Bienveillance macroniste ou pas : 61% des Français sont toujours opposés à l'accueil des migrants sur le territoire<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Bienveillance macroniste ou pas : 61% des Français sont toujours opposés à l'accueil des migrants sur le territoire
©REUTERS/Benoit Tessier

Sans effets

Selon un sondage IFOP pour Atlantico.fr, Un très large majorité de français, 61% sont opposés à l'acceuil des migrants dans le pays. Un sujet qui est devenu l'un des plus grands déterminant entre droite et gauche.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

Voir la bio »
Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

Voir la bio »

Atlantico : Quels sont les principaux enseignements que l'on peut tirer de ce sondage ?

Jérome Fourquet : L'actualité autour de la question migratoire et très forte. Qu'il s'agisse de ce qu'il se passe dans la région niçoise (avec le procès de l'activiste Herrou), des nouveaux naufrages et drames en méditerranée, ou bien encore des récentes arrivées de migrants en Espagne, c'est un climat extrêmement chargé.  

On constate qu'une très large majorité de nos concitoyens, 61%, sont opposés à l'accueil de migrants et à ce que la France prenne sa part du fardeau européen. Ces chiffres sont assez impressionnants au regard du contexte. Le gouvernement a indiqué" qu'il allait prendre des mesures en la matière. Mais c'est également impressionnant d'un point de vue historique. Puisqu'on constate qu'à quelques points prêts, nous sommes quasiment au point bas depuis la mise en place de ce baromètre en avril 2015. Nous sommes retombés au niveau de novembre 2015 ou même de l'été 2016. Et ces deux dates font suites aux attentats de Charlie Hebdo et de Nice. Or,  nous l'avions déjà constaté  ensemble, il y a un lien qui s'opère dans l'opinion publique entre le contexte terroriste et la question migratoire. Quand la menace sécuritaire augmente, la propension à l'accueil se rétracte d'autant.

Notre enquête a été faite du 7 au 9 aout, c'est à dire avant la révélation de l'impact de Levallois Perret. Pour autant, même si le front terroriste était relativement calme (malgré l'attaque avortée de la tour Eiffel) nous constatons que le rapport de force dans l'opinion publique est au point le plus faible et comparable à ce que l'on mesurait au moment des piques d'attaque terroristes.

Emmanuel Macron a indiqué que le gouvernement camperait sur une ligne ferme mais juste et on voit bien qu'il y a une très forte pression de l'opinion publique sur cette question.

Guylain Chevrier : On constate une certaine stabilité de l’opposition majoritaire à l’accueil des migrants dans l’opinion. Ce qui est à mettre sans doute en corrélation, comme le montre le sondage, avec la nouvelle période dans laquelle nous sommes entrés, avec les attentats de janvier 2015. Il y a une tension entre deux courants : une montée en puissance des flux migratoires sous le signe de la guerre, et spécialement de guerres religieuses, avec l’affirmation par les pouvoirs publics, l’Europe, d’une nécessité humanitaire justifiant un accueil quasi inconditionnel, et des attentats, un phénomène de radicalisation que l’on ne parvient pas à enrayer, des périls nouveaux donc, donnant une lecture de la chose dominée par l’inquiétude, des réticences, du rejet.

Ceci étant, la pression des flux migratoires qui se confirme ces dernières années, avec une augmentation du nombre de demandeurs d’asile en France qui explose, passée de 57.000 en 2011 à 100.000 en 2016, ne laisse pas indifférente l’opinion non plus. Elle a son importance dans cette opposition très majoritaire. Surtout dans un contexte où 67% des migrants sont des hommes, marqueur d’une immigration aux motivations économiques, pour laquelle le devoir d’accueil fonctionne nettement moins bien, d’autant plus en période de chômage de masse. C’est aussi vrai des mineurs isolés étrangers (mineurs non-accompagnés) qui peuvent être pris en charge par les pouvoirs publics, en réalité très majoritairement majeurs à l’examen de leur situation, qui relèvent donc aussi pour une part d’une immigration économique déguisée. Le nombre de sans-papiers explose avec les déboutés du droit d’asile qui restent en France, avec des risques multiples. La générosité de l’accueil des migrants a connu depuis les années 70 une transformation profonde avec une érosion qui est devenue manifeste et un changement nette d’opinion. Alors que l’on était favorable majoritairement en France au vote des étrangers aux élections locales, la proposition en a été abandonnée par le président Hollande face à l’évolution négative de l’opinion sur ce thème.

