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Avec, sans ou contre eux... : mais quelle cette Europe aux valeurs si différentes et à laquelle Donald Trump rend visite avant le G20 de Hambourg ?
©Reuters

Eurosceptique

Composé de gouvernements souverainistes d'Europe centrale, le groupe de Visegrad se trouvent aujourd'hui dans une position délicate, coincé entre des membres fondateurs de l'Union souhaitant aller vers plus d'intégration européenne, et le difficile choix de quitter le navire européen.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : Ce jeudi 6 juillet, Donald Trump se rendra en Pologne, en préambule au G20 de Hambourg, notamment pour prononcer un discours devant le monument de l'insurrection de Varsovie. Cette vistite n'est pas un hasard pour un Président américain qui semble bien plus proche des idées défendues par Jaroslaw Kaczynski, président du Parti droit et justice; notamment sur les thématiques migratoires, l'Islam, une forme de souverainisme, de nationalisme qui peuvent être exprimées au travers du "Groupe de Visegrad" ou de "l’initiative des 3 mers". Quelle est cette autre Europe qui coexiste avec celle du couple Franco Allemand ? Quels sont les enjeux de cette Europe vis à vis des nations fondatrices de l'Union ? 

Jacques Rupnik : Il y a effectivement au sein de l'Europe des divisions sur plusieurs sujets. Il y a d'abord une division nord / sud au sein de la zone euro. Il y a une division est / ouest qui est apparue avec la crise des migrants et sur la question des démocraties “illibérales” - comme on dit aujourd’hui - dans certains pays d’Europe centrale, y compris la Pologne. Il se trouve que, sur les deux terrains que je viens de citer, il y a une sorte de convergence, imprévue peut-être, entre l’électiopn de Trump et l’arrivée au pouvoir, un an auparavant, du parti Droit & Justice en Pologne. Les critiques formulées à l’égard du gouvernement polonais et à l’égard de Trump concernent ce populisme, avec cette réticence à accepter la séparation des pouvoirs et les règles institutionnelles de la démocratie libérale. En Pologne, cela s’est traduit par les attaques contre la Cour Constitutionnelle et des médias indépendants. On retrouve donc une convergence avec Trump qui, à sa façon, s’est trouvé après son arrivée au pouvoir confronté aux institutions et à la séparation des pouvoirs. Il a été contré tout de suite par des juges. Il est dans une guerre permanente avec les médias. On pourrait y rajouter le mépris du politiquement correct, et la tendance à parler sans ambage de certains sujets. On pourrait même y rajouter leur peu d’engouement pour des organisations supranationales, comme l’Union Européenne et l’OTAN. C’est vrai que Trump avait en quelque sorte prédit la désagrégation de l’Union Européenne après le Brexit. Le dirigeant polonais, Jaroslaw Kaczynski, et le Premier ministre Hongrois, Viktor Orban, avaient appelé au lendemain du Brexit à une autre révolution en Europe. 

Cyrille Bret : La visite du président Trump en Pologne revêt une portée symbolique importante : il tente de réactiver les réseaux d’alliance noués par les Etats-Unis dans la période post-soviétique. La Pologne est depuis longtemps un allié privilégié par les Etats-Unis : sa position géopolitique au contact immédiat de la sphère d’influence russe, son hostilité pluri-séculaire à l’hégémonie russe dans la Baltique et en Europe orientale, le poids des communautés et des hommes politiques d’origine polonaise aux Etats-Unis, la santé économique du pays, etc. tous ces facteurs ont depuis longtemps concouru à faire de la Pologne un appui pour les Etats-Unis en Europe. A ces facteurs structurels s’ajoutent des facteurs conjoncturels : l’administration Trump est perçue très négativement en Europe occidentale, notamment à Paris, Berlin et Bruxelles. En effet, le président Trump a salué le Brexit, critiqué abondamment l’UE et la bureaucratie bruxelloise, morigéné les Etats européens parties à l’OTAN en raison de leur peu d’investissements budgétaires dans le domaine de la défense et refusé de rappeler l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord qui prévoit une solidarité automatique des tous les alliés de l'OTAN en cas d’agression d’un allié. En somme, la visite en Pologne de Donald Trump, par-delà les affinités idéologiques affichées, est un moyen de trouver sur le vieux continent des soutiens face à l’axe Paris-Bruxelles-Berlin en pleine réaffirmation.

