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Rencontre Macron Merkel : une envie commune de fédéralisme...mais s'agit-il vraiment du même ?
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Nouvelle chance

Comme l’ont montré les débats et les résultats du premier tour de l’élection présidentielle, les Français ne sont guère favorables à plus d’intégration européenne, ce qui pourrait fragiliser l'objectif poursuivi par Emmanuel Macron.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Si Emmanuel Macron est apparu comme le candidat le plus "européen" de cette campagne présidentielle, que peut-on déduire de ses intentions "fédérales" ? Quelles sont les implications réelles d'un tel projet, notamment sur les questions budgétaires ? Que faut-il voir de l'objectif réel d'une telle "transformation" ?

Christophe BouillaudLe programme présidentiel d’En Marche ! fait directement allusion à la création d’ "un budget de la zone euro voté par un Parlement de la zone euro et exécuté par un ministre de l’Économie et des Finances de la zone euro" pour expliciter la promesse : «"Nous construirons une Europe qui développe nos emplois et notre économie." On peut y voir la réitération d’une idée classique des élites françaises depuis les premières discussions autour de la création d’une zone Euro. Il s’agit de transférer au niveau européen, fédéral, les instruments de politique économique, qui ne fonctionnent plus au niveau national depuis les années 1970 pour stabiliser ou relancer l’économie. Un budget de la zone Euro, qui couvrirait par exemple les coûts de l’assurance-chômage dans les différents pays, permettrait de créer des stabilisateurs automatiques en cas d’une récession  asymétrique. La mutualisation des frais d’investissements en matière militaire à travers la création d’un "Fonds européen de défense qui financera des équipements militaires communs (comme les drones européens)", évoquée dans le même programme, va dans une direction similaire. L’objectif serait, à terme, de gérer l’économie de l’Union européenne, ou tout au moins de la zone Euro, de la même manière que les autres "économies-continent" comme les Etats-Unis ou la Chine, en ayant à la fois une politique monétaire unifiée et une politique budgétaire assez importante au niveau de la zone Euro pour permettre de gérer la conjoncture au mieux. Il est aussi intéressant de noter qu’Emmanuel Macron promet de respecter les règles budgétaires "maastrichtiennes", de faire les réformes structurelles, mais aussi de baisser le taux d’impôt sur les sociétés et de lutter parallèlement contre l’évasion fiscale des grands groupes. Il prépare de fait le terrain à toute une série d’harmonisations au sein de la zone Euro : fiscale et sociale. Cela se ferait plutôt par le bas pour les Français, mais au moins cela se ferait.

A lire également sur notre site : "Fondre la France dans l'ordo-libéralisme germano-européen, l'autre visage du quinquennat Macron"

Pour savoir quelles seraient les implications d’un tel projet sur les questions budgétaires, encore faudrait-il savoir la nature exacte de ce dernier. Et là, c’est la grande inconnue. En effet, si l’on veut gérer ensemble plus d’argent entre pays européens, il est difficile de rester en dehors des traités. Une grande modification des traités européens parait largement inenvisageable au partenaire allemand, comme vient de le montrer l’entretien de Wolfgang Schäuble au magazine Das Spiegel. On dirait par contre qu’une transformation du Mécanisme européen de stabilité (MES) en "Fonds monétaire européen" est envisageable. Cela signifierait tout de même la modification d’au moins un traité existant, celui instituant ce MES, mais c’est un traité très technique, moins compréhensible pour l’opinion publique que les traités européens qui instituent l’Union européenne en général. Il faudra toutefois que lui aussi soit ratifié dans tous les pays qui voudront y adhérer. Il faut aussi bien se rappeler que le vote du budget par des représentants des contribuables est la première institution démocratique. Faire passer ce pouvoir au niveau européen est, par définition, un choix fédéral.

Par ailleurs, le ministre allemand insiste, de manière classique pour lui, sur le respect des règles qui régiraient ce MES "nouvelle manière", ce qui marque bien la distance avec l’approche plus pragmatique promue à travers l’idée d’un «"Parlement de la zone Euro" qui tiendrait compte des circonstances, y compris politiques.

