus.

Si Florence Cassez est libérée, cela implique une validation des vices de formes pointés du doigt par Arturo Zaldivar. Quel avenir pour le système judiciaire mexicain après l'affaire Florence Cassez ?

Le principal enjeu qui se cache derrière l’affaire Florence Cassez est de savoir si le Mexique est capable de réformer sa justice. Il y a tout un groupe de gens, dont fait partie Arturo Zalvidar, que l’on pourrait qualifier de juges garantistes qui prônent une application très stricte de la loi. Idéologiquement, ils s’opposent à un autre groupe formé par 90% des juges qui eux veulent une justice qui laisse tous les pouvoirs entre leurs mains, ce qui leur donne la possibilité de condamner les gens à discrétion. Du moment où ils sont persuadés de la culpabilité des prévenus, ils peuvent les mettre en prison sans autre forme de procès. C’est une guerre entre ces deux groupes qui se joue et pour l’instant ceux qui sont en train de gagner sont du côté de Zalvidar, et cela favorise la libération de Florence Cassez.

Quelles pourraient être les conséquences pour la police mexicaine ?

Ce serait embêtant pour le président Calderon car il a déclaré publiquement qu’il ne laisserait pas sortir Florence Cassez. Il soutient également toutes les associations et les ONG qui défendent les victimes des nombreux enlèvements au Mexique. Isabelle Wallace qui est aussi la candidate au poste de gouverneur de Mexico sous les couleurs du PAN (Parti d'Action National) fait la promotion de Calderon. Le Président n’a pas envie de démettre son ministre de la Sécurité Publique et d’aller à l’encontre de sa police. C’est dans son intérêt que les juges n’appliquent pas la Constitution.

Ce n’est pas que Calderon ait confiance en sa police. En réalité le ministre de la Sécurité Publique, Garcia Luna lui dicte sa loi, et Calderon montre une grande faiblesse. Il a fait irruption dans le débat en disant qu’il ne fallait pas interpréter la loi et donner par la même une impunité aux criminels. Cela voulait clairement dire aux juges « Ne libérez pas Florence Cassez ». Cette incursion dans la justice de la part de l’exécutif est insupportable dans une démocratie. Cette incursion prouve que Garcia Luna exerce peut-être une pression sur le président pour peser sur la condamnation de la française.

Finalement Florence Cassez n’a été que le grain de sable qui a enrayé la machine. Si elle est libérée arriverons-nous à une jurisprudence ?

La Cour Suprême a attiré son dossier parce qu’il était emblématique de tous les dysfonctionnements de la justice. Tout avait été violé : la Constitution, les lois, les juges n’avaient pas fait leur travail, le Ministère Public non plus, la police avait fabriqué des preuves qui ont permis de condamner Florence. C’est beaucoup plus maintenant un problème mexicano-mexicain, et c’est au peuple de décider quelle justice il veut. Donc oui cela change la jurisprudence, tous les gens mis en prison de façon abusive pourront déposer des recours directs, en faisant valoir que la Constitution n’a pas été appliquée dans leurs cas que ces juges n’ont pas respecté les lois pour les emprisonner. Florence Cassez n’est qu’une parmi des milliers.

Il y aura forcément une importante réforme judiciaire, avec l’imposition de procès oraux, comme en France, car jusqu’à présent ils sont écrits, ce qui produit un volume invraisemblable de documents. Dans le cas de Florence Cassez, les juges ont 15.000 pages de procès sur lesquelles se baser avant de rendre leur verdict. Il est impossible de lire autant de pages en si peu de temps. C’est un déni de justice. Demain ce que veulent les mexicains c’est de mettre en place des tribunaux oraux avec des plaidoiries, des confrontations de témoins. Par exemple : les victimes n’ont pas eu de confrontation directe avec son avocat. Mais il est très long de changer les mentalités et les habitudes, mais si les juges sont pénalisés quand ils ne font pas correctement leur travail, les choses rentreront dans l’ordre. Et c’est le désir de beaucoup de monde : que les personnes qui ont fabriqué le procès de Florence Cassez soient punies.

Si elle est libérée demain ce ne sera pas une surprise, mais ce sera le signe fort que les gens qui veulent changer les choses au Mexique y arrivent. Ce sera la victoire de ceux qui veulent réformer contre les conservateurs. Les Français seront contents de sa libération, mais la victoire se situe à un autre niveau. L’indépendance de la justice, tellement remise en cause reprendra des
couleurs !

Ce qui serait terrible c’est qu’elle soit condamnée, cela veut dire que le Mexique recule terriblement et donne carte blanche au ministre de la Sécurité Publique pour faire les montages qu’il veut, arrêter les gens qu’il veut sans jamais être contrarié. Et c’est l’indice que le Mexique se transforme en Etat Policier.

Garcia Luna peut-il être démis de ses fonctions dans le cas d’une libération ?

Le chef de la sécurité, est le chef de l’anti-drogue, il est soutenu par les Etats-Unis et certains pays d’Europe. Certes c’est un tortionnaire, oui il fabrique des coupables, mais il dirige la guerre (très violente d'ailleurs) contre les narcotrafiquants (60.000 morts). Beaucoup de gens veulent sa peau, mais une grande partie de l’opinion est d’accord avec ses méthodes musclées et estime que pour venir à bout du fléau de la drogue il faut foncer dans le tas, décapiter des réseaux entiers de narcotraficants. Ce n’est pas Florence Cassez qui va le faire sauter, c’est beaucoup plus complexe que cela.

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