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Plus values sur licenciement : comment rendre le capitalisme efficace ET humain (et si, c'est possible)
©Reuters

Mission : Impossible ?

La ministre du travail Muriel Pénicaud a réalisé une plus-value de 1,13 millions d’euros grâce à la vente, en 2013, de ses stock-options lors de l'annonce de suppressions de postes au sein de Danone, où elle travaillait. La polémique enfle.

Victor Fouquet

Victor Fouquet

Victor Fouquet est doctorant en droit économique et fiscal à la Sorbonne, auteur de La Pensée libérale de l'impôt - Anthologie (Libréchange, 2016).

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Drieu Godefridi

Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est docteur en philosophie (Sorbonne), juriste, et dirigeant d'entreprise. Il est notamment l'auteur de Le GIEC est mort, vive la science ! (Texquis, 2010), La réalité augmentée (Texquis, 2011) et De la violence de genre à la négation du droit (Texquis, 2013).

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Atlantico : La ministre du Travail Muriel Pénicaud est accusée d'avoir réalisé une plus-value de 1,13 million d'euros en revendant ses stock-options en 2013, profitant ainsi de l'annonce de la suppression de postes au sein de Danone, (où elle travaillait à l'époque). Si ce type de polémique est monnaie courante, il est de notoriété commune que le capitalisme produit des inégalités. Mais n'est-ce pas dans un sens ce qui lui permet de fonctionner ?

Drieu Godefridi : Joseph Schumpeter définissait le capitalisme comme “civilisation de l’inégalité”. De l’aube du capitalisme jusqu’à nos jours, le système capitaliste s’est toujours accompagné d’un cortèges d’inégalités matérielles. Toutefois, il faut préciser : le capitalisme n’exalte pas les inégalités, il leur est indifférent. Je veux dire par là qu’il s’en accommode fort bien — comme il peut s’accommoder, par exemple, d’une politique salariale radicalement égalitaire au sein d’une entreprise. Ce dont le capitalisme ne peut s’accommoder est d’une vision qui institue l’égalité matérielle, ou réelle, en valeur et critère ultime de toutes choses. Car forcer l’égalité ne peut se faire qu’en supprimant la liberté. Pour préciser la formule de Schumpeter, je dirais que le capitalisme est une civilisation de la liberté, de l’imagination, de l’individualité, de la création de richesses, qui se trouve indifférente à l’égalité, sans pour autant instituer l’inégalité comme valeur en soi.

Victor Fouquet : De quoi est-il question en l’occurrence ? Les stock-options, comme les bonus et à la différence des salaires ou des intérêts, constituent un élément variable de la rémunération des dirigeants et actionnaires.Ces options d’achats, qui peuvent être levées, à une date future, sur une quantité d’actions fixée à l’avance, ont pour but d’inciter à une meilleure gestion de l’entreprise. Il peut certes y avoir certains abus, notamment lorsque les cadres dirigeants s’octroient des émoluments de stock-options sans véritable contrôle de la part des actionnaires, qui sont alors les seuls à en pâtir, et à qui il incombe en conséquence de durcir les procédures.

Si ce type de polémiques est monnaie courante, c’est sans doute parce qu’elles permettent chaque fois de satisfaire un large pan de l’opinion publique française, à qui l’on a inculqué depuis l’école une solide culture anticapitaliste (par ailleurs relayée dans bon nombre de grands médias). Le profit du rentier capitaliste y est décrit comme un gain obtenu sur le dos des salariés, seuls à être réellement productifs. En conséquence de quoi il revient à l’État, garant de la justice sociale, d’assurer la redistribution de ce gain indu. Au-delà de l’égalité en droit, avec laquelle se confond l’égalité capitaliste, les « inégalités » entre les individus sont en réalité inéliminables, sauf en effet à s’éloigner d’un fonctionnement de nature capitaliste.

Comment faire pour trouver un capitalisme à visage humain ? Comment trouver l'équilibre entre les intérêts financiers et intérêts sociaux ? 

