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Impeachment : la Maison Blanche en état de siège
©JIM WATSON / AFP

Trump contre le FBI

Le limogeage du directeur du FBI, James Comey, par le président Donald Trump, n’en finit pas de faire des vagues aux États-Unis. Depuis l’annonce de cette décision le 9 mai, la presse et les démocrates mènent un assaut frontal contre le président Trump, avec l’objectif avoué de parvenir à sa destitution. Tout devient prétexte à affaire d’État et la Maison Blanche semble en état de siège.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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D’un point de vue strictement constitutionnel, la décision du président Donald Trump de limoger le directeur du FBI, James Comey, est parfaitement légale. Mais elle est intervenue dans un contexte particulier, puisque le FBI mène depuis plusieurs mois une enquête visant le président et son équipe. De là à affirmer que Trump a agi pour faire cesser cette enquête, il n’y a qu’un pas,  que de nombreux commentateurs ont allègrement franchi. A leurs yeux, cette décision justifie l’enclenchement d’une procédure de destitution contre le président Trump. Nous n’en sommes pas encore là, mais nombreux sont les journalistes et les élus démocrates à rêver de faire à Trump ce qu’ils avaient réussi contre Nixon avec le Watergate en 1974.

Rappel des faits et explications

Le 9 mai le président Trump a annoncé avoir renvoyé le directeur du FBI, James Comey. Le FBI est une branche du département de la Justice, créée en 1908, dont la mission est de lutter contre toutes les menaces sur la sécurité intérieure des Etats-Unis. Le FBI est la principale institution de lutte contre la criminalité, un outil de collecte de renseignements, et, aujourd’hui, un bras du combat anti-terroriste. Il emploie quarante mille personnes environ, et dispose d’un budget de dix milliards de dollars. Son directeur est nommé par le président des Etats-Unis et confirmé par le Sénat, officiellement pour un mandat unique de dix ans.  Désigné par Barack Obama, Comey était en poste depuis septembre 2013.

Il est rare qu’un président limoge le directeur du FBI. Mais pas inédit. Bill Clinton en 1993 avait renvoyé William Sessions, (sans lien de parenté avec Jeff Sessions, actuel ministre de la Justice) directeur nommé par Ronald Reagan six ans plus tôt,  pour des soupçons de corruption et de détournement de fonds. Avant lui le président John Kennedy, et le président Harry Truman avaient tenté de se débarrasser de J. Edgar Hoover, nommé directeur en 1935 et qui restera en poste jusqu’à sa mort en 1972. Hoover a marqué le FBI de sa personnalité. Sa légende veut qu’il ait eu en sa possession des « dossiers » sur tous les hommes politiques ou presque, plein de petits et grands secrets inavouables, ce qui le rendait inattaquable et donc inamovible…

Pour justifier sa décision, Trump a indiqué que Comey avait « perdu la confiance du public américain » et ne pouvait plus « assurer sa mission ». Il a assuré avoir agi sur la recommandation de son ministre de la Justice (Attorney General), Jeff Sessions. En cause, plus précisément un témoignage, sous serment, fait devant le Congrès, quelques jours plus tôt, concernant l’enquête sur les emails d’Hillary Clinton. A cette occasion Comey s’était trompé dans ses chiffres, assurant que le FBI avait retrouvé « des centaines et des milliers d’emails » sur un ordinateur privé, alors qu’il ne s’agissait en fait que de quelques emails « parmi des centaines et des milliers». La distinction est de taille et avait suscité une correction écrite du FBI. Le directeur se trouvant ainsi corrigé par ses propres administrés. Cette faute avait servi de prétexte à son licenciement.

Il s’agissait bien sûr d’un prétexte. Le directeur du FBI était en joute depuis des semaines avec la Maison Blanche, mais pas seulement… Il était aussi dans le viseur des démocrates et en particulier d’Hillary Clinton elle-même qui avait indiqué à plusieurs reprises qu’il portait, pour elle,  la responsabilité de son échec présidentiel.

Pour comprendre cela il faut remonter un peu plus en arrière, au 28 octobre 2016 précisément. Ce jour-là dans un courrier au Congrès, James Comey avait indiqué que l’enquête sur les emails d’Hillary Clinton - en particulier son habitude de ne pas utiliser les appareils de l’administration américaine mais un serveur privé sous son seul contrôle, enfreignant ainsi la loi et mettant la sécurité nationale en jeu – venait d’être relancée à la suite de la découverte de nouveaux emails cachés.  Survenant à quelques jours du scrutin présidentiel, la nouvelle avait fait l’effet d’une bombe. D’autant que le même James Comey, en juillet, avait affirmé que malgré ses nombreux manquements aux règles de sécurité, les agissements de la Secrétaire d’Etat ne justifiaient pas une mise en examen et ne méritaient pas des poursuites judiciaires. A l’époque cette décision avait suscité la colère des Républicains. Cette fois c’était aux démocrates de crier au scandale et à la manipulation.

Moins d’une semaine plus tard, et donc quelques jours avant le scrutin, l’enquête avait été à nouveau close, sans autre dommage pour Hillary Clinton. Mais le mal était fait.

Du coup,  dès après l’élection les appels au remplacement de James Comeys étaient multipliés, dans les deux camps du Congrès. Toutefois le FBI et son directeur menaient alors une autre enquête, sur une possible ingérence de la Russie dans la campagne présidentielle américaine, via notamment les liens entre certains membres de l’équipe de Donald Trump et des personnalités russes liées au milieu du renseignement.