Le groupe de Visegrad et l’initiative des trois mers sont deux groupes intergouvernementaux pour le moment peu développés du point de vue institutionnel. Mais ils ont tous les deux pour objectifs de faire entendre les positions des Etats-membres ayant rejoint l’Union européenne à partir de 2004 et du "Grand élargissement ». Le premier, créé en 1991 à la demande de l’UE pour faciliter les négociations d’adhésion, réunit aujourd’hui la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque soit le sigle V4. Ce groupe de travail est passé par des hauts et des bas en fonction des proximités politiques des gouvernants et en fonction des relations avec l’UE. D’abord réticents à être traités en bloc par l’UE, les Etats du V4 l’ont ensuite délaissé une fois l’adhésion réalisée. Mais il l’ont réactivé depuis la fin des années 2000 autour de coopérations culturelles, universitaires et de consultations politiques préalables aux sommets européens. Depuis quelques années, les couleurs politiques des gouvernements du V4 sont proches : hostiles à l’islam, au multiculturalisme, au fédéralisme ou encore au poids des Etats fondateurs de l’UE, ces Etats proposent leur propre programme de plus en plus visiblement depuis le Brexit. 
L’initiative des trois mers est elle bien plus récente. Elle tiendra son premier sommet à Varsovie aujourd’hui. Elle regroupe les Etats membres les plus orientaux et les moins riches (hormis la Pologne) autour des pôles géographiques de la Baltique, la Mer Noire et la Mer adriatique. Face à la reviviscence du couple franco-allemand et aux initiatives de la Commission présidée par Jean-Claude Juncker, les Etats de cette initiatives reprennent le flambeau du souverainisme laissé par le Royaume-Uni et font valoir les aspirations des « petits » Etats plus récemment intégrés dans l’UE. Il ne s’agit pas d’une stratégie dissidente mais d’un groupe d’intérêts dans l’Union, comparable à des coalitions plus ou moins informelles qui se nouent dans les institutions européennes.

Quels sont les ressorts idéologiques de cette Europe de Visegrad ? Comment expliquer que des pays, notamment la Hongrie, qui était à l'origine de la chute du mur de Berlin, semblent ainsi tourner en partie le dos aux européens ? S'il s'agit d'une réaction, quelles ont été les actions européennes, ou le "modèle" européen qui sont ainsi rejetées ? 

Jacques Rupnik : Je pense que cette autre Europe se sent mal à l’aise. Plusieurs des pays de la région, sur la question des migrants par exemple, refusent la répartition par quota. L’initiative des Trois Mers, polono-croate, veut réunir les dirigeants des pays de la mer Baltique, de la mer Noire et de la Mer Adriatique. On voit qu’il y a donc 12 pays concernés, et que cela se présente comme un ensemble régional au sein de l’Union Européenne. Le groupe de Visegrad est le groupe restreint des pays d’Europe centrale, tandis que le groupe des Trois Mers est la version élargie, avec au centre la Pologne qui a un pied dans chaque mer une ambition très affirmée. Cette sorte d’alliance est composée de gouvernements souverainistes qui se légitiment par un recours au nationalisme, s’opposant aux règles l’Union Européenne. Il y a une hostilité à l’idée qu’on répartisse les migrants par quota car c’est une mesure jugée inefficace. L’une de leurs principales objections est que l’Union Européenne ne distingue pas suffisamment les demandeurs d’asile et les migrants en général. Ce qui a été fait depuis 2015 remet en cause les accords de Dublin sur le droit d’asile. En attendant des mesures efficaces, il est légitime que que chaque gouvernement puisse prendre des décisions qu’il juge efficace. En Hongrie, cela est allé jusqu’à la construction d’une clôture. Leur thème commun avec Trump relève de la souveraineté, et du contrôle de qui est admissible ou non sur le territoire. Si Schengen n’existait plus, cela relèvera du droit de chaque gouvernement. 

Cyrille Bret : Le premier ressort politique du V4 est, on l’oublie souvent, une hostilité de principe aux empiétements sur la souveraineté et l’identité nationale. Les Etats parties au V4 ont en commun un passé de victimes de impérialismes européens, qu’il s’agisse de la domination russe, autrichienne ou encore allemande. Quitter le giron soviétique pour abdiquer immédiatement leurs attributs de souveraineté au profit d’une Europe fédérale est pour eux impensable, même s’il s’agit d’un fantasme politique. Les autres facteurs d’union entre les membres du V4 se sont manifestés récemment : au moment de la crise migratoire en 2015 et 2016, ils ont récusé la politique de quotas répartissant les migrants entre les Etats membres de l’UE. Pour eux, il s’agissait tout à la fois d’une politique imposée contre leur gré par Bruxelles mais aussi d’une menace contre leurs identités chrétiennes très marqués. Leur point d’union a été de refuser l’accueil des réfugiés et même leur transit. La Hongrie s’est ainsi montrée particulièrement hostile et violente à l’égard des flux transitant par la « route des Balkans ».

