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French Touch conférence à New York : la vitrine rutilante qui masque les difficultés de développement de la tech française
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Tech

Mounir Mahjoubi s'est envolé pour New-York pour la "French Touch conference". Un bel effort de communication mais qui ne suffit pas à cacher les cruelles difficultés de développement de la tech française et l'absence d'orientations étatiques dans le secteur.

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou est secrétaire général de l’Institut de la Souveraineté Numérique (ISN). Il est aussi enseignant sur la gouvernance de l’Internet à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne. Il a exercé les fonctions de délégué interministériel aux usages de l’Internet auprès du ministère de la Recherche et du ministère de l’Économie numérique (2007-2013). Il y a fondé le portail Proxima Mobile, premier portail européen de services mobiles pour les citoyens. Il a coordonné la première conférence ministérielle européenne sur l’Internet des objets lors de la Présidence Française de l’Union européenne de 2008. Il a été le conseiller de la Délégation Française au Sommet des Nations unies sur la Société de l’Information (2003-2006). Il a aussi créé les premières conférences sur l’impact des technologies sur les administrations à l’Ena en 1998. Enfin, il a été le concepteur de « Passeport pour le Cybermonde », la première exposition entièrement en réseau créée à la Cité des Sciences et de l’Industrie en 1997.

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Atlantico : Emmanuel Macron au salon VivaTech a déclaré "vous avez une mission devenir le CES Français". Une belle idée. Presque le lendemain se déroule la French Touch Conference avec en invité Mounir Mahjoubi mais qui se déroule… À New York. Que penser de ce décalage ?

Bernard Benhamou : Cela pourrait en effet constituer un signal ambigu. La plupart de nos responsables politiques ne prennent pas encore conscience de notre extraordinaire fragilité en matière technologique. Nous avons en France de nombreuses start-ups, beaucoup de cerveaux parmi les mieux formés au monde, mais dès qu'il est question de croissance, les start-ups françaises se heurtent encore a des obstacles importants pour devenir des ETI. Si le Président Macron a évoqué des aides fiscales ou la création d’un fonds de 10 milliards d’euros, cela ne peut qu’être un premier pas et il y a encore toute une stratégie industrielle à développer. Lorsqu'il est question des acteurs numériques de taille internationale, l'Europe reste en retrait et la France ne dispose quasiment d’aucun acteur international. À l’exception de BlaBlaCar qui est la seule "licorne" numérique française, c'est une entreprise remarquable mais elle se situe dans un « angle mort » du marché américain où le covoiturage n'est pas développé en raison du prix du carburant nettement inférieur.

À défaut de « GAFA » ou de « NATU », l’Angleterre et l’Allemagne disposent de quelques licornes dans les FinTech ou les BioTech. En France, nous avons un tissu industriel dont les entreprises majeures sont anciennes, qui sont sur des secteurs verrouillés et qui ont tout à craindre de la montée en puissance des technologies du réseau électrique intelligent, de greentech… ou encore de la santé connectée. Nous avons un beau discours politique sur l'écologie et l'intérêt du numérique mais nous avons des forces d'inerties importantes à la montée en puissance des startup numériques. Nous avons un vrai besoin de politique industrielle par rapport à ces questions et nous avons beaucoup à apprendre de la vision de nos voisins allemands à ce sujet avec leur projet d’industrie 4.0. En effet, grâce aux objets connectés ils vont moderniser leurs produits et services industriels pour éviter d'être dépassés par les grandes entreprises du numérique américaines et asiatiques. Une politique industrielle efficace doit enfin viser à lever les freins au développement intra-européen et international de nos sociétés numériques et cette politique n'est pas encore créée.

En organisant à New-York cette conférence n'est-ce pas au final prendre le risque d'accélérer la fuite des cerveaux alors qu'il serait certainement plus judicieux de tenter de la freiner ?

Aujourd'hui on s'enivre encore du mot start-up or on ne se rend pas compte que les start-ups doivent être le tout début et ne doivent surtout pas être une fin en soi. D’après Linkedin, la France est le deuxième pays au monde en matière d’exode des cerveaux après l'Inde. Pour reprendre le jargon marketing, il nous faut avoir un « storytelling », un scénario de développement pour nos start-ups afin de créer les conditions de leur montée en puissance et pas de l’expatriation de ces sociétés.

Il convient désormais de s'interroger sur les leviers et les secteurs clés qui pourront bénéficier des investissements ou d’éventuelles aides fiscales. Parce que sinon on risque de reproduire l’erreur commise avec le Grand emprunt ("Programme d'Investissements d'Avenir") qui n'a au final profité qu'aux plus grandes entreprises en particulier du CAC40. Il nous faut modifier les règles européennes pour créer un Small Business Act afin de flécher la commande publique vers les petites et moyennes entreprises innovantes (y compris si l’on doit « tordre le bras » de nos voisins européens).  Cela constitue en effet un enjeu essentiel pour que nos industries afin qu’elles ne soient pas littéralement démembrées par des acteurs non-européens. Ce qui manque encore dans le discours politique c'est que l'on ne voit aucune utilisation des leviers de l’État vers les secteurs clés pour les prochaines générations de technologies stratégiques (santé connectée, smart grids, environnement, transports…). Les Américains eux utilisent massivement leur commande publique (et surtout militaire) pour aider à développer les technologies cruciales (big data, intelligence artificielle, robotique ou ordinateurs quantiques…). Aujourd'hui "développer globalement le secteur numérique" ne veut plus rien dire, en effet nous devons orienter plus spécifiquement, les actions publiques vers les secteurs et les technologies qui permettront à la France et à l’Europe de redevenir producteurs des technologies dans les années à venir.

Selon vous, à l'image de la société française de mapping Zenly, rachetée en début de semaine par Snapchat est-ce que le seul avenir des start-up françaises désireuses de s'ouvrir à l'international ne serait pas inévitablement la revente à de grands groupes ?

En tout cas l’expatriation ou le rachat constituent l’horizon quasi-obligé pour les startups françaises depuis déjà plusieurs années. Est-ce inéluctable ? Pas du tout. Si nous développons une véritable initiative stratégique nous pourrons trouver les moyens pour mettre en œuvre cette politique. Je ne pense pas que ce soit simple mais du moment où l'on ne décrit pas le chemin que l'on a envie de parcourir on nous ne trouverons pas les moyens d’y arriver. À l’heure qu’il est pour la plupart de nos dirigeants le diagnostic n’est même pas encore posé…

Propos recueillis par Nicolas Quénel

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