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Tension sur les armées : mais à quels intérêts industriels opposés à l'intérêt général fait référence le Président Macron ?
©REUTERS/Benoit Tessier

Tension

Emmanuel Macron demande un effort financier de 850 millions d'euros, qui porte sur le matériel en opération extérieure des forces militaires françaises. Selon lui, "L'intérêt des armées doit primer sur les intérêts industriels".

Michel Goya

Michel Goya

Officier des troupes de marine et docteur en histoire contemporaine, Michel Goya, en parallèle de sa carrière opérationnelle, a enseigné l’innovation militaire à Sciences-Po et à l’École pratique des hautes études. Très visible dans les cercles militaires et désormais dans les médias, il est notamment l’auteur de Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail, Les Vainqueurs et, chez Perrin, S’adapter pour vaincre (tempus, 2023). Michel Goya a publié avec Jean Lopez « L’ours et le renard Histoire immédiate de la guerre en Ukraine aux éditions Perrin (2023).

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Romain Mielcarek

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek est journaliste indépendant, spécialiste des questions de défense et de relations internationales. Docteur en sciences de l'information et de la communication, il étudie les stratégies d'influence militaires dans les conflits.

 

Il anime le site Guerres et Influences (http://www.guerres-influences.com). Il est l'auteur de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", publié aux éditions Tallandier.

 
 
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Atlantico : Emmanuel Macron a fait référence au lobby militaro industriel le 13 juillet à l'Hôtel de Brienne. Qu'entend-il par là ? Est-ce que les coupes budgétaires sont aux finals plus préjudiciables pour l'armée ou les industriels selon vous ?

Romain Mielcarek : En France, la Défense dépend de plusieurs acteurs. L’industrie de l’armement en est un qui reste crucial. Pour mener leurs missions à bien, les militaires ont besoin d’être équipés et pour pouvoir le faire en toute indépendance, notre pays a toujours choisi de préserver un tissu industriel national fort. C’est la raison d’être de nos entreprises d’armement : fournir tout ce dont nos soldats ont besoin. Malgré de très bon résultats à l’export ces dernières années, la France reste d’ailleurs le client numéro Un de nos entreprises.

Emmanuel Macron fait ici, avec cette réduction budgétaire, un choix politique et stratégique. Il veut faire rentrer l’ensemble des dépenses, opérations extérieures incluses, dans le budget de la Défense. Ce n’est pas une baisse du budget mais une économie pour justement respecter ce budget. En 2016, la Cour des Comptes sonnait l’alarme sur les surcoûts des opérations extérieures : 1,1 milliards d’euros entre 2013 et 2015 ont dû être rajoutés à l’ardoise. Derrière cette démarche comptable, on peut voir une volonté du gestionnaire Macron qui veut remettre les choses à plat.

Cette annonce a alerté les hauts responsables militaires qui s’inquiètent du niveau d’équipement des troupes. Une telle réduction menace les moyens mis à disposition de nos soldats : véhicules neufs, notamment pour ceux qui doivent arriver dans le futur, alors que les militaires peinent sur le terrain avec des engins souvent mis à rude épreuve, mais aussi pièces de rechange. Le Parlement a alerté à plusieurs reprises le gouvernement des difficultés à maintenir les équipements en conditions opérationnelles.

Dans ce bras de fer politico-médiatique ente le président et la plus haute autorité militaire, Macron manœuvre en politique. Nos militaires bénéficient d’une très bonne opinion auprès des Français. Difficile de leur demander de concevoir à des sacrifices supplémentaires. Dénoncer le lobby militaro-industriel, c’est un moyen de déplacer la responsabilité de cette opposition en pointant du doigt les entreprises. Si l’opinion publique s’émeut de ce qui touche nos soldats, il est peu probable qu’elle prenne le parti des fabricants d’armes ! Surtout lorsque l’on a multiplié les annonces de contrats juteux signés à l’étranger !

