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Menace sur la croissance : pourquoi la France ferait bien de se soucier des projets alarmants qui planent sur la zone euro
©Reuters

Alerte aux austérophiles

Le 31 mai, Ewald Nowotny, membre autrichien du Conseil des gouverneurs de la BCE a déclaré "De Façon intéressante, l'amélioration des conditions économiques dans la zone euro ne se traduisent pas par une hausse des prix". "Selon lui, la question est de savoir si "notre objectif d'inflation est encore réaliste"? Le gouverneur a appuyé sa déclaration en indiquant qu'il n'était pas nécessairement mauvais d'avoir une faible inflation si la croissance est là.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Quelles seraient les conséquences d'une telle décision ? Comment justifier politiquement ce qui semble apparaître comme une volonté de restreindre la politique menée actuellement par Mario Draghi ? Quelles en sont les raisons ?

Christophe Bouillaud : Cette déclaration s’inscrit sans doute dans la longue suite de litanies émises par ceux qui considèrent que la politique monétaire actuelle de la BCE sacrifie les épargnants, allemands en particulier, sur l’autel de la relance économique européennes et qu’elle provoque en réalité plus des bulles immobilières qu’autre chose en matière d’effets sur l’économie. La logique politique est ainsi de protéger les épargnants en général, en leur servant de nouveau des intérêts à un niveau historiquement normal. Incidemment, c’est aussi resserrer les conditions de financement des Etats et donc les inciter à ne pas se lancer dans des politiques budgétaires qualifiées par cette tendance au sein des élites européennes de laxistes.  

Cette déclaration correspond sans doute aux différences de conjonctures réelles entre pays membres de la zone Euro. Le centre de l’Eurozone est désormais plutôt en bonne santé économique, et la périphérie, l’Italie par exemple, sort de son côté très péniblement de la crise économique qui a débuté en 2007/8. Les besoins en matière de taux d’intérêt ne sont donc pas du tout les mêmes entre le centre et la périphérie. Du coup, un représentant du centre, l’autrichien Nowotny, essaye de tirer la couverture de son côté.

S’il avait gain de cause, il est probable que les pays de la périphérie en souffriraient, ne serait-ce que par l’aggravation des besoins de financement du secteur public. Il est même possible que la timide relance de l’économie qu’on y observe tout de même en soit perturbée. Surtout, du point de vue politique, cela voudrait dire que les contraintes du  centre imposent leurs conditions à la périphérie. Le rééquilibrage qu’a représenté la politique de Mario Draghi prendrait alors fin.

Nicolas Goetzmann : Il y a une certaine forme de talent, en Europe, pour être complètement à côté de la plaque. L'ironie veut qu'au début de la semaine, un autre gouverneur (Lael Brainard), cette fois de la FED, a pu s'exprimer sur ce même sujet, mais en indiquant que la faillite de l'économie américaine au début des années 2010 s'expliquait assez bien par l'incapacité de l'institution à remplir son objectif de voir l'inflation atteindre ce chiffre de 2%. A l'inverse, les européens, à travers cette phrase d'Ewald Nowotny, ne veulent toujours pas comprendre que la faible inflation est le symptôme de la crise européenne. Cette proposition de vouloir changer l'objectif de 2% d'inflation conduirait à vouloir institutionnaliser la crise dans le marbre, ou de transformer le continent européen, comme étant celui qui choisit délibérément une faible croissance économique comme objectif prioritaire. Parce que l'inflation n'est rien d'autre que la deuxième face de la pièce croissance. Plus la croissance est faible, plus l'inflation est faible, et plus la croissance est forte, plus l'inflation est forte. Il y a donc un équilibre à trouver, mais ce point d'équilibre, pour l'Europe, est bien plus élevé que ne semble le croire Nowotny. Un ancien membre de la Fed, Narayana Kocherlakota, s'était également prononcé la semaine passée pour indiquer qu'il considérait que les perspectives de croissance des États Unis étaient sous estimées et que celles-ci avaient la capacité d'atteindre le chiffre de 3%.  En Europe, plutôt que de penser à comment faire mieux, on cherche à masquer son incapacité à remplir l'objectif actuel. On imagine assez bien un pays européen proposer de changer la règle des 3% déficits à 5%, voire plus, pour voir la réaction des pays du nord.