Par rapport à la politique proposée par le gouvernement, quel est le décalage que l'on peut remarquer avec la population en général ? Et avec l'électorat de Macron en particulier.

Jérome Fourquet : Quand on analyse les résultats dans le détail, on s'aperçoit que cette question de l'accueil des migrants est une question extrêmement polarisante politiquement. Au sens où nous mesurons un clivage gauche-droite extrêmement marqué. Deux tiers des sympathisants de la France Insoumise et du PS sont ainsi favorables à l'accueil quand 96% des proches du Front National y sont opposés. Et près de 80% de l'électorat des Républicains également. L'électorat En Marche de ce point de vu là se situe beaucoup plus proche de l'électorat de gauche classique puisque 57% des marcheurs sont favorables à l'accueil.

C'est sans doute une donnée que le gouvernement a intégré dans la mesure où l'on observe une attitude qui se veut en partie généreuse vis-à-vis des migrants avec l'ouverture de nouveaux centres dans le Nord-Pas-de-Calais par exemple. Mais en même temps, la réalité du rapport de force dans le pays est que 61% sont opposés à l'accueil des migrants. Il y a donc une nécessité d'avoir des éléments d'assurance vis-à-vis de cette opinion publique orientée à droite.

On voit bien que sur cette question, concilier des positions de gauche et de droite relève de l'impossible. Emmanuel Macron navigue sur un chemin tortueux. Mais son électorat est plus porche des attitudes et de l'opinion d'un électorat de gauche. Ce qui n'est pas forcément le cas sur les questions économiques.

Guylain Chevrier : La déclaration faite par Emmanuel Macron à l’hebdomadaire protestant d’actualité Réforme en mars dernier, selon laquelle, « l’immigration se révèle une chance d’un point économique, culturel, social », comme axe de sa politique en la matière, est particulièrement en décalage avec ce que révèle le sondage. L’immigration n’est plus considérée comme « une opportunité à saisir pour notre pays» que pour 25% des interrogés. Et c’est vrai pour l’ensemble des tendances politiques, puisque même chez ceux de la France insoumise, ils ne sont que 41 % à penser qu’elle le reste, et 44% chez les socialistes. Ce qui va avec les 30% de ceux qui pensent que la France n’en a plus les moyens, montrant ici une opinion en progression (+ 3 points depuis septembre 2015). On est décidément bien loin de « L’immigration, une chance pour la France », affirmation clamée par Bernard Stasi dans le fameux livre qui en portait le titre, en 1984. Même si cette idée a une certaine pertinence, les contradictions amenées par l’immigration, venue de pays de plus en plus lointains et marqués par des conflits religieux où l’islam est mêlé, un islam dont se réclament ceux qui commettent les attentats, qui fait écho en France à des difficultés d’intégration liées entre autres, à la montée d’un certain communautarisme musulman, ont tendance à balayer toute réflexion sur le sujet.

