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La grande confusion : du Brexit aux législatives britanniques en passant par l’élection d’Emmanuel Macron ou celle de Donald Trump, comment l'interprétation de la volonté réelle des électeurs est devenu un exercice à haut risque
©Reuters

Inconstance

Pour le Brexit mais pas complètement derrière Theresa May, pour Donald Trump mais incapable de le suivre depuis le début de son mandat, pour Macron parfois contre leurs familles politiques... les électeurs semblent plus confus que jamais.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : L'issue de l'élection britannique sème le trouble quant aux intentions des électeurs, offrant un résultat difficilement lisible entre le Brexit et le vote de ce mois de juin 2017. En quoi ce trouble peut-il être simplement la conséquence d'une difficulté pour les électeurs de se prononcer réellement sur le fond ? En quoi cette situation peut elle également se rapporter à la France ?

Vincent TournierLes médias n’ont pas bien présenté les résultats des dernières élections anglaises. Leur conclusion générale est qu’on a assisté à une défaite des conservateurs et de Theresa May. Bien sûr, cette présentation n’est pas totalement fausse puisque le Parti conservateur a effectivement perdu la majorité absolue, obtenue en 2015. Mais il faut quand même souligner que les conservateurs ont progressé dans les urnes, passant de 36% des suffrages en 2015 à 42% cette année.

Si les conservateurs n’ont plus la majorité absolue des sièges, c’est d’abord parce que les travaillistes ont eux aussi progressé, et même plus que les conservateurs, puisqu’ils sont passés de 30% à 40%. Mais donc, sur le plan électoral, ce sont bien les deux partis traditionnels qui ont gagné des voix (+6 pour les conservateurs, + 10 pour les travaillistes). Cette double hausse s’explique essentiellement par l’effondrement du parti UKIP, tombé à moins de 2%, alors qu’il était monté à 13% en 2015, et aussi un peu par la chute des écologistes. La clef de ce scrutin est donc le parti UKIP. Ce parti, d’orientation nationaliste, a été littéralement sabordé par son leader charismatique Nigel Farage, qui a décidé de se mettre en retrait après le Brexit, estimant que sa mission était remplie. Soulignons au passage que la montée des travaillistes concomitamment à la baisse de l’UKIP confirme qu’une partie des électeurs UKIP venaient de la gauche, mais que ceux-ci sont désormais revenus au bercail. Le positionnement de Jeremy Corbyn y a évidemment contribué, notamment parce qu’il a mis l’accent sur la défense des services publics. Mais le leader travailliste a aussi insisté sur les questions de sécurité, ce qui a pu jouer dans un contexte marqué par les attentats.

Au total, la situation anglaise n’a donc rien à voir avec la situation française. C’est même tout le contraire puisque, en Angleterre, les partis traditionnels se portent bien alors qu’en France, ils se font littéralement tailler en pièces par le phénomène Macron. 

Que nous apprend la comparaison entre ces élections anglaises et la France ? La confusion démocratique ne s'explique-t-elle pas par la fin du vote "naturel" des catégories sociales, qui ne sont plus "attachées" à une "ligne" politique ?

On ne peut qu’être admiratif pour la façon dont le système politique anglais a su « digérer » une passe difficile. La séquence peut être résumée de la façon suivante. La poussée du parti UKIP est due à un mécontentement populaire au sujet de l’Europe et de l’immigration. Plutôt que de s’enfermer dans un dénigrement hautain, le gouvernement a choisi d’organiser un référendum. Ce référendum a permis de trancher un problème qui commençait à diviser sérieusement l’Angleterre, même si la décision a été douloureuse, en raison notamment de l’hostilité des milieux économiques et financiers. Mais finalement, cette crise a été surmontée. Les partis politiques traditionnels n’ont pas explosé et ont réussi à retrouver leur place.

Il est intéressant de faire une comparaison avec la France. Imaginons ce qui se serait passé si, dès les années 1980, les partis traditionnels, au lieu de se braquer contre le FN, ou d’en faire un instrument pour se torpiller entre eux, avaient accepté de prendre en charge la colère des électeurs. Si une politique migratoire et sécuritaire avait été mise en place dès le début, on n’en serait sans doute pas là aujourd’hui. On n’aurait pas eu ce déclin de la participation électorale, et le FN n’existerait quasiment pas.

Aujourd’hui, le phénomène Macron peut être vu comme une conséquence différée de cette fragilisation du système politique qui s’est produite dans les années 1980-1990. Le système politique ne s’est pas effondré, mais il a réussi à survivre de façon artificielle, sans traiter les problèmes de fond. Aujourd’hui, les conditions sont réunies pour que les choses évoluent. Cela ne veut évidemment pas dire que tout va être réglé, mais simplement que les partis traditionnels ne sont plus en mesure de conserver leur position hégémonique et qu’un nouvel espace politique est en train de s’ouvrir. 

​Que traduit cette situation en France ? Faut-il y voir une incapacité​ réelle des partis à proposer une offre politique "mobilisatrice"​ ? Dans ce contexte, peut-on s’attendre à ce qu’Emmanuel Macron fasse mieux que les partis traditionnels ? 

Il ne faut pas être bien malin pour comprendre que l’offre politique proposée par les partis traditionnels ne correspond plus aux demandes de la société actuelle. On ne peut pas dire non plus qu’Emmanuel Macron ait été élu de façon enthousiaste et consensuelle. Pour autant, son élection n’est pas le fruit du hasard. S’il a réussi à passer devant tout le monde au premier tour, c’est manifestement parce qu’il a su constituer un électorat conséquent. De plus, il n’est pas impossible qu’il se révèle comme un président plus subtil que l’image qu’il a donnée pendant la campagne électorale, où il a pu apparaître comme le candidat des marchés financiers et du multiculturalisme. Ses propos sur les Comoriens indiquent par exemple qu’il n’est pas aussi soucieux du politiquement correct qu’on aurait plus le penser, ce qui lui donne même un côté Donald Trump qui est assez original et qui a dû en surprendre plus d’un. Plus fondamentalement, ses déclarations sur sa conception verticale du pouvoir ainsi que sa volonté d’assumer une présidence régalienne montrent qu’il a su saisir des attentes fortes dans l’électorat.

Il reste que la société française est aujourd’hui fortement divisée, ce qui n’est pas peu dire. Rappelons tout de même qu’on n’a jamais autant parlé de « guerre civile ». Certes, on en est encore très loin d’une issue aussi dramatique, mais cette hypothèse ne saurait être totalement écartée. L’enjeu actuel est donc très lourd : il s’agit finalement de redéfinir le contrat social, de trouver une nouvelle formule politique capable de réunir les Français. On verra comment les choses vont évoluer, mais pour l’heure, les annonces du gouvernement laissent deviner deux axes dans la politique qui se met en place : d’un côté une relative libéralisation de l’économie (avec la réforme du marché du travail), de l’autre une réaffirmation de la sécurité et de l’ordre (avec les propositions sur l’école ou encore la volonté de faire entrer l’état d’urgence dans le droit commun). On voit donc se dessiner un plan qui essaie de trouver un équilibre entre les aspirations des classes aisées et les attentes des classes populaires, projet qui semble séduire les électeurs puisque ceux-ci ont manifestement l’intention de lui donner une large majorité au Parlement. Mais évidemment, à ce stade, il faut rester prudent car le quinquennat d’Emmanuel Macron ne fait que commencer. 

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