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Le Front National est-il mûr pour tomber pour tout ou partie dans l’escarcelle de la droite ?
©Reuters

Fusion

Le score obtenu par le Front national a été une des plus grandes surprises de l'élection législative, laissant le parti de Marine Le Pen dans une situation d'érosion qu'il n'avait pas connu depuis 10 ans.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : En quoi l'existence de lignes divergentes, le départ de Marion Maréchal, la question de la sortie de l'euro, le débat télévisé de l'entre deux tours, ont pu mettre en évidence une vulnérabilité "insoupçonnée" du Front national ? Le parti est il en situation de subir, par les LR, ce que le PS a subi avec la République En marche ?

Vincent Tournier : Jusqu’au printemps dernier, tout le monde s’attendait effectivement à ce que le FN obtienne de très bons résultats. Toutes les conditions étaient réunies : les attentats islamistes, les débats sur l’islam, la crise migratoire, l’impopularité du président sortant, la faiblesse de la droite, et une stratégie de dédiabolisation qui a paru très efficace. Il faut aussi tenir compte d’une conjoncture internationale favorable avec le Brexit et l’élection de Trump. Au cours des dernières années, le FN a connu une phase de croissance électorale ; il a obtenu de très bons résultats dans les scrutins intermédiaires, ce qui lui a permis d’installer localement un certain nombre de personnalités, donc de commencer à avoir des notables et des réseaux. Pourtant, le Big bang annoncé n’a pas eu lieu. Certes, les résultats ne sont pas catastrophiques, mais vu ce qui était annoncé, le sentiment qui s’impose est celui d’un échec cuisant. Le FN a même baissé par rapport aux précédentes législatives (il faisait 13,6% en moyenne nationale en 2012, alors qu’il n’est qu’à 13,2% en 2017), et il est loin des 14,9% qu’il avait obtenus en 1997. Le FN misait sur une cinquantaine de sièges, il risque d’en avoir à peine cinq ou six.

Ces échecs successifs ont provoqué des dissensions internes et ont démobilisé les électeurs et les militants. Tous ont le sentiment d’un immense gâchis, comme si le FN avait changé son or en plomb. Le retrait de Marion Maréchal-Le Pen et le relatif silence de Marine Le Pen indiquent que la direction du FN est en état de choc, et on se doute bien que la génération montante des cadres doit ressentir une terrible frustration. Une question doit trotter dans les têtes des électeurs et des cadres : le FN est-il fini ? A quoi bon continuer puisque le FN n’a visiblement aucun avenir politique ? Il est certain que, dans de telles conditions, la droite va engager des tractations pour essayer de récupérer certains cadres du FN, quitte à les faire passer par des sas (par exemple des élus « sans étiquette »). Les sirènes vont être fortes, notamment dans des régions comme la Côte d’Azur où la droite est bien implantée et peut proposer des places.

En quoi une telle "reprise en mains" par les LR dépend elle surtout des LR eux mêmes ? Sans que les LR n'aient à se renier, quels seraient les moyens politiques à développer pour porter l'estocade au Front national ?

Les Républicains sont-ils en mesure d’absorber le FN ? Ce n’est pas évident parce que la situation des Républicains est loin d’être simple. Eux-mêmes vont devoir trancher des débats délicats. La principale difficulté est de savoir comment exister face à La République en Marche puisqu’une bonne partie du gouvernement vient des propres rangs de la droite et compte mettre en œuvre une partie de son programme. Une question concrète va vite se poser : quelle attitude adopter envers les projets de loi que le gouvernement va présenter, à commencer par la réforme du code du travail ? Faudra-t-il les approuver ou les refuser ? Les deux options sont risquées : approuver, c’est reconnaître qu’Emmanuel Macron est le maître, et c’est aussi accorder au FN le statut de seule force d’opposition de droite ; refuser, c’est certes se donner la possibilité d’effacer le FN, mais c’est aussi prendre le risque de se discréditer auprès des électeurs de droite puisque ceux-ci ne comprendront pas pourquoi leurs élus refusent des réformes avec lesquelles ils sont d’accord idéologiquement. Donc, paradoxalement, la situation de LR va être plus compliquée que celle du PS, ce dernier ayant au moins la chance, vu son état, de ne pas avoir à se poser ce genre de questions tactiques.