Concernant la justification d'une telle déclaration, il suffit de constater que l'Autriche, l'Allemagne, et certains pays du Nord sont en situation de plein emploi. Si Mario Draghi continue sa politique actuelle, les salaires de ces pays vont être amenés à progresser bien plus rapidement que ceux qui ont un chômage élevé, ce qui ferait "tourner la roue de la compétitivité" en Europe. Mais apparemment, une telle perspective du "chacun son tour" n'est pas vue d'un bon œil par certaines capitales européennes.

Une telle déclaration intervient dans un climat européen "mouvant", entre l'élection d'Emmanuel Macron à l'Elysée, les élections allemandes à l'automne, le Brexit, et une volonté, de la part de l'Allemagne, de placer Jens Weidmann, Président de la Bundesbank, à la tête de la BCE (selon le journal Der Spiegel). Comment interpréter ce climat ? Alors que Berlin était déjà perçu comme la force dominante en Europe, faut-il y voir une forme d'accélération du processus ?

Christophe Bouillaud : Comme disait quelqu’un à propos d’un autre sujet, l’union est un combat. Il va de soi qu’une bonne part, sinon la majorité des élites allemandes conservatrices, sont extrêmement opposées à la stratégie de politique monétaire qu’a mené Mario Draghi depuis quelques années, avec l’aval d’une majorité du Conseil des gouverneurs de la BCE. Elles ne se sont pas privées de le dire d’ailleurs. La fin du mandat de ce dernier qui se profile est donc l’occasion d’une remise en cause de la stratégie actuelle. Le combat est d’autant plus âpre que l’expérience depuis la création de l’Euro a montré que le Président de la BCE peut jouer un rôle majeur dans l’orientation stratégique de son institution, comme d’ailleurs pour les autres banques centrales où leur responsable principal joue un rôle déterminant, en bien ou en mal d’ailleurs.  Plus généralement, tout le monde sait que la zone Euro ne pourra pas perdurer sans que des réformes de son infrastructure institutionnelle soient menées.  La Commission européenne vient de faire ses propres propositions. Et le nouveau Président français s’est dit favorable à un renforcement de la gouvernance de cette dernière. Bref, chacun va essayer de faire avancer sa cause : les pays créditeurs, pro-épargnants, vont vouloir un contrôle accru des dépenses publiques, et des politiques monétaires restrictives, les pays débiteurs, plus préoccupés par leur niveau de chômage, vont vouloir développer des instruments de relance économique. Les fronts sont d’ailleurs moins partisans que nationaux. L’Espagne gouvernée par le très conservateur PP semble bien elle aussi vouloir une autre vision de la zone Euro que celle promue par son cousin conservateur allemand de la CDU/CSU.

Nicolas Geoetzmann : Ce qui est en train de prendre forme, c'est un double mouvement. Il y a d'une part un optimisme qui prend forme, vers un "renouveau" européen à tendance fédéraliste, dans lequel Emmanuel Macron apparaît comme un élément moteur. Le problème est que cette dynamique, et les idées portées par un tel projet, ne permettent pas de "changer" l'Europe, notamment parce que la question absolument essentielle d'une modification du mandat de la BCE vers une prise en compte du plein emploi n'est même pas abordée. Et ce, alors même que la crise que le continent connaît depuis 10 ans est la conséquence directe d'un mandat monétaire trop contraignant. Et c'est là que l'on peut voir apparaitre le deuxième mouvement de l'Europe actuelle. Entre les déclarations de Ewald Nowotny, la proposition de remplacer Mario Draghi par Jens Weidmann de la Bundesbank, c'est un véritable durcissement de la question monétaire en Europe qui se profile. C’est-à-dire sur l'essentiel, parce que les conséquences d'une politique monétaire restrictives ont des conséquences bien plus lourdes, la comparaison n'est même pas sérieuse, que toutes les propositions faites par Emmanuel Macron, dont certaines ont retenu l'attention de la Commission européenne. Le premier mouvement permet de "bouger", et d'avoir l'air d'avancer en Europe, le second est une avancée vers un grand tour de vis. Si vous aimez la crise que le continent subit depuis 10 ans, il est maintenant probable que l'Europe en fasse un modèle de développement.

