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Zone euro : vers une Europe allemande ou une Allemagne européenne ?
©Reuters

Bon courage

Pour survivre, la zone euro n'a pas d'autre choix que de passer de la concurrence dans laquelle elle s'abîme à la coopération.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Nul ne s’enquiert en France du déficit commercial de la Corse ou de la région la Nouvelle Aquitaine vis-à-vis de l’Ile-de-France ? L’équilibre des comptes s’effectue grâce aux transferts financiers réalisés quotidiennement. Ces transferts prennent la forme de dotations publiques ou de prestations sociales. Par ailleurs, grâce à une espace financier commun, de l’épargne en provenance des régions excédentaires s’investit dans les régions déficitaires. Au sein de la zone euro, il n’y a pas d’outils de gestion quotidienne des déséquilibres. La zone euro ne fonctionne pas sur le mode coopératif mais sur le mode de la concurrence. Les dispositifs de solidarité existent non pas au sein de la zone euro mais au sein de l’Union européenne. Le budget européen affecte via le Fonds de Développement Régional des sommes au profit des régions en retard économiquement ou aux régions devant faire face à des contraintes particulières (régions ultrapériphériques).

L’édification de l’euro a reposé sur un tout autre système. Les Etats pour adhérer à la monnaie commune se doivent de respecter certains critères, inflation, déficits, dettes, indépendance de la banque centrale. Par ailleurs, ils doivent après leur adhésion rester vertueux autant que possible. En cas de choc économique, le retour à l’équilibre s’effectue de manière interne en agissant sur les coûts, la fiscalité, les dépenses publiques. L’intervention des autres Etats membres n’est pas prévue sauf évènement extraordinaire. Le Mécanisme Européen de Stabilité Financière n’a été créé qu’après la crise de la dette grecque. Il n’intervient que sous la forme de prêts et sous conditions. Le mode de règlement des problèmes économiques au sein de la zone euro est la concurrence. C’est ainsi que l’Espagne tout comme l’Irlande a réussi à endiguer leur crise au prix de fortes baisses de leurs coûts de production. L’Allemagne avait fait de même entre 2000 et 2007. La France mène depuis 2014 une politique d’abaissement des charges sociales que le nouveau Président de la République devrait poursuivre.

De nombreux économistes et hommes politiques de la zone euro se prononcent en faveur de la mise en place de politiques économiques coopératives dans la zone euro. Ce mode coopératif reposerait sur la création d’un Ministère des Finances et d’un budget de la zone euro, avec des ressources fiscales propres et avec éventuellement une dette fédérale de la zone euro. Il pourrait également être imaginé que des prestations sociales soient communautarisées. Cela pourrait concerner l’indemnisation du chômage.

Une telle avancée fédérale entraînerait des transferts de charges au sein de la zone euro. Ainsi, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, la Finlande pourraient voir leur contribution au budget européen augmenter quand la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Italie pourraient être bénéficiaire. Les taux d’intérêt pratiqués sur la dette pourraient augmenter pour l’Allemagne quand ceux de la dette grecque baisseraient. Pour la France, la contribution serait stable à en légère augmentation accompagnée d’une augmentation des taux d’intérêt.

La création d’un budget commun avec des investissements publics financés en commun rétablirait la circulation des capitaux entre les pays de la zone euro. L’épargne des pays excédentaires sur le plan de la balance des paiements courants serait affectée au financement d’investissements qui pourraient se situer dans des pays en difficulté. Aujourd’hui, depuis la crise de la zone euro de 2011-2013, les pays périphériques de la zone euro n’ont plus accès à l’épargne des pays ayant de tels  excédents extérieurs.