Le gouvernement entend répondre à la situation entre fermeté et générosité, une formule qui n'est pas nouvelle. Dans une interview au Journal du dimanche, le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, entend définir ce qu’elle signifie : "Nous accueillons tous ceux qui fuient guerres et persécutions, mais nous distinguons les réfugiés de ceux dont la migration obéit à d'autres ressorts notamment économiques", indique-t-il. Mais a-t-il réellement les moyens de ce qu’il prétend ? Si on s’en réfère à ce qui se passe à Calais ? Non ! Des associations de soutien aux migrants demandent des points d’eau et sanitaires pour ces derniers, ce que refusent la maire de Calais et le ministre de l’Intérieur craignant à raison la création d’une nouvelle jungle, pour voir le Conseil d’Etat donner raisons aux humanitaires. Ceci, en dépit de toute possibilité de prétendre à une politique responsable en la matière. Les mêmes associations qui criaient au scandale avec la jungle sont les premières à vouloir la recréer, comme pour faire pression en faveur des migrants sur le gouvernement, ce qui est intenable. On les laisse être les maitres du jeu, avec une opinion fragile sur ce sujet envers laquelle on crée tous les risques. On ne saurait pourtant gouverner au gré des bons sentiments d’une minorité agissante. Le ministre de l’intérieur en a même été amené à créer deux nouveaux centres d’accueil de migrants sans-papiers dans le Calaisis, qui ne sont même pas des demandeurs d’asile mais des candidats à l’immigration pour l’Angleterre ! On marche sur la tête !

Mais cela s’inscrit aussi dans le prolongement  d’une politique européenne à laquelle est dévoué le président de la République, qui était censée nous protéger contre certains risques comme celui de migrations massives découlant de la mondialisation. Elle promettait une répartition équitable des migrants dans l’UE, en tenant compte de la réalité de chaque pays, ce qui s’est révélé impossible par le refus de certains Etats membres, alors que la France se trouve avec le couple qu’elle forme avec l’Allemagne, sinon sous son autorité, en situation de devoir donner l’exemple, quitte à se mettre en risque. Là aussi, quel décalage !

Un sentiment d’impuissance et de laxisme est relayé par tout un discours qui tend à considérer qu’il y aurait là fatalité, en jouant sur une culpabilisation générale, opposant pays riches devant être d’un accueil généreux, et migrants des pays pauvres. Il n’est pas un hasard que les ouvriers soient les plus nombreux, 78% selon le sondage, à rejeter l’accueil des migrants, qui subissent de plein fouet la crise amplifiée par les transformations économiques qui les visent particulièrement, loin donc d’être des riches. D’autant qu’ils sont aussi largement abandonnés par la classe politique et courtisés sur ce thème par le FN.

Les choses ne sont pas plus simples pour l’électorat d’Emmanuel Macron, avec une majorité à laquelle participe une « droite compatible » clivée sur ce sujet. C’est sans doute là que peuvent apparaitre les plus grandes divergences, dans ce climat qui flatte l’accusation de laxisme.

Est-ce que la question des migrants est devenue le plus grand déterminant entre droite et gauche ? A quel point structure-t-elle l'opinion ?

Guylain Chevrier : On pourrait penser légitimement que c’est autour de cette question que le clivage gauche-droite est le plus fort, d’autant plus dans cette période de recomposition de la droite sur ses fondamentaux. L’immigration rejoint un questionnement de l’idée de nation, qu’à largement laisser pour compte la gauche institutionnelle. Rappelons-nous l'Appel de Cochin de Jacques Chirac dénonçant en 1978 l’évolution fédérale de l’Europe contre une Europe des nations, accusée de dessaisir la France de son destin. La question de la Nation, mobilisée dans la campagne du candidat Sarkozy, qui n’avait pas été pour rien dans son élection, a de l’avenir devant elle face à tous les couacs en matière d’immigration, dont ceux de l’Europe. La Nation comme concept politique, « communauté d’individus partageant un mode de vie, des valeurs et des normes, des lois, et une mémoire commune, une langue, réaffirmant le principe de souveraineté », est fortement réactivée par une immigration ressentie sans contrôle, vécue comme un saut dans l’inconnu. On doit s’attendre au grand retour de la question identitaire. Selon le sondage, 68% des catholiques sont opposés à l’accueil des migrants, jusqu’à 70% pour les non-pratiquants, un des plus fort taux, ce qui rejoint ce dernier questionnement.

