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Pourquoi la France est loin d’en avoir fini avec le populisme
©Reuters

Chute en trompe l’oeil

Alors que l'élection d'Emmanuel Macron avait été interprété comme un frein mis à la vague populiste qui secouait le monde, rien ne dit que l'Europe en a finit avec le populisme.

Gil  Mihaely

Gil Mihaely

Gil Mihaely est historien et journaliste. Il est actuellement éditeur et directeur de Causeur.

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Si la victoire d'Emmanuel Macron en France a été perçue comme une victoire contre le populisme, il semble qu'il s'agit plus d'une figure d'exception au niveau mondial. N'est-il pas prématuré de penser que la France en a fini avec le populisme ?

Christophe Bouillaud : Si l’on entend par le terme de populisme une contestation radicale qui s’exprime dans la compétition électorale des pays de démocratie représentative à l’encontre de l’ordre néo-libéral contemporain en vigueur dans notre pays comme dans le reste des pays occidentaux, il est évident que le populisme est là pour durer. C’est un fond de sauce de la politique contemporaine dont l’élection d’Emmanuel Macron n’invalide aucunement l’existence.

 D’une part, à droite, il y aura toujours dans l’avenir prévisible de la politique française et européenne un courant qu’on pourrait dire nativiste, en usant ici du mot anglo-saxon, qui fera vivre et renouvellera le vieux slogan de la droite nationaliste française des années 1890, de « la France aux Français ». L’étranger spoliateur peut certes changer – le « Juif » jadis, le « Musulman » aujourd’hui –, et l’ennemi géopolitique changer – l’Allemagne jadis, Washington, Londres ou Moscou ensuite, et « Bruxelles » désormais et de nouveau Berlin -, mais l’idée demeurera toujours chez certain que le fait d’être né ici donne des droits particuliers face aux autres habitants du pays et que la grandeur française est gravement menacée par une puissance maligne. Il faudra toujours « Make France Great Again ». 

D’autre part, à gauche, il y aura de plus en plus un parti ou un ensemble de partis qui entendront critiquer radicalement le capitalisme. Cette critique sera d’autant plus forte que le compromis social-démocrate d’après 1945, qui permettait d’associer tous les groupes sociaux aux fruits de la croissance, apparaitra comme appartenant au passé. Une partie de l’électorat, populaire, mais aussi des classes moyennes paupérisées, demandera une rupture franche avec le capitalisme financiarisé des dernières décennies, parce qu’il a l’impression – justifiée selon les statistiques officielles disponibles – de ne plus profiter des fruits de ce capitalisme financiarisé. 

Gil Mihaely : Il n'est pas évident de définir ce qu'est le populisme. Dans la victoire contre le populisme on entend la défaite du Front National au deuxième tour. Je ne pense pas qu'une politique fondée sur une critique systématique des élites, d'une oligarchie forte ait disparu en France.  Ni le FN ou Marine Le Pen n'ont dit leur dernier mot dans la politique française. En revanche on ne voit pas aujourd'hui de mouvement avec un leadership fort qui porte un discours systématique anti élites, qui propose à travers lui au peuple de se réapproprier le pouvoir. Il n'y a ni les échéances, ni l'état d'esprit qui est propice à l'épanouissement de ce genre de mouvements. En revanche ils existent , au premier tour de l'élection présidentielle ils sont arrivé à des scores assez élevés mais tout cela est mis en veille en ce moment.  Pour assister à un retour de ces mouvements il faudra une crise importante, un échec massif de Macron sur les questions de sécurité ou économiques qui pourraient créer un appel d'air… 

Alors que le Front national semble avoir disparu des écrans, suite à la défaite de Marine Le Pen, ne peut-on pas voir une confusion entre les forces qui ont conduit Marine Le Pen au second tour de l'élection, c'est à dire ses causes, et le Front national lui-même ? N'y a-t-il pas une sous-estimation des forces "populistes" en France ?

Christophe Bouillaud : Oui, il faut distinguer la demande politique et l’offre partisane. Ainsi si l’on imagine que le FN comme organisation partisane disparaisse demain entièrement avec tous ses cadres pour une raison ou pour une autre, il restera tout de même ses électeurs qui expriment des préoccupations nativistes ou xénophobes et qui constitueront un segment électoral à conquérir. En Allemagne, il y a longtemps eu une absence de parti important à la droite de la CDU-CSU, parce que cette alliance prenait soin de préempter en temps utile les thèmes de l’extrême-droite. La situation est assez similaire au Royaume-Uni où le Parti conservateur a eu tendance à occuper lui aussi cet espace, aidé en cela par ailleurs par le mode de scrutin – même si l’UKIP peut être vu comme une scission du Parti conservateur. L’importance historique de la famille Le Pen pour la renaissance de l’extrême-droite européenne après 1970  et l’ostracisme lié au nom même des Le Pen à l’échelle continentale tend à occulter ce fait plus sociologique : il existe une forte demande de nativisme ou de xénophobie dans l’électorat français.  Le nom des Le Pen est associé dans l’esprit public au risque d’une dictature, mais, au-delà de cet aspect, il faut bien constater la solide demande de xénophobie de la part d’une bonne partie de l’électorat. 

A gauche, la situation est plus compliquée. Il existe sans doute une demande de rupture avec le capitalisme financiarisé « chez les gens » comme dirait Jean-Luc Mélenchon, mais elle s’exprime peu dans les urnes, et bien plus dans l’abstention. Il est vrai que l’électeur du FN a obtenu en réalité depuis les années 1980 énormément de mesures législatives allant dans son sens – sur le droit de la nationalité par exemple -, alors que l’électeur d’extrême gauche n’a connu que des déconvenues et peut avoir le sentiment, réaliste dans son cas, que voter ne sert à rien.