La victoire d'Emmanuel Macron semble donner quelques espoirs dans la perspective d'un renforcement européen. En quoi la dynamique actuelle est-elle prise en compte par l'actuel Président ? Quelles seraient les actions à entreprendre pour permettre un rééquilibrage ?

Christophe Bouillaud : Emmanuel Macron a déclaré à plusieurs reprises qu’il voulait une remise à plat de la stratégie européenne. Il a par ailleurs été associé au quinquennat de François Hollande. Il a sans doute bien vu, comme tous les observateurs d’ailleurs, que l’absence de stratégie claire de la part de François Hollande lui avait fortement nui aussi bien sur la scène intérieure que sur la scène européenne. C’est d’ailleurs l’un des mystères de la Présidence Hollande : comment un « bébé Delors », comme on l’a caricaturé parfois, a pu avoir un bilan européen aussi médiocre ? A tout prendre, son prédécesseur immédiat, le gaulliste d’origine, Nicolas Sarkozy, avait été plus entreprenant, ou avait réussi à le paraître en tout cas.

Donc E. Macron ne peut pas se permettre de rejouer le scénario Hollande, et tout montre qu’il souhaite aller plus loin dans l’intégration européenne en général, et dans celle de la zone Euro en particulier. Les actions à entreprendre passent toutes par la construction d’une capacité institutionnelle de la zone Euro à avoir aussi une politique budgétaire qui réponde à la conjoncture. Avec l’Euro et la BCE, la politique monétaire européenne est fédérale, au sens de commune mais certes pas de démocratique. Il reste à créer des institutions pour que les politiques budgétaires et plus généralement économiques des Etats membres deviennent assez fédérales, communes et peut-être démocratiques, pour stabiliser l’ensemble dans le futur, d’où l’idée par exemple de créer une assurance chômage européenne.

Dans ce cadre, si les élections législatives sont aussi favorables que le prédisent les sondages au parti du Président Macron, il devrait pouvoir faire toutes les réformes constitutionnelles nécessaires à cette délégation supplémentaire de souveraineté à l’Union européenne ou plus spécifiquement à un organe ad hoc de la zone Euro. Cette omnipotence en France lui sera fort utile pour négocier avec ses partenaires, puisqu’il pourra accepter beaucoup de choses que ne veulent pas nécessairement tous les électeurs français. En effet, les oppositions à ce mouvement vont être très limitées dans les deux chambres. Cela ne sera d’ailleurs pas le moindre des paradoxes : tous les électeurs qui ont voté pour des candidats critiques de l’Europe actuelle au premier tour de la présidentielle de 2017, soit près de la moitié des électeurs, auront sans doute  au soir du second tour des législatives de juin 2017 une représentation très minoritaire dans les deux Chambres. Leurs représentants, s’ils en ont d’ailleurs – combien d’élus FN ? DLF ? FI ? -, ne pourront rien empêcher à ce niveau. Et je doute qu’Emmanuel Macron soit tenté par une réédition du référendum de 2005…

Nicolas Goetzmann : Emmanuel Macron a le choix. Soit il continue dans la voie qui se dessine actuellement, entre l'inversion de la hiérarchie des normes pour privilégier l'échelon de l'entreprise, qui est la cause principale de l'écrasement des salaires en Allemagne entre 1995 et 2005, une configuration qui pourrait être plus que douloureuse en cas de resserrement monétaire, et la poursuite d'une intégration européenne dont le volet social est encore absent, et le résultat sera de voir une accélération des effets que refusent les populations en Europe, soit il choisit d'être le Président qui veut "changer l'Europe" pour en faire un modèle de développement économique correspondant à ses origines; un capitalisme intégré reposant sur le plein emploi et un État providence fort. Il ne s'agit pas d'un vœu pieu, mais d'un projet réalisable si le mandat de la BCE est modifié, c’est-à-dire en permettant d'en revenir à des taux de croissance conformes au potentiel du continent. Ce qui est aussi synonyme d'en finir avec un chômage qui est supérieur à 9% de la population active depuis près de 10 ans sur le continent. Évidemment, avec plus de croissance, ce sont les déficits qui sont plus faciles à maîtriser, mais également la dette, ce qui signifie qu'il n'est plus utile de tailler dans les dépenses pour que le fardeau diminue. C'est donc réellement un choix. Faire semblant, ou agir utile.

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