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Suppression de la Cour de justice de la République et frais des élus, attention à ne pas confondre moralisation et démagogie
©DAMIEN MEYER / AFP

Pente dangereuse

Le projet de moralisation de la vie publique de François Bayrou laisse une impression de précipitation dans sa rédaction et un ensemble sans grande cohérence.

Abel François

Abel François

Abel FRANÇOIS est professeur à l’université de Lille 1 et spécialiste en économie des décisions publiques. Ses travaux portent en particulier sur le financement de la vie politique et il a publié « Le financement de la vie politique » chez Armand Colin et « Choix Publics. Analyse économique des décisions publiques » chez de Boeck. Il co-anime le blog slowpolitix (http://slowpolitix.blogspot.fr/), pour information, voir http://www.abelfrancois.com

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Atlantico : Ce 1er juin, François Bayrou a pu avancer les propositions relatives à la loi de moralisation de la vie publique, au travers de 3 volets. Avant d'en examiner le contenu, quel bilan peut-on faire de l'ensemble ?

François Abel : L’impression d’ensemble est double : de la précipitation et un ensemble sans grande cohérence.

De la précipitation car ces mesures vont durablement et profondément affecter le fonctionnement politique français et donc la perception et la confiance des citoyens dans la vie politique. Or il n’y a eu aucun débat, aucune évaluation qu’à leurs effets anticipés. On pense par exemple à l’instauration d’un nombre de mandats maximum dont les conséquences positives et négatives font l’objet d’évaluations scientifiques très abondantes mais dont on ne retrouve aucune trace autour de la préparation de ce projet.

Un ensemble sans trop de cohérence car on ne voit pas très bien ce que viennent faire dans une même démarche les changements de modalité de financement des campagnes électorales et la question de la présence des anciens président au Conseil Constitutionnel.

Le Premier volet, constitutionnel, vise quatre points ; la suppression de la Cour de Justice de la République, l'impossibilité pour des députés, sénateurs, et exécutifs locaux ne pourront exercer plus de 3 mandats identiques et successifs (en dehors des petites communes), les ministres ne pourront plus exercer un mandat exécutif local, et enfin, les anciens Présidents ne pourront plus être membre du Conseil Constitutionnel. Ces propositions répondent elles véritablement à une nécessité, avec quelle efficacité ? Quels sont les bienfaits, ou les méfaits éventuels de telles propositions ?

Je laisse les dimensions juridiques aux juristes concernant la Cour de Justice et le Conseil Constitutionnel. 

Concernant l’interdiction des mandats exécutifs locaux pour les ministres, deux remarques. La première est que cela ne changera pas grand-chose par rapport à la pratique actuelle qui reposait sur un usage. Dans les faits, les ministres officiellement n’exercent plus un mandat exécutif local mais reste présents et contrôlent la vie publique locale en tant que conseiller et éventuellement en plaçant à la tête de l’exécutif un affidé qui leur rendra les clés une fois le poste de ministre perdu. La seconde est qu’il faudra voir les détails de la mesure, le diable est toujours dans les détails, comme par exemple est-ce que les vice-présidences de collectivité territoriales seront concernées, est-ce que les mandats de présidence d’intercommunalité échapperont à la règle ? Par exemple, jusqu’à présent toutes les réglementations contre le cumul ont exclu les mandats intercommunaux. Est-ce que ce sera encore le cas ? Si oui, il y aura des ministres présidents de métropole en lieu et place de ministres maires, ou encore des ministres vice-président de collectivité et non des ministres présidents.

Concernant l’interdiction du cumul dans le temps des mandats, il faut bien voir que cette question de la limitation du nombre de mandats est extrêmement discutée par les chercheurs à cause de ses effets positifs, comme le renouvellement plus rapide du personnel politique et des idées en matières de politiques publiques, et de ses effets négatifs, comme une moindre incitation à mener des politiques désirées par l’électorat lors du dernier mandat, la perte plus rapide d’expérience acquise et donc un personnel politique moins compétent, etc. Il faudra voir les détails du texte car on risque de voir apparaitre des comportements d’esquive de la loi : les acteurs vont s’adapter aux contraintes réglementaires et développer des stratégies en ce sens. On peut imaginer par exemple des stratégies comme être maire pendant 3 mandats puis président de l’intercommunalité pendant 3 mandats, dans ce cas à quoi aura servi cette nouvelle réglementation ?Et pourquoi trois mandats, ce qui fait tout de même 18 ans pour un maire ? et pas 4 ou 2 ? A quel moment a-t-on évalué ces différentes options ? A-t-on envisagé de réduire la durée des mandats à la place ?

Concernant la moralisation de la vie publique ; plusieurs points sont également abordés ; l'interdiction de recruter des membres de sa famille, la prévention des conflits d'intérêt, l'encadrement des activités de conseil, la suppression de la réserve parlementaire, et la vérification de la situation de la déclaration de patrimoine à la fin d’un mandat pour le président de la République. Dans le climat actuel, de telles propositions peuvent-elles être qualifiées de poudre aux yeux, ou faut-il y voir une réelle avancée ? 

L’interdiction de l’emploi de la famille est intéressante mais attention aux stratégies d’évitement que cela va induire : ne plus se marier, faire des recrutements croisés : j’embauche ton fils et tu fais travailler mon époux, etc. 

