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Pourquoi le soutien affiché par Angela Merkel à Emmanuel Macron risque d'être plus complexe à concrétiser qu'il n'en a l'air
©Tobias SCHWARZ AFP

Bonnes intentions

Etre un ultra de l'Union européenne et montrer patte blanche ne fera pas tout pour Emmanuel Macron. A un moment, face à l'Allemagne, il faudra montrer les crocs si le nouveau Président souhaite vraiment réformer le modèle franco-allemand.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Emmanuel Macron et Angela Merkel se sont rencontrés ce lundi 15 mai dans le cadre du premier déplacement du nouveau Prédisent de la République française. Alors qu'Angela Merkel vient de conforter sa position lors d'un scrutin local, en quoi les agendas des deux première têtes exécutives peuvent-ils cohabiter ? Le couple franco-allemand, resté lettre morte depuis ces dernières années, doit-il réapprendre à travailler ensemble dans le cadre du projet européen ? Dans quelles conditions et avec objectifs ?

Emmanuel Macron : L'accueil réservé par Madame Merkel au nouveau Président français a été chaleureux. Aucune démonstration d'enthousiasme marqué. Mais un accueil appuyé à un nouvel interlocuteur dont on pense qu'il partage profondément la vision des choses sur l'Union Européenne et sur toute une série d'autres sujets. Angela Merkel et, surtout, Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances avaient pris un risque durant la campagne présidentielle française, en ne se cachant pas de souhaiter la victoire d'Emmanuel Macron. Ils peuvent se dire qu'ils avaient misé sur "le bon cheval" - à la différence de 2012, campagne à l'issue de laquelle Angela Merkel aurait aimé voir la réélection de Nicolas Sarkozy. Pour autant, une fois qu'on aura fait connaissance, le réel va s'imposer. Madame Merkel a d'ailleurs déjà indiqué à propos d'Emmanuel Macron, à l'issue de leur premier entretien: "Je lui fais pleine confiance. Il sait ce qu'il doit faire". On est bien loin de l'estime et du respect réciproque qui avaient régné au moins jusqu'à la réunification : Madame Merkel parle au nom d'une puissance dont le modèle monétaire a été accepté par une grande partie de l'Europe et qui accumule les surplus commerciaux. Elle s'adresse à un pays qui n'arrive pas à résorber ses déficits et touché par une désindustrialisation sévère. Le rapport de force économique est inégal; le rapport de force politique pourrait être plus équilibré, voire à l'avantage de la France mais ni François Fillon ni Emmanuel Macron n'ont utilisé l'atout à la disposition de la France durant leur campagne électorale : profiter des lourdes erreurs politiques de Madame Merkel (rupture avec la Russie; politique non-soutenable à long terme d'accueil massif de populations réfugiées)  pour proposer une nouvelle relation franco-allemande, plus équilibrée avec une reprise en main du leadership politique par la France. 

Emmanuel Macron a certes décidé de s'afficher comme un ultra de l'Union européenne: il voudrait un Ministre des Finances et un budget européen. Ce faisant, il commet la même erreur que bien des européeistes français. Il ne voit pas combien, pour paraphraser Bismarck, "l'Europe" n'est rien de plus que la désignation prudente, par une Allemagne qui (depuis le nazisme) n'ose plus avancer ouvertement ses intérêts, de son ambition nationale. La seule attitude qui vaille face à l'européisme allemand serait de défendre avec modération et fermeté des intérêts spécifiquement français. L'entente entre la France et l'Allemagne s'est longtemps appuyée sur une claire reconnaissance, par chaque partenaire, de la légitimité des intérêts de l'autre. Depuis qu'avec le traité de Maastricht et l'éclatement de la Yougoslavie la France a cessé de défendre des intérêts propres face à l'Allemagne, elle ne s'attire plus son estime mais de constantes leçons d'économie politique et d'éthique de la responsabilité. Et cela n'a pas de raison de changer avec Emmanuel Macron. 

Plus largement, on constate une période d'incertitudes pour Angela Merkel, coincée entre l'arrivée de Donald Trump, une période difficile avec la Turquie d'Erdogan, une position ambivalente vi sà vis de Moscou, et un rapprochement possible avec Pékin. Quels sont les points ou France et Allemagne peuvent constater des convergences d'intérêts, et quelles sont les positions d'Emmanuel Macron sur ces points ?