En 2007, Nicolas Sarkozy était parvenu à considérablement affaiblir le Front national, tout en parvenant à gagner l'élection présidentielle, c'est à dire à permettre un rassemblement global autour de sa personne. Les LR peuvent ils encore s'inspirer de ce qui a été mis en place voici 10 ans ? Quels sont les facteurs qui restent semblables et ceux qui ont pu évoluer sur cette période ?

En 2007, Nicolas Sarkozy a effectivement réussi un coup de force spectaculaire. Avec ses propositions fortes sur l’immigration et la sécurité, il est parvenu à siphonner une bonne partie des électeurs du Front national. Mais cette lune de miel n’a pas duré très longtemps. Le sentiment d’avoir été trahi n’a d’ailleurs pas pesé pour rien dans la désillusion des électeurs FN à l’égard de la droite traditionnelle.

Mais le tour de force de Nicolas Sarkozy a surtout consisté à proposer une sorte de pacte entre la droite bourgeoise et la droite populaire. A la première, il a promis une politique libérale valorisant le travail et l’héritage ; à la seconde, il a proposé une politique d’assimilation des immigrés et un gain de pouvoir d’achat par la défiscalisation des heures supplémentaires.

Aujourd’hui, la droite ne peut plus proposer un tel pacte pour la simple raison qu’Emmanuel Macron occupe déjà tout le terrain sur les classes aisées. Au fond, Emmanuel Macron a constitué un nouveau bloc bourgeois correspondant à la France des années 2000 : il a su faire venir à lui les milieux diplômés, habitant dans les grands centres urbains, favorables à la mondialisation et à l’intégration européenne, qu’ils soient de centre droit ou de centre gauche. Les candidats d’En Marche correspondent parfaitement à cette sociologie électorale : ce sont quasiment tous des CSP+, issus des grandes écoles, en lien avec le monde de l’entreprise, avec une forte proportion de femmes et une part significative de personnes issues de l’immigration. La droite traditionnelle n’a donc plus beaucoup de choix : soit elle rejoint le mouvement pour retrouver ses électeurs, soit elle se rabat sur les milieux populaires.

De ce point de vue, comme le faisait remarquer Eric Zemmour (http://premium.lefigaro.fr/vox/politique/2017/06/09/31001-20170609ARTFIG00077-eric-zemmour-non-nous-ne-sommes-pas-en-1958-mais-en-1830.php), la situation actuelle n’est pas sans rappeler celle de 1830, lorsque la monarchie autoritaire de la Restauration a laissé sa place à une monarchie libérale à l’anglaise, la « Monarchie de Juillet ». Les anciennes élites aristocratiques ont été remplacées par des élites bourgeoises, à l’image d’un François Guizot qui n’est pas sans évoquer aujourd’hui Emmanuel Macron. Ces élites ont engagé la France dans la Révolution industrielle. On a alors affaire à un régime semi-démocratique, où seule une partie du peuple à le droit de voter. La Monarchie de Juillet est un régime peu connu, mais ce n’est pas un régime qui a démérité, avec ses élites plutôt bienveillantes et éclairées. Il reste que c’est durant ce régime que le mouvement socialiste s’est constitué et radicalisé (le régime se termine en 1848 au moment où Marx et Engels publient le Manifeste du parti communiste). Pour autant, après la révolution de 1848, qui a balayé le régime, et après les Journées de juin, qui ont éradiqué la révolte ouvrière, c’est un certain Louis-Napoléon Bonaparte qui va emporter la mise en gagnant la première élection du président de la République, avant de faire un coup d’Etat en 1851 par lequel il va restaurer un régime impérial. Faut-il en tirer des leçons pour aujourd’hui ? L’avenir de la droite se joue-t-il dans une sorte de néo-bonapartisme plébéien ? En tout cas, cette histoire nous rappelle que les phases de modernisation économique engagées par les élites provoquent des tensions très fortes, tout en ouvrant des phases d’incertitude.

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