La zone euro n’est pas en soi une institution européenne. Tous les Etats membres de l’Union européenne sont censés intégrer la zone euro et à utiliser la monnaie commune. Certes, le Royaume-Uni et le Danemark ont obtenu que le passage à la monnaie commune ne leur soient pas imposés. De même, plusieurs Etas qui respectent les critères de Maastricht ont reporté leur adhésion. Il s’agit en particulier de la République tchèque et de la Pologne. De ce fait, l’idée d’une institutionnalisation de la zone euro avance. Doit-elle s’accompagner d’une montée en puissance du fédéralisme ? L’Allemagne était assez hostile à une communautarisation de peur d’être amenée à payer pour les autres. La France si elle soutenait le principe pour obtenir le soutien des Etats du Sud de l’Europe était, dans les faits, assez hostile. En effet, le fédéralisme était pour nos représentants tout à la fois synonyme de surcoûts budgétaires et financiers et d’une perte de pouvoir. Toute avancée fédérale pose le problème de la gouvernance. L’Allemagne qui est la première puissance économique et celle qui aurait le plus à perdre d’une mise en commun de moyens budgétaires et fiscaux ne pourrait que revendiquer une place de choix dans la direction des instances fédérales ce qui pourrait générer chez ses partenaires une certaine méfiance voire défiance. Ainsi se reposerait le dilemme, de « l’Europe allemande ou de l’Allemagne européenne »

L’intransigeance allemande a atteint ses limites. Le gouvernement s’est retrouvé isolé sur la question des migrants du fait de la position de la France et des pays d’Europe centrale. La montée des votes anti-européens aux Pays-Bas, en France, en Italie mais aussi en son sein, a souligné que l’existence même de l’Union européenne est en jeu. Or, l’Allemagne a conscience qu’économiquement elle dépend des autres Etats européens. Par ailleurs, l’Allemagne n’est pas une puissance diplomatique. Elle ne souhaite pas endosser les habits de grande puissance au regard de son passé. La Seconde Guerre mondiale et la division du pays durant 44 ans ont laissé des traces. Pour le moment indélébiles. Enfin, le Brexit rend nécessaire une plus grande implication dans la vie de l’Union. Angela Merkel doit opérer un changement de paradigme. Angela Merkel a été formée à l’école soviétique de l’autre côté du Rideau de Fer. Elle n’a découvert l’Europe, ses arcades, ses chausse-trappes qu’en 1989 à la chute du mur. Elle a acquise la culture européenne sur le tard ce qui peut expliquer le détachement qu’elle peut montrer sur le sujet. Elle a laissé à Wolfgang Schäuble le rôle de premier plan et celui du méchant. Il est possible qu’une inflexion intervienne après les élections au Bundestag programmé le 24 septembre afin d’éviter un délitement préjudiciable de l’Union. Si la Chancelière accède à un 4e mandat consécutif, elle voudra certainement achever sa carrière politique en leader européen, si c’est le SPD qui remporte l’élection, la politique économique de l’Allemagne ne sera pas réellement modifier mais une inflexion en faveur de l’Europe est envisageable au regard des prises de position de Martin Schulz.

L’Europe « new look » ne peut pas être une simple déclinaison de celle de papa. L’Europe ne se résume pas à la France et à l’Allemagne. Les Espagnols, les Italiens, les Polonais, les Tchèques n’apprécient guère d’être traités en citoyens européens de second ordre. Une Union signifie que les différents membres soient respectés. Le modèle du protectorat franco-allemand a ses limites. Il est assez étonnant que désormais tout nouveau Président de la république ou Ministre des finances se rende à Berlin au nom de l’amitié franco-allemande. Emmanuel Macron aurait mieux fait de rencontrer Angela Merkel à Bruxelles ou à Strasbourg pour manifester son attachement européen. Par ailleurs, les autres Etats européens n’ont guère envie que la France demeure le seul pays à demeurer en situation de déficits excessifs. Ainsi, ils sont nombreux à penser en-dehors de nos frontières que la France bénéficie de passe-droits du fait de son poids, de son histoire et de son influence. Mais, cela ne favorise pas l’obtention d’avancées en matière de construction européenne. L’Europe à la mode française n’est certainement pas plus populaire que l’Europe à la mode allemande. Ce qui est certain, c’est que la France pèsera dans le concert des nations européennes que si elle est exemplaire.

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