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LGV : voilà qui sont les gagnants ET les perdants de l’ouverture des nouvelles lignes TGV
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La carte et le territoire

L'arrivée d'une nouvelle ligne à grande vitesse est souvent acclamée unanimement par la presse. Mais c'est un peu vite oublier ceux qui y perdent plus qu'ils y gagnent.

Atlantico : Ce 1er juillet, 2 nouvelles LGV reliant Paris - Bordeaux, et Paris - Rennes, ont été inaugurées. Que sait on réellement de "l'effet TGV" sur le territoire ? Quelle est la chaîne de réaction qu’entraîne l'apparition d'une ligne TGV, entre villes desservies et villes non desservies ? 

Laurent Chalard : Les médias comme les politiques ont tendance à grandement exagérer l’importance de l’effet TGV sur la dynamique d’un territoire. En effet, il est relativement limité et ne concerne que certains secteurs d’activité. Pour résumer, l’amélioration de la desserte TGV produit deux principaux effets. 

Le premier est l’augmentation des flux touristiques court séjour, qui peut être très sensible, dans les territoires mieux desservies qu’auparavant, ce qui est une source de revenus supplémentaires non négligeables pour le secteur, mais aussi les activités connexes (commerces, équipements culturels…). Un exemple-type est Marseille, dont la fonction touristique s’est incontestablement renforcée suite à l’ouverture du TGV Méditerranée. En outre, pour l’image d’une ville, la progression des flux touristiques constitue un plus vis-à-vis des investisseurs, qui apprécient les villes touristiques, mais aussi car parmi les nouveaux touristes se trouvent de potentiels futurs investisseurs ! 

Le second effet concerne le secteur tertiaire supérieur. Ce dernier privilégie les territoires bien connectés aux autres métropoles européennes. L’amélioration de la desserte TGV conduit donc des entreprises de ce secteur à haute valeur ajoutée à s’installer, en particulier à proximité de la gare (par exemple, le quartier de la Part Dieu à Lyon). Cependant, son effet est inversement proportionnel à la taille de l’agglomération. Il est fort dans des métropoles, comptant ou approchant le million d’habitants (Lyon ou Lille), mais quasiment nul dans les villes petites ou moyennes (Le Creusot ou Vendôme) ! 

Par ailleurs, l'effet TGV est souvent temporaire. Passée l’effervescence de l’amélioration du temps de trajet, s’il ne s’accompagne pas d’un réel dynamisme de l’économie locale reposant sur d’autres facteurs, le souffle retombe assez rapidement. Par exemple, le boom marseillais du début des années 2000, consécutif de l'arrivée de la LGV Méditerranée, est largement retombé depuis.

A toute ouverture d'une nouvelle ligne TGV, il y a des perdants et des gagnants, le bonheur des uns, les villes desservies beaucoup plus rapidement, faisant le malheur des autres, les villes moins bien desservies ou dont la desserte ne s’améliore pas. Dans le cadre de l’ouverture des LGV Bretagne et Sud Europe Atlantique, si les régions Bretagne et Nouvelle Aquitaine (à l’exception notable de l’ex-région Limousin) bénéficient dans leur ensemble de l’amélioration de la desserte, ce sont cependant les villes les plus proches en distance-temps de Paris qui seront les plus favorisées, au-delà, les bénéfices étant moindres. 

En conséquence, les grands gagnants sont, en premier lieu, les deux métropoles régionales que sont Rennes et Bordeaux, qui peuvent logiquement s’attendre à de nombreuses retombées positives de leur rapprochement avec la capitale, aussi bien en termes touristiques qu’au niveau de l’implantation d’emplois tertiaires supérieurs, avec une prime à Bordeaux, bien plus peuplée et attractive que Rennes. Les autres gagnants sont les villes balnéaires, qui vont pouvoir voir se développer un tourisme de week-end tout au long de l’année, en plus du tourisme de séjour. C’est le cas de Saint-Malo, désormais accessible en 2 h 14 mn depuis Paris, la mettant à même distance-temps de la capitale que Deauville dans le Calvados qu’elle va fortement concurrencer, de La Rochelle et d’Arcachon, qui se retrouve à moins de 3 heures de Paris, donc moins que Marseille, en faisant la station balnéaire du « Sud » la plus accessible en train depuis Paris. L’effet sur les autres villes moyennes (Poitiers, Angoulême, Vannes, Saint-Brieuc), sans être nul, sera moindre. 

A contrario, d’autres villes apparaissent relativement moins bien desservies, ce sont les villes qui étaient anciennement desservies par la ligne principale (Le Mans, Laval, Tours par l’intermédiaire de Saint-Pierre-des-Corps, Châtellerault) et qui ne se retrouvent plus sur le parcours des nouvelles lignes TGV. Même si la SNCF leur promet le maintien d’une desserte satisfaisante, qui fut souvent l’objet d’âpres négociations au moment du débat sur le tracé retenu, on sait très bien, qu’à long terme, elles seront pénalisées, ne se situant plus sur l’axe principal.

En prenant un peu de recul sur la carte, peut-on constater des effets à l'échelle des régions ? Qui sont les gagnants et les perdants du TGV français ? 

