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G20 : Donald Trump veut se faire le porte voix des conservateurs européens
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Disraeli scanner

Le président des Etats-Unis cherche à devenir le représentant des conservateurs européens face aux libéraux, au point de se demander si Donald Trump ne tente pas de diviser profondément l'Europe.

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 9 juillet 2017.

Mon cher ami,

J'ai suivi avec autant de curiosité que toi ce sommet international que ses participants affublent d'un chiffre et d'une lettre: le G20. Imagines-tu que j'aie jamais pu me présenter devant la Reine, quand j'étais Premier Ministre, en lui proposant de l'informer sur "les sujets qui seront traités au prochain G.46" ?  Et bien voilà quarante ans que nous enchaînons les G7, G8, G20 etc....Peut-on faire confiance à une époque qui traite la diplomatie comme une question de dossiers technocratiques tous affublés d'un numéro?  Je n'oserais pas attribuer les tensions qui  marquent le monde à la manie bureaucratique de nos chancelleries. Mais tu remarqueras l'impuissance de sommets internationaux qui prétendent être l'embryon d'un gouvernement du monde et qui ont bien du mal à suivre l'évolution des forces géopolitiques ou, tout simplement, à arrêter un conflit comme la guerre qui se déroule actuellement en Syrie.

Tu sais bien comme la Russie et la Chine ont fait émerger, depuis vingt ans, leur propre organisation, l'Organisation de Shanghai. Elle ne porte pas de numéro, elle. Les présidents Poutine et Xi sont aujourd'hui en mesure de rassembler presque la moitié de la population de la planète lors de sommets qui sont en train de structurer l'Eurasie, en particulier autour du projet chinois "One Belt. One Road", que l'on appelle aussi "La Nouvelle Route de la Soie". L'Inde et le Pakistan viennent de rejoindre le club. La Turquie et l'Iran y sont obsrervateurs. Je te conseille de lire le blog "Indian Punchline" de l'ambassadeur Bhadrakumar si tu veux suivre l'évolution du monde, comprendre ce qui se passe au Moyen-Orient ou en Mer de Chine. Cet ancien ambassadeur en Ouzbekistan et en Turquie en voit infiniment plus sur l'évolution du monde que les fonctionnaires du Foreign office, enfermés dans leur cadres d'analyse hérités du XXè siècle - comme leurs collègues du continent, d'ailleurs.

J'étais parti pour parler du G20, pardon du sommet de Hambourg, et me voilà à t'expliquer qu'il y a bien plus intéressant à regarder ailleurs. Sur le fond, je n'ai aucune raison de penser qu'il s'est produit une révolution diplomatique dans le monde occidental qui pourrait permettre au G20 de recoller à la réalité du monde. Nous nageons encore largement dans une soupe libérale qui a toutes les caractéristiques de ce que j'ai toujours combattu chez Gladstone (le style flamboyant en moins): le déversement des bons sentiments qui masquent une volonté de puissance non assumée; la disposition à détruire un Etat à coups de bombes pour peu que l'opinion publique se soit émue d'une information diffusée sans vérification préalable par les médias; la division du monde entre la lumière ("le monde libre", nous) et les ténèbres (de petits ou moyens Etats qui résistent à nos injonctions; un double langage qui fait que l'on n'osera pas critiquer la Chine, si puissante, au nom des mêmes principes qui ont fait abattre la Serbie ou l'Irak.

Il ne m'est pas besoin de regarder à Washington. A Londres aussi, on rencontre une majorité de politiques, de hauts fonctionnaires, de journalistes qui sont prêts à sortir l'artillerie sur commande. En matière de russophobie obsessionnelle ou d'incapacité à comprendre l'aspiration de la société iranienne à la démocratie dans la paix, nous sommes aussi bien servis en Europe qu'outre-Atlantique.

Alors tu penses bien que j'ai regardé avec un certain amusement comment la cible favorite des médias main stream (MSM), Donald Trump, a largement imposé son agenda au sommet, quoi qu'en disent ces mêmes MSM. Le protectionnisme commercial? Ah oui, il faut le condamner - mais voilà que les Etats-Unis font condamner en même temps le dumping commercial dans le même texte. L'accord de Paris sur le climat? Il y a quelques semaines, tout le monde s'apitoyait sur un président américain qui en faisait sortir son pays; à présent on en est à redouter que l'exemple américain fasse contagion et on essaie de ramener le président américain à la table des sommets sur l'environnement. Où sont vos convictions, Mesdames et Messieurs les Libéraux?

Il est encore difficile de mesurer le rapport des forces. Mais tu observeras la séquence: un discours très politique du président américain, à Varsovie, au monument de la Résistance polonaise: Donald Trump s'est réclamé du souvenir de Jean-Paul II visitant son pays opprimé par le communisme et il a érigé l'esprit de résistance du peuple polonais comme modèle pour l'Europe. Premier pavé dans la mare. Puis il a rencontré, au moment qu'il avait choisi, le président russe; le protocole prévoyait 30 mn. Les deux hommes sont restés plus de deux heures ensemble. Second pavé dans la mare.  Peu de décisions spectaculaires à l'issue de la rencontre avec Poutine(même sur la Syrie, où il faudra voir ce que donne la concertation américano-russe à l'épreuve du terrain) mais, de la part du président américain, un jalon sur la route de constitution d'une coalition des conservateurs autour de thèmes comme la fin du libre-échange idéologique, une lutte sans ambiguité contre le terrorisme, le retour à une conception "souverainiste" des relations internationales. Il faudra du chemin - et il est peu probable que Trump transforme du jour au lendemain les contours de la diplomatie américaine. Mais il aura imposé son agenda au sommet de Hambourg, en particulier en faisant tout pour accentuer la ligne de faille qui traverse l'Europe, et qui devient de plus en plus visible, entre "conservateurs" et "libéraux".

Evidemment, je n'entends pas confondre "conservateur" et "populiste". On est encore très loin de la constitution de forces qui puissent systématiquement l'emporter sur les libéraux. Le populisme est stérile, il n'est que l'envers du mondialisme. Trump lui-même est souvent plus populiste que conservateur. J'appelle conservateur un mouvement qui se fixe pour tâche de faire fructifier l'héritage reçu des générations précédentes et a pour obsession de transmettre le pays en meilleur état qu'il ne l'a trouvé. Les conservateurs sont des protecteurs et des modernisateurs à la fois. Vu que les libéraux sont bien installés au pouvoir à Paris et à Berlin, nous aurons le temps d'approfondir ces réflexions avant même qu'une nouvelle force politique puisse seulement songer à les déloger. En attendant, savoure la venue du président américain au défilé du 14 juillet: nul ne sait comment, mais il sera le héros médiatique de la journée, quoi que fasse votre jeune et énergique président.

Ton ami,

Benjamin

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