A ces deux ressorts s’ajoutent les affinités politiques des partis PiS en Pologne, FIdesz en Hongrie et des administrations présidentielles ou primo-ministérielles en Tchéquie et en Slovaquie : tous prônent une « démocratie illibérale » autrement dit un système politique dans lequel les compétitions électorales sont régulièrement organisées mais dans lesquels les contre-pouvoirs (médiatiques, parlementaires, financiers, universitaires) et les minorités (ethniques, linguistiques, sexuelles) ne sont pas protégés, au contraire. La Hongrie est dans une situation tout à fait préoccupante : alors qu’elle est, après la Pologne, le deuxième destinataire des subventions européennes, elle conteste ouvertement le corpus des valeurs fondamentales de l’UE notamment l’Etat de droit. Il s’agit d’un rejet du libéralisme de la société ouverte prônée par l’UE. Mais il s’agit aussi d’un palliatif à la mauvaise gestion du pays depuis la fin des années 1990.  Les rapprochements concomitants avec la Russie dans les domaines nucléaires, industriels, bancaires, etc. donnent une tonalité spécifique : la fascination pour un régime fort met la Hongrie dans un entre deux entre la Russie et l’UE.

3- Quel est l'avenir de cette Europe alternative ? Est elle vouée à jouer les seconds rôles par rapport à un noyau dur se dirigeant vers plus "d'intégration", ou dispose t elle de moyens de produire une véritable opposition ? Quels sont ses relais, en quoi cette visite de Donald Trump peut elle lui profiter ? 

Jacques Rupnik : Au lendemain du Brexit, regardé avec un certain enthousiasme par Viktor Orban, il y a une leçon à en tirer selon cette autre Europe ; Bruxelles porte une responsabilité dans le départ des Britanniques, et qu’il faut rapatrier les pouvoirs au niveau des Etats membres. Or, que s’est-il passé depuis? Au lieu de voir une désagrégation de l’Europe que bien des commentateurs prédisaient, on a vu, dans les élections autrichiennes et hollandaises, puis plus récemment dans les élections présidentielles française,  qu’il y avait au contraire, sous les effets conjugués à l’est de Poutine et des islamistes au sud, il y a une volonté des Européens de se regrouper; et de relancer la dynamique de l’Union Européenne. Cela place les pays d’Europe centrale devant un dilemme. Ils ont peut-être, pour certains d’entre eux, de la sympathie pour le Brexit, mais ils n’ont pas la possibilité de faire le Brexit. Leurs obstacles sont à la fois géopolitiques ; la Pologne, proche de la Russie, ne peut quitter pas aisément le navire européen. Il y a également des considérations plus terre-à-terre : les pays d’Europe centrale bénéficient du budget européen (environ 3% du PNB pour plusieurs d’entre eux). Cette idée que le noyau européen se reforme et qu’ils n’ont pas l’option Brexit les met devant un choix difficile. Veulent-ils faire partis d’une Europe plus intégrée, plus forte, et qui peut-être se dessinera avec une relance franco-allemande? Ou acceptent-ils d’être relégués à une sorte de périphérie inconfortable de l’Union Européenne? Ils sont très méfiants vis-à-vis de toutes les avancées européennes. Mais ils ne veulent pas, en même temps, être des membres de “seconde classe”. 

Cyrille Bret : L’avenir de ces initiatives politiques se joue sur deux plans. Sur le plan institutionnel, ces Etats ont un poids certain au coeur de l’UE : les pays du V4 disposen de 106 eurodéputés contre 96 pour l’Allemagne et de 59 voix au Conseil de l’Union européenne. En revanche, sur le plan économique et budgétaire, ils ne sont pas en mesure de peser :  leur contributions groupées ne dépassent pas 5% du budget de l’UE alors que l’Allemagne n’est pas loin de 20% et la France de 16%. Les rapports de force actuels ne sont pas en leur faveur. D’autant moins qu’ils reçoivent de fortes subventions européennes susceptibles d’être réduites. L’opposition interne au couple franco-allemand est donc certaine mais limitée dans ses moyens d’action.

L’Europe alternative est en outre loin d’être soudée : la russophilie de Orban s’accommode mal de la russophobie du PiS, les Etats de la Baltique ne partagent évidemment pas les mêmes préoccupations militaires que les Etats de l’ex-Yougoslavie. Et la compétition entre nouveaux entrants et membres plus anciens pour les subventions européennes empêchent l’unité.
Recevoir la visite de Donald Trump est une bénédiction pour ces groupes de solidarité internes à l’UE. Mais c’est loin d’être une inflexion majeure dans la vie du continent

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