L’enjeu de cette discussion qui s’amorce est la recherche d’une manière convenable aux deux grands partenaires, la France et l’Allemagne, de renforcer la zone Euro. Tous les économistes soulignent le hiatus entre une politique monétaire unifiée et des politiques budgétaires différenciées et autonomes. Faut-il combler le hiatus par des règles ou par des décisions majoritaires au coup par coup ? 

Si l'idée d'une Europe fédérale est ancienne, en quoi est-ce une nouveauté de voir la France se prononcer aussi favorablement sur cette question ? Comment justifier un tel "revirement" ?

C’est vrai que les dirigeants français, depuis Mitterrand, avaient eu tendance à éluder la question européenne. Personne n’a osé l’aborder de front, surtout après l’échec du référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen (TCE). Le changement d’approche tient tout d’abord à la conjoncture exceptionnelle qui a permis à un candidat situé au centre de s’imposer. Emmanuel Macron reprend en effet le positionnement classique du Modem, très européiste. Il a pu le faire entendre et s’imposer, parce que Les Républicains et le PS ont fait chacun de leur côté leurs erreurs. Il l’a fait dans un contexte où, par ailleurs, tous les autres candidats ont surfé sur l’euroscepticisme ou la critique de l’Union européenne telle qu’elle est. Comme l’ont montré les débats et les résultats du premier tour de l’élection présidentielle, l’électorat dans son ensemble n’est en réalité guère favorable à plus d’intégration européenne. Et, sauf à s’illusionner, les résultats du second tour ne sont pas un plébiscite pour le candidat pro-européen, mais un référendum contre la candidate du FN. De fait, ce résultat même confirme qu’Emmanuel Macron opère dans un contexte où, de l’avis général, il faut sauver l’Europe. A suivre les propos du candidat Macron lui-même, on aura compris qu’il prétend justement réconcilier les Français avec l’Europe, parce que cette dernière donnera enfin les résultats attendus.

Par ailleurs, il faut espérer qu’Emmanuel Macron, pour avoir été aux premières loges de la présidence Hollande et ayant vu l’échec de cette dernière en matière européenne, en ait tiré quelques leçons. Nous verrons dans les tous prochains jours comment il gère le début de sa présidence sur ce point avec l’avantage pour lui de ne pas être mis devant le fait accompli d’un traité déjà signé par son prédécesseur, et surtout d’avoir déjà vu tout cela fonctionner de l’intérieur. 

Au regard d'une population frileuse à l'égard de la question européenne, notamment au regard des scores du premier tour des candidats les plus critiques à l'égard de l'Europe, quels sont les dangers d'un tel projet ?   

Le principal danger à court terme, c’est dans un premier temps que ces affaires européennes arrivent à donner le ton de la campagne  pour les législatives. C’est assez facile de vaincre au second tour, au nom de l’Europe à sauver, contre une Marine Le Pen guère apaisée pour le coup, qui fait peur, voire presque pitié pour son absence de préparation, cela le sera peut-être moins d’obtenir une majorité parlementaire face à cet électorat rétif dans sa majorité à la perspective de plus d’intégration européenne. Il ne faudrait pas que les électeurs des eurosceptiques des deux rives s’entraident à avoir des élus…

Le deuxième danger serait de prendre ensuite des mesures de politique économique, au nom du respect des règles européennes et des réformes structurelles, dont les effets seraient particulièrement mal vus par l’opinion publique ou qui provoqueraient de graves troubles sociaux – sans compter les éventuels effets récessifs sur l’économie.  En particulier, je ne suis pas sûr que la hausse de la CSG pour de nombreux retraités passe aussi inaperçue que cela.                                                                                                                                                                                            

Le troisième danger, plus à moyen terme, serait de se retrouver pris dans un nouveau débat institutionnel sur l’intégration européenne. Même s’il n’y a pas de référendum sur un nouveau traité, cela pourra structurer la vie politique. Je m’interroge sur la viabilité à terme d’un système politique français où un grand centre explicitement pro-européen s’opposerait à droite à une aile nationaliste-souverainiste et à gauche à une aile insoumise-internationaliste, comme n’est pas loin de l’envisager mon collègue Pierre Martin. Les jeux politiques des prochaines semaines vont sans doute clarifier tout cela.       

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