La question des conflits d’intérêt est très difficile à mettre en œuvre à travers la réglementation parce que c’est une notion extraordinairement complexe. Il faudra voir concrètement comment est mise en œuvre cette prévention. Au passage, on peut s’étonner que la question du conflit d’intérêt est toujours traitée en France autour des relations entre la politique et le privé mais jamais autour des conflits d’intérêt entre la politique et l’administration publique.

Il y a une mesure qui va avoir des répercussions monstrueuses sur la vie politique française, c’est la création d’une peine d’inéligibilité de dix ans pour les délits « portant atteinte à la probité ». Il est sûr que cette mesure aura pour effet immédiat d’éliminer les élus corrompus à la place de leurs électeurs qui dans certains cas peuvent aimer réélire ce type d’élus. Mais à plus long terme, cela va entrainer une judiciarisation croissante de la vie politique. Si un concurrent politique peut être évincer par une décision de justice, il est fort probable que les hommes politiques vont utiliser cette possibilité dans un but politique. On va alors voir se multiplier les affaires qui s’éterniseront, et par effet de bord les acteurs judiciaires seront encore plus l’objet de pressions politiques. Au final, il n’est pas certain que les effets positifs de la mesure l’emportent sur les effets négatifs.

Concernant le mode de financement de la vie politique, François Bayrou a pu développer les propositions suivantes ; un principe de séparation entre l’ordonnateur et le payeur ; la certification des comptes des partis par la Cour des comptes lorsqu'ils dépassent un certain seuil de finance publique ; la Commission nationale des comptes de campagne s’assurera que les comptes de tous les partis politiques comprennent ceux de leurs instances locales ; l'interdiction des prêts par des personnes morales comme toute aide d’une personne morale étrangère ; les prêts consentis par des personnes physiques seront restreints, encadrés et notifiés à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques pour contrôler les modalités de leur remboursement. François Bayrou a également proposé la création d'une "Banque de la démocratie". 

En quoi de telles mesures peuvent-elles être efficaces ? Répondent-elles aux enjeux du financement de la vie politique ? Une "banque de la démocratie" ne masque t elle pas un financement par le contribuable ?

Reprenons les éléments les plus importants.

Le principe de séparation entre l’ordonnateur et le payeur. Déjà que les partis politiques français sont devenus de par les modalités publiques de leur financement des agences para-étatiques, le fait qu’on leur impose ce principe de la comptabilité publique va encore plus les faire ressembler à une administration, avec toute la lourdeur que crée ce principe.

L’implication de la Cour des Comptes. Je ne vois pas d’avantages à cette implication de la Cour des comptes, si ce n’est encore une fois renforcer le caractère para-étatique des partis politiques français.

Tout élément visant à renforcer l’action de la CNCCFP est positif mais l’application de certaines idées me parait difficile. Par exemple qui va décider qu’une section locale d’un parti politique doit apparaitre dans les comptes nationaux consolidés de ce parti ? J’imaginons une section locale frondeuse vis-à-vis de son organisation centrale, va-t-on l’obliger à communiquer ses informations comptables à l’instance nationale ? Cela me semble difficile à mettre en œuvre pour la commission.

L’interdiction des prêts par des banques et la création d’une banque de la démocratie. Il s’agit d’une nouvelle étape dans la transformation progressive des partis politique français en agences étatiques, ce que les chercheurs appellent des partis-cartels. L’objectif de cette banque est de faire disparaitre la dernière contrainte financière qui pèse sur les candidats aux élections : le fait de devoir avancer personnellement ou via des prêts bancaires la part de leur dépense de campagne que l’argent public leur rembourse par la suite. Il faut savoir qu’aujourd’hui en France, si on met de côté l’élection présidentielle, les candidats aux mandats électifs dépensent peu et dépensent principalement le montant que l’État leur remboursera. Ce qu’ils dépensent en plus, c’est ce que les électeurs ou leur parti leur ont donné. Les candidats auront encore moins d’incitation à trouver des financements autres que publics grâce à cette banque.

De plus, on peut s’interroger sur le futur fonctionnement de cette banque. Soit elle agira comme une banque classique, c’est-à-dire qu’elle va prêter en fonction des risques encourus, qui sont principalement dans le cas des campagnes électorales le fait de ne pas dépasser les 5% des suffrages permettant le remboursement public. Alors si c’est pour faire la même chose qu’une banque privée, où est l’intérêt de la création de la banque ? Soit elle prête en utilisant d’autres critères qu’économiques, dirons-nous. De nouveau, nous avons deux possibilités. Première possibilité, elle utilise ces propres critères qui deviendront, c’est certain, tôt ou tard des critères politiques, c’est donc la voie ouverte au discrétionnaire le plus total pour accéder aux prêts publics et pour avoir l’obligation de rembourser. Et il y a de forte chance que cela entrave tout changement dans le paysage partisan français, et en particulier l’apparition de nouveaux partis. Deuxième possibilité, pour éviter cet inconvénient elle finance toute activité politique, afin de ne pas restreindre l’émergence de nouveaux partis par exemple. Dans ce cas, exactement comme lors de la mise en place du financement public dans les années 1990, on va voir se développer des candidatures et des partis, plus ou moins sérieux, profitant d’un coût faible grâce aux prêts publics. Et dans quelques années on changera la réglementation pour restreindre l’accès aux prêts publics et nous revenons à la première possibilité.

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