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L'école Facebook : pourquoi le plan de Mark Zuckerberg pour l'éducation des enfants creuserait terriblement les inégalités
©Pixabay

Questions d'éducation

Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook a une grande idée pour faire évoluer l'éducation des enfants à travers le monde. Selon lui, les enfants pourraient apprendre en toute autonomie, à l'aide de supports numériques tels que des application, des sites internet. Chaque élève pourrait y apprendre ce qu'il préfère et le professeur serait là pour assister et évaluer.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Mark Zuckerberg a un grand rêve concernant l'éducation des enfants. Il souhaiterait que les enfants apprennent en autonomie à partir d'applications et de logiciels spécialisées. Le professeur occuperait un rôle de mentor et d'évaluateur. Quelles sont les limites de cette idée ? 

Pierre DuriotNous en rêverions tous, d'un apprentissage autonome, et personne n'a attendu Mark Zuckerberg. Ces types d'apprentissages existent déjà sous diverses formes très opérationnelles, mais pas adressées à tout le monde. En réalité, elle marchent essentiellement avec les très bons élèves, qui apprennent vite, ont des réflexes analytiques, organisationnels et sont doués pour la communication verticale avec le professeur ou horizontale, entre eux. Avec les élèves qui également, ont le réflexe et le souci de rechercher des savoirs connexes, sur les thématiques étudiées et de faire des recoupements. Avec les élèves en difficulté également, même si ce ne sont pas les mêmes méthodes, ni le même esprit. Les élèves a-scolaires, allergiques aux cours magistraux, peu disposés à l'abstraction, repartent de choses concrètes qui existent sous la dénomination de « Main à la pâte », entre autres, une méthode basée sur l'expérimentation, mais dont le principe est le même que celui des logiciels de Mark Zuckerberg. On exploite des situations concrètes, réelles ou virtuelles, qui servent de base de départ à la construction de savoirs ou de savoir-faire.

A l'usage, on s'aperçoit que ces méthodes conviennent à l'ensemble des élèves pour peu qu'ils disposent déjà d'un beau bagage, de bases, comme on dit communément, en lecture et raisonnement mathématique et aussi d'une certaine capacité à l'autonomie. Or beaucoup d'entre eux sont très peu émancipés et comptent sur l'adulte à la moindre embûche. Les élèves avec qui ça marche le mieux sont très reconnaissables, déjà, dans les classes. Ils perçoivent, dès l'ouverture du fichier de mathématique, ou du livret d'exercices de français, quelle sera la consigne, en quoi va consister l'exercice, ou ce que l'on va apprendre et mettent en synergie plusieurs compétences déjà acquises pour en créer de nouvelles, mais c'est une posture assez rare. Ils donnent l'impression qu'effectivement, ils semblent pouvoir se passer du professeur ou le reléguer au rôle de mentor évoqué par l'homme d'affaires.

Qui seraient les élèves à qui cette idée pourrait s'appliquer et pour quelles raisons ? Quels sont ceux qui en sont "exclus" ? 

En théorie, cette idée pourrait s'appliquer à tout le monde. Mais en pratique, elle s'appliquerait peu puisque qu'elle nécessite une forte appétence aux savoirs, une envie d'apprendre, une curiosité dont trop peu d'élèves font preuve aujourd'hui, mais qui doit être la caractéristique principale des enfants que Mark Zukerberg a eu l'occasion de côtoyer. On pourra toujours arguer que les élèves ont peu d'appétence parce que les méthodes actuelles d'enseignement ne leur conviennent pas, mais ce serait beaucoup trop simple. Nombre d'enfants, peu cadrés, gavés de biens de consommation et pétris toute la journée d'écrans de jeux et de télévision, ont développé des attitudes extrêmement passives face aux tâches et aux apprentissages. Et même parfois un refus d'apprendre. La tâche est rude pour les pédagogues, même avec l'aide machines ludiques et captivantes. On risque de ne faire qu'ajouter un écran de plus dans la vie d'un enfant qui en comporte déjà beaucoup.

Mais dans la prime enfance, les processus d'apprentissage sont très liés aux phénomènes d'identification dans lesquels l'enfant prend l'adulte pour modèle et apprend pour s'élever à son niveau et éprouver les règles, les interdits et les autorisés, selon un mécanisme de « frottement » entre les caractères et les personnalités. Là où l'ordinateur, les logiciels, ne disposeront que d'un éventail de réponses programmées. Il est fort compréhensible que l'éditeur de logiciels puisse être tenté de « programmer » ainsi les consciences, à son image, puisqu'il sera bien lui-même à l'origine, du moins en phase, avec ce qu'il diffusera sur le marché. Et aussi, de trouver un argumentaire susceptible de faire marcher son business. L'écueil de la dictature intellectuelle n'est pas loin, même s'il existe aussi avec les méthodes ordinaires. La déshumanisation guette et l'excès se traduirait sans doute par une ressemblance malvenue, à terme, entre l'élève et la machine. A n'en point douter, un processus de standardisation des pensées et des compétences, pour quoi faire ? On en a bien une petite idée...

Qu'est-ce qui pourrait être fait pour faire évoluer les conditions d'enseignements pour le rendre plus accessible aux élèves, y compris ceux qui sont en difficulté ? 

C'est le grand débat actuel, à savoir si les conditions d'enseignement doivent s'adapter à la vie et aux personnalités nouvelles des enfants d'aujourd'hui, ou s'il faut au contraire demander un effort d'adaptation des élèves aux méthodes qui ont réussi par le passé. La solution est sans doute entre les deux et nombre d'expérimentations ont montré leur validité mais aussi leurs limites. Encore une fois, face à un élève apathique, blasé, tout puissant, ne supportant pas les règles ou les contraintes, fort peu de méthodes sont efficaces et la capacité d'accession au savoir résulte d'un travail commun des parents, de la société et des établissements d'enseignement. Les premiers pour proposer à l'institution un élève « enseignable », à charge pour l'institution de proposer un enseignement de qualité, avec des enseignants formés et pas seulement diplômés, des méthodes adaptées aux milieux et aux profils, dans des établissements disposant de plus de latitude pour trouver des solutions pédagogiques convenant au public rencontré, même si le risque est l'officialisation d'une école à plusieurs vitesses, mais c'est déjà le cas. Egalement, savoir sur quoi on se recentre, si l'école continue, comme elle le fait actuellement, à distiller de la pensée politique à haute dose, ou si elle se consacre aux apprentissages fondamentaux. Une fois ces questions tranchées, de nombreuses solutions existent, depuis le dédoublement de classe, en passant par l'expérimentation, les logiciels de Mark Zuckerberg, qui sont bien l'une des solutions mais pas la seule, les groupes de travail, les réalisations de projets communs, etc.

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