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Jean-Laurent Cassely : "l'imaginaire entrepreneurial est assez puissant, même en France"
©Reuters

Bullshit jobs

Ils sont de plus en plus à tout plaquer. Des cadres dans une situation confortable mais en perte de sens dans leur travail quittent tout pour devenir artisan, petit commercant... Derrière le phénomène médiatique se cache un mouvement de fond, un mouvement générationnel que Jean-Laurent Cassely raconte dans son livre "La révolte des premiers de la classe". Entretien.

Jean-Laurent Cassely

Jean-Laurent Cassely

Jean-Laurent Cassely est journaliste à Slate.fr, où il chronique la vie et l’œuvre des classes supérieures urbaines. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et guides pratiques sur la survie en milieu urbain.

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Atlantico :Dans votre livre "La révolte des premiers de la classe" vous traitez du phénomène qui se répand de plus en plus de cadres exerçant des "bullshit jobs" qui quittent leur travail pour exercer ce que vous appelez des "métiers du concret". Comment expliquer ce phénomène, combien de gens est-ce que cela concerne ?

Jean-laurent Cassely : On l'explique d'abord par un sentiment de malaise vis-à-vis du travail lui-même. C'est un mélange d'ennui et une incapacité à trouver du sens, une finalité à ce qu'on fait au quotidien.Il s'agit des "cadres et professions intellectuelles supérieures" de l'Insee ou "manipulateurs de symboles" comme les désignent certains économistes américains. C’est-à-dire des gens qui manipulent des informations (au sens large) au quotidien. Des documents Word, Powerpoint, Excel, des lignes de code…  Des gens qui ne sont en contact ni avec l'amont, ni avec l'aval de la chaîne, qui voient mal la finalité du travail qu'ils produisent. Ils sont au milieu, ils passent les plats sans voir de choses tangibles. 

Les gens que j'ai étudiés ne sont pas des gens au chômage, ce sont des gens en poste dans des situations assez confortables dans des boulots pas forcément inintéressants d'ailleurs mais  qui sont dans cette abstraction vis-à-vis de de l'économie réelle. 

En plus de ce sentiment de perte de sens, il faut ajouter deux phénomènes structurels qui sont d'abord celui du déclassement des cadres (qu'il soit réel avec la routinisation de certaines tâches, ou qu'il s'agisse d'une perception des individus) et ensuite la dévaluation des diplômes en France pour comprendre ce mouvement dans sa globalité.

Concernant l'ampleur, il n'y a pas de chiffres précis malgré la grande médiatisation et les portraits qui s'enchaînent dans les médias du banquier qui devient plombier. Le phénomène reste marginal évidemment mais il y a une telle production de diplômés que même un peu de beaucoup en valeur absolue cela finit par faire du monde. 

Enfin, sur les métiers du "concret" vers lesquels ils s'orientent, on peut déjà distinguer deux branches. La première est composée de gens qui veulent se reconnecter avec l'environnement physique, vers des métiers manuels donc. De l'artisanat, de la production, des métiers de bouche… Ensuite, il y a ceux qui vont être dans le besoin d'avoir plus d'interactions avec les autres. Ils peuvent alors s'orienter vers le commerce par exemple mais à une échelle plus petite, plus locale, alors qu'ils travaillaient souvent dans de grandes entreprises

On imagine que des gens en quête de sens dans leur travail qui travaillent dans de grandes entreprises peuvent vite être séduits par l' "aventure startup"? 

Typiquement les gens qui vont aller dans les startups, ont le même profil que les entrepreneurs urbains dont je parle. Ce sont souvent des gens issus de grandes écoles qui s'ennuient dans leur travail et qui, jeunes, vont décider de créer une entreprise pour faire le même genre de métier mais qui veulent s'absoudre de la bureaucratie et tendre vers l'imaginaire de la startup que l'on connaît. L'imaginaire entrepreneurial est assez puissant, même en France, et très présent dans le milieu "tech". Il y a une aspiration à être son propre patron, à déposer quelque chose de soi, d'intime, dans sa production, dans son travail. C'est une reprise en main de son destin, dans tous les sens du terme. C'est une reprise en main de tous les aspects de la production. Après il y en a qui vont plus ou moins fétichiser l'aspect productif (et vont s'orienter vers des métiers très concrets) ou l'aspect entrepreneurial (pour lesquels l'aventure compte plus que le produit ou le secteur). 

Passer d'un statut de cadre derrière un bureau à un statut d'artisan-commerçant… En termes de fatigue et de pénibilité il y a un monde. Comment s'adaptent vraiment ces gens et a-t-on une idée de combien retournent au point de départ ? 

Nous n'avons pas encore le recul là-dessus, c'est peut-être un peu tôt. J'ai rencontré beaucoup de gens qui s'étaient installés il y a peu ou qui étaient en phase d'installation avec l'envie de le faire. Une fois que l'on a enlevé les filtres Instagram, ce n'est pas facile. Il y a des horaires contraignants, le problème de la pénibilité même sans être dans l'artisanat, pour les gens qui sont dans le commerce par exemple, assumer la position debout pendant une dizaine d'heures d'affilée c'est fatigant.

Après il faut voir qu'il n'y a pas que ces deux cas de figure. Beaucoup de gens vont rentrer dans un poste de créateur d'entreprise, de gestionnaire. Ce sont des gens qui ont fait des études et qui, pour beaucoup ont pour objectif de gérer en étant très porté sur le côté innovation des entreprises. 

Finalement ils aiment bien faire ce qu'ils ont quitté, de la stratégie, du marketing, du storytelling... Ils adorent ça. Après ils mettent les mains dans le cambouis clairement mais il y a plusieurs configurations. A l'extrême la personne qui veut devenir vraiment un manuel et qui va passer un CAP, là c'est très difficile et contraignant, surtout lorsque l'on est plus très jeune et après il y a ceux qui vont évoluer d'un secteur à un autre en restant des managers. 

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