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Crise des oeufs contaminés : quand les 42% des Français qui se disent inquiets masquent les clivages d’une société de défiance
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Finies les omelettes ?

La crise des oeufs contaminés a éclaté aux Pays-Bas il y a quelques semaines, pour se propager ensuite au reste de l'Europe. Selon un sondage exclusif Ifop pour Atlantico, 42% des Français se disent "inquiets" et 10% "très inquiets". Mais l'étude révèle de nombreuses disparités.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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A propos de la consommation d’œufs ou de produits alimentaires contenant des œufs (gâteaux, biscuits, pâte à crêpe, etc.), vous personnellement, diriez-vous qu’aujourd’hui, vous êtes très inquiet, plutôt inquiet, plutôt pas inquiet ou pas du tout inquiet ? 

Atlantico : Quels sont les principaux enseignements de ce sondage ?

Jérôme Fourquet : On constate que cette crise de l'œuf, a un impact certain dans l'opinion publique, et pourrait engendrer un certain nombre de dégâts dans cette filière, notamment en termes de baisse de la consommation des œufs et des ovo-produits. 42% de nos concitoyens, se disent inquiets vis-à-vis de leur consommation de produits alimentaires à base d'œufs, et un noyau très inquiet de l'ordre de 10%, soit une personne sur dix! Cette crise, qui a éclaté aux Pays-Bas il y a quelques semaines, pour se propager ensuite au reste de l'Europe, est parvenue jusqu'aux oreilles des Français, même en cette période estivale où ils sont un peu moins réactifs à l'actualité qu'à l'accoutumée. 

Ce qui est intéressant c'est de comparer ce cas à d'autres crises alimentaires. Bien évidemment, nous sommes nettement en deçà de ce que l'IFOP avait pu mesurer il y a vingt ans au déclenchement de la crise de la vache folle dont l'ampleur était bien plus importante. C'était la première crise agro-alimentaire qui allait imprimer les esprits, c'était quelques chose de totalement inconnu à l'époque, le diagnostic scientifique et les conséquences sanitaires étaient alors très balbutiants... deux tiers des Français étaient inquiets et 23% très inquiets! Durant l'épisode de la grippe aviaire d'octobre 2005, là un tiers était inquiet. Un tiers de la population l'était également en juin 2011 pour la crise du concombre, ce qui avait entraîné une baisse de la consommation de la filière fruits et légumes.  L'impact est donc plus faible que celui du scandale de la vache folle, mais bien supérieur à deux crises sanitaires importantes. Il est donc normal de s'inquiéter de l'impact qu'aura la crise de l'œuf sur sa filière. A force de voir ces crises, ces fraudes sanitaires, se répéter, cela rend le climat anxiogène. Les gens ce se sentent plus à l'abri de fraudes. Les mécanismes de contrôles, les cloisons étanches n'ont pas été mises en place. Un jour c'est la viande surgelée, un jour les légumes, un jour les œufs… 

Ce sondage révèle également un clivage entre l'inquiétude des femmes (46% inquiètes) et celle des hommes (38%), un clivage entre monde rural (39%) et agglomération parisienne (48%), mais également un clivage éducatif, ou encore en fonction des catégories socio professionnelles, 34% pour les PCS + et 49% pour les PCS +. Comment expliquer ces différents clivages ? Que peuvent-ils révéler du niveau de défiance de la population ?

La sensibilité face à ce type d'événement varie selon les individus. Généralement, la vigilance dans le domaine de l'alimentation et la santé est plus développée chez les femmes, et on le retrouve une nouvelle fois dans ce sondage. En revanche, il n'y a pas de clivage générationnel majeur. Mais le degré d'inquiétude apparait plus important dans les milieux populaires  (50% chez les ouvriers) que chez les CSP+ (34% chez les cadres supérieurs), ce qui renvoie à plusieurs choses. Premièrement, le niveau de défiance vis-à-vis du monde d'en haut, la world company, les Français se sentent une nouvelle fois pris dans un univers mondialisé où tout est aux mains de grandes entreprises ne cherchant que le profit quitte à masquer certaines choses et d'intermédiaires opaques. Une défiance que l'on retrouve moins dans les catégories plus élevées. Deuxièmement, les plus aisés se sentent plus protégés car ils ont accès plus facilement à des produits haut de gamme, tandis que les classes populaires seront moins rassurées par les produits de grande surface et hard discount. 

Autre clivage, celui entre Paris et la province. En dehors de la capitale, il y a une capacité à se procurer des produits comme les œufs, via des circuits courts et donc traçables, voire directement chez le producteur, plus importante qu'en région parisienne.  Le niveau d'inquiétude n'y est pas négligeable pour autant (environ 40%).

Au regard des résultats obtenus et du niveau du sentiment d'inquiétude, comment peut-on évaluer la prise en charge du dossier par les pouvoirs publics ? Faut-il y voir une défaillance ou une sous-estimation de la situation ?

Tout d'abord, à décharge du gouvernement, la période estivale ne permet une réactivité aussi grande que d'habitude. Cependant ce genre d'événement requiert une communication accrue du gouvernement et des autorités de tutelle.  Sans doute que si la communication avait été gérée de main de maître dès le début, nous n'aurions pas 41% de Français inquiets, mais un taux plus conforme à celle de la crise H1N1 par exemple.   
Autre élément à prendre en compte, c'est ce qu'on peut appeler le syndrome Tchernobyl. Au début, les autorités françaises ont dit que seul le Benelux et peut être l'Allemagne seraient concernés, mais pas la France. Et très vite cela a été contredit par les informations, on a commencé à voir que la France était concernée, ce qui donne le sentiment que soit il y a eu un mauvais diagnostic, soit on a essayé de nous cacher les choses. Les complotistes peuvent penser que les autorités ont voulu protéger l'agro-business. 
Et puis il y a toujours l'effet cumulatif, les Français ont l'impression de vivre ces crises successivement comme si les enseignements des précédentes n'avaient pas été pris en compte. Des crises régulières motivées par l'appât du gain, et générées pas des comportements délictueux, qui se répercutent en chaîne sur toute une filière sans que les autorités de contrôle n'aient la capacité de les détecter à temps. Cette question de la crise de l'œuf, a pu paraitre subalterne aux yeux du gouvernement face aux incendies de forêt, et au terrorisme, mais on voit aujourd'hui que l'on a un autre sujet à ne pas prendre à la légère.

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