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"Accueillir des réfugiés car c'est notre tradition et notre honneur" : 56% des Français n'y sont pas favorables
©Reuters

Crises migratoires

"Nous devons accueillir des réfugiés car c'est notre tradition et notre honneur", a déclaré Emmanuel Macron vendredi au Conseil européen. Mais malgré les beaux discours du président, il y a toujours une majorité de Français qui ne sont pas disposés à accueillir les migrants, selon un sondage Ifop pour Atlantico.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

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Atlantico : Quels sont les principaux enseignements à retenir de ce sondage ? 

Jérôme Fourquet : D'abord il faut apporter du contexte. Nous sommes dans une crise migratoire qui dure depuis trois ou quatre ans en Europe. Avec des phases d'accalmie mais cette question de l'accueil des migrants est toujours là. Bien évidemment depuis le printemps dernier la route des Balkans a été fermée mais les traversées en méditerranée, les drames et les naufrages ne se sont pas interrompus pour autant.D'autres routes migratoires ont pris le dessus, notamment entre la Libye et l'Italie, sont très utilisées et les statistiques dont on dispose montrent que l'année dernière bien que les arrivées soient moindres,l'emprunt par les migrants de cette route de méditerranée centrale a explosé. Le problème n'est pas réglé a nos frontières, et se pose aussi dans d'autres pays européens. 

L'Allemagne doit absorber et gérer le stock d'arrivée massive de 2015 de migrants (plus d'un million), sur l'année 2016 on est à 250/300 000. En Italie tous les jours des gens arrivent sur le territoire également. En France, qui est le pays le moins concerné des trois, on voit bien que cette problématique se ravive périodiquement avec plusieurs points de fixation, la frontière italienne entre Vintimille et Menton, également dans le Nord de Paris où de très nombreux articles expliquent qu'on a un engorgement des structures d'accueil avec un schéma qui se répète de manière récurrente : on créé une structure qui est débordée au bout de deux ou trois semaines, qui pose des problématiques humanitaires et sécuritaires dans ces quartiers et provoque des débats sur la question de la mixité, les harcèlements de rue etcetc… 

Puis il y a Calais avec le démantèlement de la jungle, une situation en surface apparemment maitrisée depuis la fin de l'année dernière mais il y a un report d'une partie des migrants avec la ville de Grande-Synthe où a eu lieu l'incendie à quelques jours de la présidentielle. Sur place on assiste à un retour des migrants dans le Calaisis, plusieurs centaines selon les associations et les forces de l'ordre avec la préfecture font tout leur possible pour que ce soit le moins visible et qu'il n'y ait pas de reconstitution de campements.

Cette question des migrants est donc moins brûlante mais il y a des résurgences manifestes et on a l'impression que c'est un éternel recommencement malgré le fait que la France soit moins exposée au phénomène que l'Italie ou l'Allemagne. Quand on regarde comment les choses se structurent, on voit qu'il y a des positions très divergentes entre les pays. La France est le pays qui accueille le moins de migrants et est le moins disposée à une répartition par rapport à ses deux voisins qui eux sont les pays qui en accueillent le plus et qui sont le plus disposés à une répartition. La question posée aux sondés est "Etes-vous favorable ou opposé à ce que les migrants qui arrivent par dizaines de milliers sur les côtes grecques et italiennes soient répartis dans les différents pays d’Europe et à ce que [le pays de l’interviewé] en accueille une partie ?".  En Allemagne et en Italie lorsque l'on pose la question, les interviewés entendent surtout "voulez-vous partager le fardeau avec les voisins" alors qu'en France on entend plus "êtes-vous prêts à en accueillir pour décharger vos voisins? ". Dans ce cas-là on comprend que les Allemands et les Italiens soient plus favorables que les Français à répondre "oui" compte tenu des positions respectives de ces pays vis-à-vis de cette problématique.

En termes d'évolution là on est sur quelque chose d'assez commun, une érosion de la propension à l'accueil  et à la répartition en Allemagne (-9) et en Italie (-7). C'est une baisse qui n'est pas anecdotique alors même que l'ampleur du phénomène migratoire n'est pas du tout le même par rapport à l'automne 2015. Qu'est ce qui peut expliquer cette érosion ? Peut-être le fait de s'apercevoir que cela ne va pas se régler aussi facilement que cela car après l'accueil il faut intégrer, traiter les demandes, éduquer, scolariser… C'est un travail colossal qui peut démoraliser une partie des Allemands. Il y a un autre paramètre qui joue, entre mars 2016 et aujourd'hui, c'est le fait que l'Allemagne a essuyé des attaques terroristes dont plusieurs ont été perpétrées par des migrants ou par des infiltrés parmi les migrants. Tout cela peut peser sur les prédispositions à l'accueil.