Ceci étant, il faut aussi regarder les choses en termes de tendance, et là on voit moins la division entre gauche-droite sur ce sujet, qu’un mouvement de la société vers une opinion de plus en plus partagée d’opposition à l’accueil des migrants. Car ce sont tout de même 39% de ceux de la France insoumise qui y sont aussi opposés, quand seulement 4% de ceux du FN à l’autre bout y sont favorables. On voit donc que le mouvement de rejet est bien plus fortement partagé, toutes tendances politiques confondues, que l’accueil.

Le devoir d’accueil reste majoritaire, 53%, comme culture des droits de l’homme partagée, même si cette opinion recule légèrement. C’est un acquis, mais attention, la situation est fragile, il y a le sentiment qu’on en use trop, alors que les tensions qui traversent la société française sont ici très fortes, et bien ancrées. Le sentiment d’impuissance face à des flux migratoires qui augmentent, tel que nous venons de le décrire, avec un gouvernement apparaissant comme n’étant pas maitre de sa propre politique, peut inciter à des réactions d’exaspération de plus en plus violentes. Si le gouvernement fait un faux pas, il y a un risque de basculement dans une situation de mobilisation populaire anti-migrants, d’affrontement avec eux, comme en Italie ou même en Allemagne, ou on attaque et brule régulièrement des centres de migrants, alors que nous avons déjà vu en France des actes isolés de ce type.

On peut voir à quel point cette question structure l’opinion, jusqu’à une vision plus large de celle-ci, qui touche aux problèmes d’intégration, comme l’affaire du burkini l’a souligné, ou encore les remises en cause régulières de la laïcité. Ce que l’on ne peut délier des enjeux de l’immigration actuelle. Cette question à n’en pas douter, sera déterminante dans les évolutions politiques à venir.

Jérome Fourquet : On sait que sur un certain nombre de sujets, il peut y avoir des rapprochements et des convergences. Sur la question des migrants l'écart est tout à fait manifeste et nous avons des opinions radicalement opposés. Le président Macron, fidèle à sa volonté de concilier les contraires, prône une politique ferme mais juste. Cela lui permet de rester fidèle à sa démarche mais c'est également pour tenir compte de l'état de l'opinion de son propre électorat. Car même si sur cette question il est assez majoritairement favorable à l'accueil, 43% d'entre eux seraient tentés de fermer d'avantage les vannes. C'est une minorité non négligeable.

J'attire votre attention sur la dernière question. On voit que l'on a une grande stabilité des opinions par rapport à l'année 2015. Cela veut dire que cette crise continue de prospérer mais que pour autant les jugements de fond n'ont guère évolué à l'exception de la question de la connexion potentielle avec la menace terroriste qui a gagné en intensité depuis les attentats de novembre 2015.

Mais sur les autres sujets, tout se passe comme si les grandes représentations à l'œuvre étaient relativement figées dans le temps. Il y a toujours de manière très rependue le risque de l'appel d'air pour le trois quarts de personnes interrogées. L'idée aussi largement ^partagées par 65 % des personnes interrogés, selon laquelle notre capacité d'absorption et d'intégration serait déjà atteinte. Une opinion publique qui est coupée en deux sur les questions du devoir d'accueil. 53% des français estiment qu'il est de notre devoir d'accueillir des migrants qui fuient la guerre et la misère, 47% y sont opposés. On voit que cette idée ne va pas de soi.

Enfin autre élément qui n'a guère évolué depuis 2015 (et qui peut être évoluera par la suite si Emmanuel Macron obtient des résultats sur ce front) c'est un pessimisme toujours très marqué concernant les capacités économiques de notre pays à financer l'accueil. On voit qu'il y a un verrou à la fois économique, culturel  et sécuritaire avec le lien concernant le terrorisme.

Face à cela, l'idée selon laquelle l'accueil de migrant serait une opportunité  pour stimuler notre économie est rejetée par le trois quarts des français. Et l'argument pour contrer ces arguments négatifs qui fonctionne le mieux -mais qui coupe le pays en deux- c'est la question du devoir d'accueil qui ne rencontre le sentiment que de 53% de nos concitoyens. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !