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Le Général Haftar, notre allié libyen qui menace de bombarder les bateaux italiens qui viendraient gérér la crise des migrants
©Reuters

Touché

Une semaine après sa rencontre à Paris avec Emmanuel Macron, et à l'envoi de la marine italienne afin de soutenir les gardes côtes Libyens, le Général Haftar aurait menacé de bombarder un navire italien en cas d'entrée dans les eaux territoriales du pays.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Dans quelle mesure le Général Haftar peut-il être considéré comme un partenaire fiable ?

Alain Rodier : Le maréchal(1) Haftar est une personnalité complexe et ambiguë. Il suffit pour cela de consulter son curriculum sur Wikipedia. Ce qui est certain, c’est qu’il ne manque pas d’ambition personnelle, son modèle étant le maréchal Sissi qui a su reprendre le pouvoir aux Frères musulmans après quelques jeux de palais et beaucoup de violences, choses traditionnelles au Proche-Orient (mais pas que là, certes). Pour régner, il convient d’allier rouerie et force. Il semble qu’Haftar ait bien compris le concept. Il sait se faire conciliant acceptant de faire acte de diplomatie avec tous ceux qui peuvent l’aider dans son ascension vers ce qu’il recherche : diriger la Libye, peu importe le titre (président, roi, maréchal-président, etc.).

Il compte sur ses alliés traditionnels qui, comme l’Egypte souhaite à terme happer la Cyrénaïque et ses ressources en hydrocarbures, là aussi peu importe sous quelle forme : nouvelle province, région indépendante mais rattachée au Caire, etc. Plus discrètement, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite sont aussi à ses côtés, pas tant qu’ils apprécient la truculence - bien cachée - du maréchal mais parce que ses ennemis sont leurs ennemis : les Frères musulmans bien avant les salafistes-djihadistes. En effet, ce sont eux qui sont les maîtres de Tripoli qui ne tient que par l’aide discrète mais réelle de la Turquie et du Qatar (un peu en perte de vitesse en ce moment étant donnés les soucis causés par sa mise à l’index par l’Arabie saoudite et ses alliés).

Moscou qui aimerait bénéficier d’un port en eaux profondes à Tobrouk soutient aussi le maréchal.

1. Cette dignité est bien portée au Proche-Orient mais ne porte pas toujours chance. En France où le titre était historiquement bien porté depuis 1185 (Albéric Clément) jusqu’à Marie Pierre Koenig (mort en 1970), c’est passé de mode par la faute d’un seul.

Si l'avantage sur le terrain peut être donné au Général Haftar, au détriment des autres parties, quels seraient les risques de voir le Général Haftar prendre toujours plus de pouvoir dans la Libye actuelle, notamment du point de vue européen ?

Le maréchal Haftar a toutes les cartes militaires en main car le pouvoir est éclaté entre les milices de Tripoli, de Misrata au nord-ouest du pays, les Touaregs et les Toubous au sud, les Amazighs à la frontière tunisienne et tous les groupes qui dépendent soit d’Al-Qaida au Maghreb Islamique soit de Daech.

Et c’est sans compter que cette énumération est simpliste car la Libye unifiée n’existe plus, chaque portion de terrain étant dirigée par le chef de guerre local qui s’allie avec l’un ou avec l’autre selon l’évolution de la situation.

Le maréchal Haftar est le seul a avoir sous ses ordres des troupes conséquentes avec infanterie, aviation et une (petite) marine. Pourquoi ? Parce qu’il les paye, particulièrement les mercenaires. L’argent provient de multiples sources la première étant les financements extérieurs (voir ses riches alliés), la deuxième le pétrole et la troisième d’origine indéfinie mais relativement douteuse. Il ne faut pas oublier que la Libye est devenue le hub de tous les trafics, particulièrement ceux de l’héroïne en provenance d’Orient et la cocaïne venant d’Amérique latine. Quant aux êtres humains…

Pour l’Europe, il est l’homme du moindre mal qui pourra monnayer l’arrêt de l’immigration sauvage. Pour le moment, l’Italie a obtenu l’autorisation de porter assistance aux gardes côtes libyens pour contrôler les eaux territoriales, ce que la mission Sophia mise en place par l’UE n’était pas parvenu à faire. Cela dit, le problème est complexe et Rome s’expose à des déconvenues.

Malgré les risques existants, quelles sont les alternatives possibles ?

Le président Fayez el-Sarraj a été considéré comme une solution alternative par la communauté internationale suite aux accords de Skhirat signés en décembre 2015 mais il n’a pas de troupes à disposition en dehors des milices de Misrata qui lui sont moyennement fidèles.

Il n’est toujours pas officiellement reconnu par la chambre des représentants de Tobrouk. D’intenses tractations vont se poursuivre pour trouver une solution.

L’Union européenne souhaite avoir un seul interlocuteur mais, comme je le disais précédemment, la Libye est morte en tant qu’Etat. Il ne reste donc que l’homme fort, le maréchal. Mais encore faudrait-il que ses troupes poussent le long de la côte pour conquérir Misrata puis Tripoli. On peut toujours rêver.

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