Je suis entièrement d'accord. L'Allemagne est une grande puissance européenne, pas une puissance globale. Non seulement parce que l'Allemagne n'a pas de siège permanent au Conseil de sécurité, pas de présence territoriale "outremer" ni d'armement nucléaire. Mais aussi parce que la République Fédérale manque totalement de vision quant à l'organisation du monde. La République de Berlin a la politique extérieure de son commerce extérieur. Pour le reste, Madame Merkel a été d'un conformisme affligeant: soumise à Washington au point de ne pas demander le rappel de l'ambassadeur des Etats-Unis lorsqu'il fut devenu clair que la NSA avait placé la Chancelière allemande sur écoutes; incapable de comprendre combien les bonnes relations avec la Russie sont indispensables à l'Europe occidentale si cette dernière souhaite jouer un rôle dans la construction de l'espace économique eurasiatique; pratiquant une politique bilatérale à courte vue avec la Turquie pour tenter d'endiguer une "crise européenne des réfugiés" qu'elle avait elle-même largement suscitée. L'Allemagne ne sait pas vraiment, sous la conduite de Madame Merkel, comment elle doit réagir à l'évolution du monde: comme un secrétaire général du parti communiste de RDA essayant d'amadouer un nouveau leader soviétique déconcertant, la Chancelière allemande, qui s'était livrée à une véritable leçon de morale envers le président américain nouvellement élu, s'est finalement rendue à Washington pour réaffirmer tant bien que mal "l'amitié entre pays frères". Récemment, Madame Merkel est allée rendre visite à Vladimir Poutine pour tâcher de réparer, au moment où Washington cherche un compromis avec Moscou, une relation germano-russe largement mise à mal par le refus allemand de faire respecter les accords de Minsk. 

Au fond, Emmanuel Macron n'a pas donné, durant sa campagne électorale, l'impression d'être plus original que l'Allemagne en matière de politique étrangère. Nous avons entendus les clichés, devenus tristement habituels en Occident, sur la nécessaire proximité avec l'es Etats-Unis ou le danger russe. Nous ne saurons pas tout ce dont ont parlé le chef de l'Etat français et le chef du gouvernement allemand: néanmoins, ils ne semblent pas qu'ils aient abordé le sujet crucial de la participation de l'Union Européenne au plus grand espace de croissance mondiale dans les cinquante ans qui viennent: l'Eurasie. Il y a trois jours, la Chine a invité soixante nations  à réfléchir avec elle à ce sujet dans une conférence qui se tenait à Pékin. Voulez-vous donner une petite chance de survie à l'euro, relancer la croissance européenne, entrer définitivement dans le dynamisme de la troisième révolution industrielle? Il faudrait commencer par proposer à Vladimir Poutine une position européenne commune sur la "Nouvelle Route de la Soie". Je parle évidemment de la seule Europe complète, "de l'Atlantique à l'Oural". 

A l'inverse, quels sont les points ou France et Allemagne peuvent avoir des divergences d'intérêts ? Sont ils pris en compte par Emmanuel Macron ? Comment pourrait il agir au mieux des intérêts français dans un tel cadre ?

Comme la France et l'Allemagne ne sont pas unies par de grandes ambitions: pacifier le Proche et le Moyen-Orient; construire avec la Russie un pilier européen de l'Eurasie; investir massivement dans l'éducation et la recherche pour tenir l'engagement de la Stratégie de Lisbonne de 2000 ("faire de l'économie de l'Union européenne l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde"), les deux pays sont condamnés à se chamailler autour de la question de la relance économique dans une zone euro à bout de souffle. Comme les grands idéologues du XXè siècle, Emmanuel Macron explique que si l'utopie européenne n'a pas réussi, c'est parce qu'on n'a pas versé assez dans cette utopie. Il faudrait "plus d'Europe". Madame Merkel ne peut pas avancer dans cette direction d'ici le mois de septembre et les élections législatives allemandes; mais il est peu probable qu'elle changera d'avis après ces élections: selon elle il y a des règles de fonctionnement de l'économie européenne; il faut que la France s'empresse de les respecter; c'est le préalable à tout pas de l'Allemagne vers la France. 

En fait, Emmanuel Macron vient de commettre l'erreur classique d'un partenaire de l'Allemagne mal préparé à une négociation avec ce pays. La première rencontre, lorsque l'on entre dans une relation d'affaires avec les Allemands, est décisive dans la mesure où la manière de poser les bases de la négociation est encore plus décisive avec eux qu'avec d'autres cultures. Si vous oubliez de formuler l'une de vos exigences lors de cette première rencontre, ensuite c'est trop tard. Le partenaire allemand considérera, si vous amenez plus tard des exigences nouvelles, que vous n'aviez pas été honnête la première fois; la confiance en sera ébranlée et la négociation beaucoup plus difficile. Certes on a raison de dire qu'Emmanuel Macron a sans doute eu tort de ne pas rompre avec l'habitude de ses prédécesseurs d'une "première visite" à Berlin. Mais cela serait à nuancer si le nouveau président français en avait profité pour poser clairement des intérêts français divergents de ceux de l'Allemagne (l'absence de politique de change active de la zone euro; la mauvaise gestion de l'espace Schengen par l'Allemagne; les intérêts français en Méditerranée; l'exigence d'un véritable protectionnisme européen etc....). Au lieu de cela, il a voulu briller en bon élève de l'européisme, c'est-à-dire qu'il a accepté le cadre allemand de mise en oeuvre d'une politique européenne. L'occasion perdue aujourd'hui ne sera jjamais rattrapée. 

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