En Italie, cela baisse également mais ce n'est pas tant à cause de la menace terroriste que la permanence de cette situation qui s'installe et devient récurrente. Autant les "robinets" ont été fermés dans la mer Egée, mais c'est quand même tous les jours des centaines de migrants qui doivent être pris en charge par les autorités. 

En France on voit que l'adhésion a un peu repris des couleurs, on est à 44% de favorables mais cela demeure toujours fortement négatif (56%). Gérard Collomb en visite à Calais hier a rappelé la ligne gouvernementale de la fermeté absolue avec comme hantise la recréation d'un campement. 

Michèle Tribalat : En Allemagne, le pic de l’enthousiasme a correspondu à septembre 2015 après la mort du petit Aylan sur les côtes turques : 79 % des Allemands sont alors d’accord pour qu’on répartisse les migrants qui arrivent entre les divers pays européens et pour en accueillir une partie. C’était le début de la grande vague migratoire déclenchée par le discours d’Angela Merkel. Rappelez-vous, c’était le 31 août : « Le monde voit dans l’Allemagne une terre d’espoir et d’opportunités. Et ce ne fut pas toujours le cas ». Tout le monde comprend alors, en Allemagne et ailleurs, qu’Angela Merkel fait référence à l’époque nazie. Beaucoup d’Allemands se sont alors mobilisés avec enthousiasme pour être à la hauteur. Mais la proportion d’Allemands répondant favorablement à l’accueil des migrants a quand même perdu 18 points de pourcentage en moins de deux ans. 

Cependant, la question posée comporte une part d’ambiguïté. On demande aux Européens s’ils sont d’accord pour se partager le fardeau et les Allemands, mais surtout les Italiens, ne peuvent qu’être d’accord avec cette proposition pour alléger la charge qui pèse sur eux. Mais on leur demande aussi s’ils sont d’accord pour en prendre une partie. C’est vague, une partie. C’est combien ? Les Français sont plus réticents car ils constatent la diffusion des arrivées en Europe chez eux, avec des campements à Calais et ailleurs auxquels ils ont du mal à se faire. Ils préfèreraient sans doute échapper à la décision européenne sur la répartition des migrants telle qu’elle a été déjà prise au plus fort de la crise. Et, on l’a vu, il n’est pas forcément facile d’obliger des migrants à aller dans un pays alors qu’ils sont venus avec un projet en tête. Les habitants du Calaisis sont bien placés pour le savoir. Les Allemands et les Italiens ont déjà beaucoup de migrants « sur les bras » et aimeraient les partager. Les Français qui en ont moins préfèreraient y échapper. 

Le dernier sondage IFOP réalisé pour Atlantico juste après le démantèlement de la jungle de Calais sur le même thème de l'accueil des migrants avançait les mêmes chiffres que la présente enquête. Une hausse par rapport aux sondages antérieurs qui pousse à poser la question : est-ce que le fait d'être favorable vis-à-vis de l'accueil des migrants n'est pas conditionné au degré de contrôle des pouvoirs publics sur le phénomène ? 

Jérôme Fourquet : C'est une question de contrôle et de perte de contrôle. Ce qui angoisse les opinions publiques européennes à travers la question du terrorisme comme à travers la question de la crise des migrants c'est d'avoir la sensation que les Etats ne maitrisent plus une situation et qu'elle échappe à tout contrôle. D'où la problématique des frontières qui est commune à ces deux crises. La notion de frontière (tant en termes d'entrées que de sorties) est fondamentale car à travers elle c'est la question du contrôle régalien sur un territoire. 

On peut faire un parallèle avec la question des violences urbaines, il y a beaucoup de gens qui se disent que la police ne va plus dans certains quartiers et c'est une source d'angoisse. 

Pour la crise migratoire l'idée est d'accueillir des migrants dans des volumes que l'on va pouvoir gérer avec des structures d'accueil qui ne soient pas saturées dès qu'elles sont ouvertes et d'instaurer un processus encadré. La hantise c'est l'emballement et le dérapage.  

Michèle Tribalat : On s’est beaucoup félicité de l’évacuation de la jungle de Calais sur le moment. Mais on sait maintenant que des migrants reviennent ou viennent à nouveau dans le coin. Donc, la maîtrise du phénomène est encore à démontrer. Le développement de barrages sur l’autoroute, avec la mort d’un chauffeur de camion mardi dernier a sans doute encore rafraichi les bonnes volontés. Il y a donc une fluctuation des réponses à ce type de sondage en fonction des événements, mais les Français restent majoritairement opposés  à la répartition des migrants qui débarquent sur les côtes européennes. C’est seulement après la diffusion des photos sur le petit Aylan que la proportion de Français favorables à une répartition des migrants a frisé les 50 %. Quand ils répondent ce qu’ils répondent, on peut supposer que les Français souhaitent échapper à la déferlante. Répartir les migrants ce n’est pas maîtriser les flux migratoires. Ça peut même être compris comme étant tout le contraire : se faire à ce qui nous arrive.

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