Lorsque qu’ils analysent l’ouverture d’une nouvelle ligne TGV, les experts se focalisent sur l’impact dans les régions traversées par le TGV, mais ne s’intéressent jamais à l’impact plus global au niveau national. Or, le renforcement de l’accessibilité d’une région ou d’une ville conduit mécaniquement à réduire l’attractivité d’autres régions ou villes ne bénéficiant pas d’une amélioration de leur desserte ferroviaire. C’est un effet peu connu et rarement mis en avant dans la littérature, pourtant aux conséquences très importantes. 

Au plan national, l’amélioration de la desserte TGV de l’ouest et du sud-ouest français devrait contribuer à accélérer le processus de basculement de l’emploi vers l’ouest de la ligne Le Havre-Marseille, d’autant que l’effet TGV dans l’est de la France, consécutif de l’ouverture de la LGV Est en 2007 (prolongée en 2016 jusqu’à Strasbourg), n’a été que très faible, seule Reims semblant avoir (un peu) bénéficié de cette nouvelle ligne. 

Concernant la moitié ouest du pays, l’ouverture de ces deux nouvelles lignes TGV va aussi avoir des effets non négligeables sur les régions, qui n’ont bénéficié d’aucune nouvelle infrastructure de grande vitesse depuis trente ans. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les régions mieux desservies, que sont la Bretagne et les anciennes régions Poitou-Charentes et Aquitaine sont les grandes gagnantes, par contre, trois autres régions apparaissent comme les grandes perdantes de cette nouvelle infrastructure. 

En premier lieu, la Normandie, qui n’a connu aucune construction de ligne à grande vitesse depuis son émergence en France au début des années 1980, apparaît comme la plus pénalisée, ses temps de trajet avec Paris ayant tendance à augmenter, étant donné la saturation et le vieillissement de l’infrastructure existante, alors qu’ils se sont réduits pour les autres régions. L’attractivité des métropoles normandes comme des stations balnéaires du littoral de la Manche va consécutivement continuer d’en pâtir. Rappelons qu’il faut désormais à peu près le même temps de trajet depuis Paris pour aller à Bordeaux, située à 580 kilomètres, qu’au Havre, qui se trouve à seulement 200 kilomètres ! 

Deux autres régions peuvent être aussi considérées comme des perdantes de la nouvelle infrastructure, que sont la région Centre et l’ex-région Limousin, l’axe Paris-Orléans-Limoges-Toulouse n’ayant connu aucune amélioration de sa desserte, malgré les promesses faites depuis plusieurs décennies. 

Enfin, il est à noter que la région Pays de la Loire, qui abrite la principale métropole du Grand Ouest français, Nantes, ne bénéficie guère du gain de temps de la nouvelle desserte (seulement quelques minutes). En conséquence, la concurrence Rennes-Nantes, qui a toujours été néfaste à l’affirmation de Nantes comme métropole incontestable de cette partie du territoire français, devrait perdurer. L’Etat français continue sa longue tradition de « jouer contre Nantes ».

Quels sont les types de territoire qui peuvent être pénalisés par une ligne TGV ? Quelles sont les réponses pouvant être apportées par les pouvoirs publics pour venir équilibrer les situations ? 

En définitive, le TGV favorisant les grandes métropoles et ayant tendance à produire un « effet tunnel », les territoires les plus pénalisés sont les villes moyennes non littorales, qui ne peuvent guère en espérer un boom touristique extraordinaire, ni espérer récupérer des emplois relevant du secteur tertiaire supérieur, n’offrant pas les aménités nécessaires pour accueillir ce type d’activités. La desserte par le TGV peut même avoir un effet inverse d’aspiration de la population active de villes moyennes en déclin vers les métropoles désormais plus accessibles, le TGV permettant de revenir voir sa famille souvent. Cela peut même constituer le premier pas avant la migration définitive si le conjoint finit par trouver un emploi dans la grande métropole. En effet, bien souvent, les villes moyennes espèrent attirer de nouveaux actifs originaires des grandes métropoles, qui choisiront d’y résider tout en continuant à travailler dans la métropole grâce au télétravail, alors que c’est l’effet inverse qui se produit, ce sont les habitants de la ville moyenne qui vont travailler dans la grande métropole, du fait du déclin de l’emploi local. 

La principale solution est de mettre fin à la politique du « tout TGV », qui ne favorise que les grandes métropoles, dans un contexte de desserte désormais relativement satisfaisante des principales grandes métropoles françaises par ce moyen de transport, à l’exception notable de Nice, où l’avion remplace le TGV. Il s’agit donc de réaliser une remise à niveau du réseau secondaire, qui dessert prioritairement les petites et moyennes villes. Outre l’amélioration des infrastructures existantes et l’adoption indispensable d’un matériel adapté à ce type de lignes permettant de rouler plus vite à infrastructure équivalente (l’abandon du train pendulaire par la SNCF a été une erreur), il faudrait aussi envisager la construction de petites infrastructures, de quelques dizaines de kilomètres, permettant de gagner de précieuses minutes sur certains itinéraires à un coût modéré.

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