Drieu Godefridi : Si l’on procède, à l’instar de toute la tradition socialiste depuis les proto-socialistes comme Gracchus Babeuf jusqu’à Thomas Piketty, au départ de l’égalité réelle comme valeur, alors il n’existe aucune forme de capitalisme qui ait un “visage humain”, ni aucun équilibre possible entre les intérêts financiers, économiques et “sociaux”. Car cela revient à exiger du capitalisme ce qui en est l’antithèse, c’est-à-dire l’égalité réelle. Cette égalité, le capitalisme est assurément impuissant à l'engendrer. Par conséquent, il importe de poser la question d’une autre façon — car nous ne sommes bien entendu pas condamnés à procéder au départ de la valeur qui fonde le socialisme ! Dans l’autre grande tradition de la justice, qui va d’Aristote à  Friedrich Hayek, en passant par Hume, Locke ou Edmund Burke, et qui est la tradition libérale, le critère de la justice est celui du respect des règles en vigueur. Est juste un état social, même radicalement inégalitaire, qui est le fruit de règles elles-mêmes considérées comme globalement justes et les mêmes pour tous. De ce point de vue, le libéralisme apparaît comme une tradition du moyen, de la procédure ou de la forme, là où le socialisme s’obsède du seul résultat matériel. Un capitalisme “à visage humain” est le fruit, même radicalement inégalitaire, de règles de droit que l’on peut considérer comme globalement justes.  Ce qui n’est certes pas le cas du droit français contemporain qui est comme une gigantesque muraille mouvante constamment truffée d’exceptions, de niches et de privilèges — généralement d’inspiration socialiste.

Victor Fouquet : Remarquons pour commencer que toutes les sociétés à travers l’Histoire ont été inégales, ne serait-ce que parce que toute organisation sociale repose sur un système d’incitations dont l’influence est obligatoirement inégale. Remarquons ensuite que toutes les tentatives visant à supprimer les inégalités ont été porteuses d’inefficacité, accentuant à leur tour les inégalités pour ouvrir finalement la voie aux totalitarismes. L’expérience communiste fut la parfaite illustration de ce cercle vicieux. Demandons-nous plutôt si ce n’est pas la philosophie égalitariste contemporaine qui génère le plus d’injustices. Raymond Aron avait à cet effet raison de dire que « l’égalitarisme doctrinaire s’efforce vainement de contraindre la nature, biologique et sociale, et il ne parvient pas à l’égalité mais à la tyrannie ».

En tant qu’il repose sur le respect des droits de propriété d’autrui, le capitalisme demeure la seule organisation sociale authentiquement morale, en sorte qu’il ne faut pas tant l’ « humaniser » ou le « moraliser » que le restaurer. Il est, de fait, considérablement affaibli par tout un ensemble de pratiques étatiques : surtaxation du patrimoine et de l’épargne, dépenses publiques vertigineuses, politiques monétaires expansionnistes... – autant de facteurs qui érodent le sens de la responsabilité individuelle et nuisent au bon fonctionnement du marché.C’est précisément parce qu’il n’est pas une construction arbitraire (à la différence de ce que pouvait être, là encore, l’Union soviétique) mais spontanée, qu’il répond aux besoins exprimés par l’homme, que le capitalisme est plus humain que n’importe quel autre système. C’est là, du reste, la garantie de sa pérennité.

Malgré la bonne volonté de certains dirigeants des grandes entreprises, les élans en faveur d’une société plus égalitaire ne seront-elles pas toujours limités par les impératifs de l’économie de marché ? Le marché veut-il  (peut-il) être plus humain ? 

Drieu Giofredi : Une fois encore, poser la question dans les seuls termes de l’égalité réelle revient à concéder par avance le socialisme. Le socialisme dans ses différentes composantes et strates historiques se laisse, comme je le montre dans un essai à paraître à la rentrée, réduire à la seule valeur de l’égalité réelle. Il faut constater que cette valeur imprègne si bien nos sociétés qu’elle résonne comme une sorte d’évidence, et qu’à peu près plus personne ne s’aventure à la mettre en cause. Et cela n’a rien de miraculeux, mais s’explique rationnellement par l’insolente domination de la gauche dans les sphères académiques, scolaires et médiatiques (tout du moins les médias traditionnels). Notons, au passage, que la volonté de bannir toute forme de pauvreté, de misère, objectif libéral s’il en est, est évidemment distinct, et même étranger, au projet égalitaire qui, comme son nom l’indique, s’indigne de toute espèce d’inégalité réelle du seul fait de son existence. Ceux qui ont fait l’effort de lire le Capital de Piketty, probablement l’auteur communisant le plus important de ce début de siècle, auront noté sa volonté de confisquer les “hauts revenus” — définis de façon très large — non pour ménager des revenus à l’Etat, ou parce ces hauts revenus seraient économiquement peu “rentables”. Non, l’objectif, le seul objectif de M. Piketty — il le revendique nettement ! — est de faire disparaître ces revenus dont la seule existence fait injure à sa vision de l’égalité. Comme Rawls, Keynes et d’autres socialistes avant lui, Thomas Piketty procède en réalité d’une vision naïve et en tout cas unidimensionnelle de la justice, réduite au seul critère de l’égalité matérielle. Les Grecs avaient mieux le sens de la nuance !