Reste à savoir qui paiera les pois cassés. La réponse est simple : les militaires ET les industriels. Les premiers parce qu’ils devront encore tenir avec des matériels dont beaucoup sont particulièrement vieux et fatigués (la majorité des soldats vont au combat avec des véhicules qui ont l’âge de leurs parents…). Les seconds parce que les programmes d’équipement vont devoir encore patienter et qu’ils perdent ici une importante source de revenus. A ne pas négliger non plus : ces décalages peuvent entrainer des surcoûts… qui seront finalement payés par le contribuable.

Michel Goya : Les coupes budgétaires sont préjudiciables à l’ensemble de la nation. Si l’industrie de défense est un lobby, c’est un bien mauvais lobby à l’exception peut-être de Dassault. La crise budgétaire qui affecte les armées depuis la fin de la guerre froide affecte aussi évidemment notre industrie de défense, qui a perdu 200 000 emplois durant cette période, et, du fait de la réduction de plus de moitié de format des forces armées françaises, son premier marché, est devenue extrêmement dépendante des exportations. Elle y réussit plutôt bien mais cela a aussi des implications à la fois sur notre diplomatie qui peut devenir dépendante de quelques gros clients et sur nos forces. La vente d’avions Rafale à l’exportation est d’autant plus vitale que l’on aurait du mal à financer les 10 appareils minimum que le constructeur doit fabriquer dans l’année. Pour ma part, je préférerai que l’on soit beaucoup plus dépendant de la demande intérieure que de l’Arabie saoudite. 

Il faut rappeler que cette industrie, par principe, la moins délocalisable de toutes et que l’argent qui y est investi est investi d’abord en France, dans des entreprises généralement de haute-technologie dont les effets bénéfiques pourraient soutenir l’économie et même in fine les recettes fiscales. Il faut rappeler par exemple que c’est par le réarmement du 3e New Deal que les Etats-Unis sont sortis de la crise (et ont pu nous libérer par la suite). Bien plus que le lobby des industriels, c’est le lobby des économistes de la politique de l’offre, ou disons libéraux, qui paraissent dangereux à s’acharner uniquement sur les économies de dépense publique, et particulièrement dans les ministères régaliens. On notera au passage qu’Emmanuel Macron ne parle pas du lobby nucléaire, au moment où il vient de décider de la recapitalisation à plus d’une milliard et demi d’Areva. C’était visiblement plus important que celle des armées. 

Atlantico :  Quels sont les rap orts entre Brienne et le monde de l'industrie de l'armement ? Les dépenses d'équipement sont-elles vraiment toujours justifiées ou peut-on imaginer que Brienne peut céder à un lobby militaro industriel ? 

Romain Mielcarek : Oui, les dépenses d’équipement sont toujours justifiées. Elles sont le résultat d’un choix politique : armer nos forces pour leur donner les moyens de remplir leur mission. Réduire ou augmenter ces moyens est un choix politique et stratégique. On ne peut clairement pas accuser la France d’avoir fait dans l’excès de zèle : nos soldats travaillent avec du matériel souvent usé, ils manquent de pièces de rechange et ils doivent souvent compléter leur paquetage sur leurs propres deniers.

Le ministère des Armées doit veiller à ce que l’industrie de l’armement se porte bien. Elle est l’un des maillons de notre Défense. L’Etat est d’ailleurs actionnaire au capital de la quasi-totalité des principaux fabricants. Les relations ont été bonnes sous Sarkozy et encore meilleures sous Hollande-Le Drian. Ce dernier, en tant que ministre de la Défense, avait préparé le terrain en réfléchissant à une stratégie industrielle ambitieuse et internationale.

Il y a ici des rapports de forces tout à fait naturels. Les militaires n’ont jamais assez d’équipement. Les industriels les soutiennent toujours car eux n’ont jamais assez de chiffre d’affaire. Les financiers s’appliquent à faire rentrer les dépenses dans le budget, alors que ce n’est pas le cas. Qui a raison ? Tout le monde. Mais il faut arbitrer.