Cette enquête a fait grand bruit. Elle a même fait l’objet d’un rapport publié en décembre, avant l’investiture de Donald Trump affirmant la réalité d’une ingérence de Moscou. Elle a aussi fait au moins une victime directe, le général Michael Flynn, désigné par Donald Trump pour être son Conseiller à la Sécurité Nationale, mais ayant dû remettre sa démission moins d’un mois après sa prise de fonction pour des contacts et des échanges illicites avec l’ambassadeur de Russie à Washington…

Cette démission n’a pas pour autant mis fin à l’enquête, qui officiellement est toujours en cours. Elle n’a pas non plus débouché sur des révélations majeures, ou sur la découverte d’un réseau d’agents doubles dans l’Etat-major de Donald Trump. Aucune inculpation n’est venue ponctuer  l’enquête.

Par contre elle continue d’embarrasser la Maison Blanche et de susciter l’émoi des journalistes et des élus, dès qu’un détail soulignant une possible collusion entre Trump, lui-même, ou son entourage et un quelconque personnage proche de Moscou, vient à faire surface. Deux détails sont ainsi venus troubler l’actualité des derniers jours. D’abord, la possible communication par le président Trump  lui-même, d’informations sensibles, lors d’une rencontre avec Serguei Lavrov, le ministre des Affaires étrangères de la Russie,  à la Maison Blanche. Ensuite et surtout la révélation que lors d’une rencontre avec James Comey, en février dernier, Trump avait émis le souhait que l’enquête concernant Michael Flynn, soit laissée sans suite… ce qui constituerait de sa part une forme d’obstruction de justice, une faute grave et passible de sanction!

Avant même d’envisager cette éventualité il apparait comme évident à certains que si Trump s’est débarrassé de James Comey, c’était pour le punir de ne pas avoir mis un terme à cette enquête.

Mais si les choses s’arrêtaient là,  elles seraient encore trop simples, car une autre confrontation se déroulait en même temps en coulisse. Une joute personnelle s’était engagée entre le président et le directeur du FBI.

En effet, dans le cadre de son enquête sur l’ingérence russe dans sa campagne, le FBI a pu être amené à  mettre Trump et ses collaborateurs sur écoute. Cette révélation,datant du mois de février, a été exploitée par Donald Trump, pour se positionner en victime du système, et  pour attaquer directement les pratiques de son prédécesseur à la Maison Blanche, Barack Obama, car c’est en dernier lieu, lui qui est responsable des agissements du FBI. Mais James Comey n’est jamais venu corroborer cette affirmation. Au contraire. Il a continué d’affirmer que rien n’indiquait que Trump ait été mis, personnellement, sur écoute et que rien n’indiquait non plus que Barack Obama ait été au courant de ces écoutes ou les ait jamais ordonnées lui-même.

Donald Trump a très mal pris d’être ainsi contredit par son directeur, qui après tout, n’est à ses yeux qu’un employé et un subalterne et il a donc décidé de s’en débarrasser à la première occasion…

Voilà donc les circonstances du limogeage de M. Comey. L’histoire est complexe et mêle enjeux politiques et affaires personnelles. C’est aussi une confrontation d’égos largement démesurés. Il ne s’agit pas d’un abus de pouvoir par le président, mais certains de ses propos pourraient constituer une tentative d’obstruction de la justiceet être montés en épingle…  Bref il y a là ce qui ressemble à l’embryon d’une entrave aux institutions et donc un motif suffisant pour que le Congrès engage une procédure contre le président Trump. C’est exactement ce que veulent les opposants au président Trump depuis le soir de sa victoire.

Régulièrement dans le viseur de Donald Trump, un certain nombre de grands journaux américains, dont le New York Times, le Washington Post, le L.A Times, the New Republic, Neyw York Magazine, The Nation, et encore d’autres, n’ont jamais accepté son élection.  A leurs côtés un certain nombre d’élus démocrates ont compris qu’avec une majorité républicaine à la fois à la Chambre des Représentants  et au Sénat, le programme de gouvernement de l’administration Trump était inarrêtable. Le seul moyen d’y mettre fin est de faire tomber le président Trump lui-même. Celui-ci multipliant les bourdes politiques et les faux pas diplomatiques, une véritable course s’est engagée à qui trouvera le premier un motif pouvant mener à la destitution de Donald Trump, en américain son « impeachment ».

Avec le limogeage de James Comey ces médias et ces opposants sont persuadés d’avoir entre leur main ce petit graal politique. Du coup ce qui se disait discrètement après novembre est aujourd’hui proclamé haut et fort. Les adversaires de l’administration Trump sont décidés à le destituer. Mark Pocan, représentant démocrate du Wisconsin, et vice-président du groupe des « progressistes » à la Chambre, affirme que « le compte à rebours de l’horloge de la destitution a commencé». New York magazine lu ia emboité le pas affirmant que « c’est le seul moyen de stopper Trump » !

Rappelons que le scandale du Watergate et l’enquête menée par le Washington Post en particulier entre 1972 et 1974 constituent le plus grand succès de la presse américaine dans son combat permanent contre les abus de pouvoir de l’exécutif.  Que ce président ait été alors un républicain, détesté par l’intelligentsia sociale-libérale d’alors,  Richard Nixon, et que ce président ait conduit à la démission, ne fait que rajouter au plaisir de ce glorieux fait d’armes.

Une procédure de destitution demande l’assentiment du Sénat. Celui-ci est à majorité républicaine et le restera au moins jusqu’à novembre 2018 et les élections intermédiaires. Néanmoins les Etats-Unis sont entrés dans une nouvelle phase de la présidence Trump, celle d’une opposition totale entre l’administration et les autorités institutionnelles et morales du pays. Les hostilités ne font que commencer.

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