Donc pour répondre à votre question le marché peut être humain dans le sens du respect des règles de droit et du bannissement de la pauvreté. Mais en exiger l’égalité réelle revient à attendre une truite d’un aigle.

"Alors que votre gouvernement se livre à des comptes d'apothicaire pour serrer de plusieurs crans la ceinture de notre peuple, nous apprenons que vous avez engrangé des bénéfices indécents sur le dos de la souffrance de 900 salariés et de leurs familles." Ce sont les propos tenu par Eliane Assassi, la présidente du groupe Communiste. Pensez-vous qu'il soit encore possible pour Murièl Pénicaud d'exiger des sacrifices aux français de la même manière qu'un patron exigerait des sacrifices de ses employés (gel des embauches, suppression de poste…) ? Comment trouver le bon équilibre ? Faut-il nécessairement, à l'instar de Jeff Bezos, ne pas s'embarrasser des considérations avec ses employés ?

Drieu Godefridi : Vous posez la question de la cohérence de la parole publique et du comportement privé. Je ne connais pas le discours de cette personne et ne me prononce donc qu’à titre général. On peut légitimement, me semble-t-il, considérer comme regrettable que des apôtres public de l’égalité célèbrent en privé les inégalités — à leur avantage. C’est le cas de nombreux intellectuels et politiques socialistes. Il serait intéressant de connaître, par exemple, le sort réservé par M. Piketty aux revenus indubitablement très hauts — au sens strict cette fois — qu’il tire de ses ouvrages. Ce n‘est évidemment qu’une question rhétorique. Pour le reste, je ne vois aucune difficulté à ce qu’un politique soit un gestionnaire avisé de son propre patrimoine — et même cela me paraît garantir, quand il s’agit d’un patrimoine réellement privé, pas tiré de revenus publics, cette sorte de doigté et de sens des réalités dont tant de politiques-fonctionnaires français sont si malheureusement dénués.

Je voudrais terminer notre entretien par cette remarque : le socialisme célèbre l’égalité réelle, et l’institue en critère ultime de la justice en toutes choses. Il faut toutefois noter que dans la réalité des faits, non seulement le socialisme a toujours échoué à faire advenir l’égalité, encore ses expériences les plus abouties — l’URSS, la Chine de Mao — furent-elles les sociétés les plus parfaitement inégalitaires de l’histoire humaine. La raison de cet échec universel du socialisme est que l’inégalité, n’en déplaise à Rousseau, est un indépassable fait de nature. Prétendre la mettre bas ne peut conduire, et n’a jamais conduit, qu’à des aberrations. Si nous voulons sortir du socialisme, il faut renoncer à la valeur qui le fonde.

Victor Fouquet : Dispensées par un élu ou militant communiste, les leçons d’humanisme ne manquent jamais de sel. Pour mieux la discréditer, les adversaires de la société capitaliste, bien souvent, postulent un monde chimérique dans lequel il n’y aurait ni licenciements, ni faillites d’entreprises, ni chômage. C’est là une conception fantasmagorique et finalement inhumaine de la vie en société, pour la simple et bonne raison que l’homme est intrinsèquement faillible ! Procédant par tâtonnements, il commet nécessairement des erreurs, quel que soit le système social. Or, la supériorité du capitalisme réside précisément dans sa capacité à sanctionner les erreurs commises et à en tirer les leçons – autrement dit à s’autoréguler grâce à l’apprentissage de certaines règles (les « règles de juste conduite » dont parle Hayek) qui, ainsi mises en place, soutiennent la déontologie du marché.

La formulation de votre question trahit elle-même une représentation erronée de la société, où le « patron » affronterait les « employés » et exigerait d’eux des « sacrifices ». En réalité, l’employeur est lié à l’employé par un contrat, librement consenti, qu’il convient de respecter. Quant à Muriel Pénicaud, son cas personnel importe assez peu dès lors qu’elle n’a rien commis d’illégal. Seul devrait nous intéresser le problème de fond : la multitude de textes législatifs et réglementaires qui enserrent le marché du travail et donnent l’illusion de la protection.

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