Sous François Hollande, les arbitrages ont souvent penché en faveur des armées et de l’industrie. Jean-Yves Le Drian a bien défendu sa paroisse et l’actualité a rendu les besoins et les arguments des militaires particulièrement pertinents. Le président socialiste avait surtout en vue sa principale menace : la montée inexorable du chômage. Or sous son mandat, l’industrie de l’armement pouvait se targuer d’être l’un des rares secteurs en croissance, avec 165 000 emplois et 40 000 créations supplémentaires envisagées d’ici 2020. Un argument de poids.

C’est certainement là que Macron se montre le plus audacieux : on aurait difficilement imaginé qu’il puisse s’opposer ainsi à un poids lourd aux arguments aussi solides. D’autant plus que les contacts entre les industriels et les équipes de Macron étaient bons depuis la campagne. Audacieux mais risqué. Car les signaux d’alertes sur la qualité de nos équipements ne cessent de se multiplier depuis quelques années. Si dans un futur proche, des militaires français meurent au combat et que l’on estime qu’ils auraient pu s’en sortir avec un meilleur matériel… C’est le président qui sera considéré comme le principal responsable. Et ce jour-là, industriels et militaires ne manqueront pas de le lui rappeler.

Michel Goya : Ils sont parfois un peu compliqué puisque les points de vue et les intérêts ne sont pas forcément les mêmes. Par goût et pour obtenir une marge plus importante, les industriels auront tendance à proposer des équipements hauts de gamme là où ce n’est pas forcément l’intérêt des armées. Mais en même temps, les armées peuvent choisir ce haut de gamme couteux pour justifier et conserver leur budget. 

Prenons l’exemple du Véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI). Il aura fallu à l’armée de terre quatre ans (de 1986 à 1990) pour décider de ce qu’elle voulait, entre partisans d’un véhicule à roues et les adeptes de la chenille. Trouvant la facture trop élevée, le politique s’en est mêlé et a poussé pour un programme commun industriel. Il s’en est suivi dix ans de discussions pour s’apercevoir que personne n’était d’accord. Retour à la case départ. En 2000, le marché est attribué à la société GIAT/Industries RVI, devenue ensuite Nexter. Entre ratages techniques et mauvais dialogue, il faut encore sept ans pour avoir un prototype qui convienne à l’armée de terre et qu’on puisse obtenir une première livraison en 2008. Entre temps, pour faire des économies les commandes avaient diminué et le coût unitaire augmenté de plus d’un million d’euros, en faisant avec 3,5 millions un des engins de sa catégorie les plus chers au monde (ce qui peut se concevoir avec de simples lampes de plafond facturées à 1 500 euros). Au final, le programme aura coûté plus cher que prévu pour moins d’engins. Ceux-ci sont par ailleurs excellents mais ce n’est pas toujours le cas. La plupart des ratages viennent souvent de la volonté politique de réduire les coûts en mutualisant les programmes. 

Mais en même temps, les armées ne savent pas forcément quelles sont les possibilités de l’industrie. « Si j’avais demandé à mes consommateurs ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu : des chevaux plus rapides. » auraient-dit Henry Ford et c’est un peu vrai pour les armées. Il faut donc un dialogue permanent et pour l’instant des individus-passerelles, avec d’un côté des officiers-spécialistes qui puissent suivre un projet sérieusement et sur la durée (ce qui est rarement le cas avec le système actuel) et de l’autre, comme en Israël des industriels de défense-réservistes ou anciens militaires. L’armée de l’air fait ça plutôt bien en France, au profit de Dassault surtout, et la marine avec Naval Group. L’armée de terre, dont l’industrie de soutien est-il vrai beaucoup plus fragmentée et a moins de poids a plus de difficultés. On peut se demander par ailleurs si l’intermédiaire de la Direction générale de l’armement (DGA) responsable des achats n’est pas plus néfaste qu’utile en mettant un écran entre les armées et les entreprises. 

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