Gil Mihaely : Il  a une tradition de populisme, au sens critique systématique et des élites, qui a toujours existé en France. Dans une certaine mesure le gaullisme jouait là-dessus et depuis une vingtaine d'années c'est le Front National… Il y a une longue tradition de populisme en France. On vient de traverser une séquence politique très longue et dense. Quelques mois après les élections, les gens sont en attente. On verra à partir de septembre/octobre si le gouvernement arrive à plus ou moins mener la politique qu'il a promise pour trouver des appuis dans l'opinion publique, ou bien on se retrouvera devant une crise politique majeure.

Le secret de Marine Le Pen depuis qu'elle a prit la tête de son mouvement en 2011 c'est de faire en sorte que Marine Le Pen et Front National fassent plus que deux. Depuis l'entre-deux tour de 2017, la formule ne marche plus. Maintenant on associe Marine Le Pen au Front National. C'est pour cela qu'elle a proposé d'essayer de dépasser cette formule car elle estime que c'est la marque FN qui pose problème. Elle a probablement raison. 

En quoi le programme politique d'Emmanuel Macron peut-il être en mesure de répondre aux moteurs qui ont pu participer à cette montée du populisme en France, qu'il soit de droite ou de gauche ?

Christophe Bouillaud : Pour ce qui est du populisme de droite, du nativisme, l’action d’Emmanuel Macron n’aura que peu d’effets, parce qu’il ne peut pas dans le cadre européen et international actuel fermer totalement les frontières et expulser des millions d’étrangers. La « re-migration » ne peut pas être son programme. De plus, son gouvernement aura beau essayer de limiter l’immigration, rien n’y fera, parce que les électeurs populistes de droite sont enracinés dans leurs convictions xénophobes. Par ailleurs, l’un des aspects les plus innovants du macronisme, c’est la promotion de membres des minorités visibles ou de la diversité au plus haut niveau de l’Etat – comme sa conseillère en communication par exemple ou un certain nombre de députés. Cela ne peut qu’exaspérer encore plus les nativistes et autres xénophobes qui forment l’électorat populiste de droite. De fait, même les sociétés européennes qui constituent le modèle du macronisme pour la mobilité sociale qu’elles offrent à tous leurs habitants, la Suède ou le Danemark, sont marquées par de forts courants populistes de droite.  De côté-là, il n’y a  donc pas grand-chose à attendre. 

Pour ce qui est du populisme de gauche, le nouvel anticapitalisme, la situation me parait plus ouverte. Des mesures de justice sociale, ou simplement d’équité, peuvent rallier beaucoup de ces électeurs – ce qui a d’ailleurs été le cas au second tour de la présidentielle. Pour l’heure, il me semble pourtant qu’on n’en prend pas le chemin. C’est tout le contraire. La future loi travail peut le couper définitivement de cet électorat – surtout quand les salariés vont en découvrir les conséquences bien concrètes sur leur rémunération, temps de travail, etc. De même, la suppression annoncée de l’ISF sur les valeurs mobilières, celles qui sont détenues massivement par les plus favorisés parmi les favorisés, risque de valider dans cette frange de l’électorat la thèse du macronisme comme gouvernement des classes supérieures au service exclusif des très riches. Ne parlons pas du coup de canif de 5 euros dans les APL de tous les bénéficiaires, y compris les plus en difficulté. C’est sans doute la mesure la plus antisociale qu’il soit possible de prendre, avec la baisse du RSA ou de l’AAH, ou la suppression de l’allocation de rentrée scolaire. Entre le macronisme et cette nouvelle opposition anticapitaliste, il s’agit là toutefois d’une différence de conceptions économiques et sociales : après tout discuter du caractère nécessaire on non d’une baisse d’impôts pour les plus riches actionnaires en terme de création d’emplois sur le territoire français n’a pas la même nature insoluble que celle qui porte sur la définition même du droit à vivre ici. Une discussion rationnelle à coups d’arguments économiques et éthiques est possible – c’est d’ailleurs ce qu’ont déjà tenté d’imposer, certes sans succès, les députés de la France insoumise sur la loi travail. On peut faire la même remarque sur les questions écologiques ou celles liées à la santé publique. Le macronisme peut faire le choix de continuer à donner la priorité aux pollueurs, toujours au nom de l’emploi, sur les pollués, mais il peut aussi sans doute faire l’inverse s’il y voit son intérêt électoral. Le quinquennat peut fort bien virer plus social et écologique au fin du temps, après cette embardée très à droite, très « in love with the MEDEF »,  des premiers mois. 

Ainsi le macronisme, s’il adoptait un ton résolument social, pourrait sans doute endiguer la montée de l’opposition populiste à sa gauche, mais il devra vivre, comme tous les autres forces centristes dans l’Europe contemporaine, avec un solide bloc populiste à sa droite que rien ne viendra entamer vraiment. On ne change pas la vision du monde de ces électeurs aussi simplement que cela. 

Gil Mihaely : Nous verrons en fonction des résultats. Il a proposé un changement des élites. On voit qu'En Marche a permis un renouvellement très important de députés, on a quelques centaines de personnes nouvelles en politique qui sont arrivés en fonction, le tout couplé à un discours anti partis de gouvernement. 

Un des principaux fonds de commerce des populistes c'est cette même critique des élites qui "captent le pouvoir" et "empêchent le peuple d'exercer le pouvoir démocratiquement".  

Maintenant Emmanuel Macron est-il la continuité du système décrié par les populistes ou incarne-t-il une "rupture". Lors de son élection il incarnait une rupture, maintenant en fonction de ses résultats, s'il déçoit et apparaît comme la continuité de ses prédécesseurs, cela pourrait ouvrir une brèche pour des populistes qui ne demandent qu'à s'y engouffrer.

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