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Pourquoi les antibiotiques du futur pourraient venir droit du moyen-âge
©Wikimedia Commons

Retour vers le passé

Une équipe internationale de chercheurs a lancé un nouveau projet : constituer une base de données avec des recettes médicamenteuses issues du Moyen-Age. Les plantes pourraient s'avérer être une bonne solution pour créer de nouveaux antibiotiques. Les bactéries résistent de plus en plus aux nouvelles molécules.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : La médecine de l'époque médiévale est souvent jugée comme archaïque par la population. Cependant, un projet a été lancé par des scientifiques pour chercher des sources de ce type pour de nouveaux traitements contre les maladies qui résistent aux antibiotiques. Quel crédit accorder à cette initiative ? L'étude du Moyen-âge médical peut elle déboucher sur de nouveaux traitements efficaces ? 

Stéphane Gayet : On a en effet trop souvent tendance à opposer radicalement la science, qui a connu un essor décisif au XVIIIe siècle, le fameux siècle des "Lumières", aux connaissances empiriques. La méthode scientifique produirait des connaissances précises et solides, la méthode empirique au contraire des connaissances approximatives et fragiles. L’empirisme consiste à observer un phénomène et à en tirer une information qui pourra ensuite devenir une règle si le phénomène se répète suffisamment. La science à émettre des hypothèses sur l’explication d’un phénomène et à les tester une à une de façon rigoureuse, pour s'efforcer d'en tirer ce qui est convenu "une vérité scientifique". L’empirisme repose sur des impressions, la science sur des certitudes.

On a dû cependant déchanter. Vérité scientifique d’aujourd’hui, contrevérité de demain. Le caractère indéniable de la vérité scientifique est depuis des décennies infirmé à maintes reprises. Les exemples sont légion et dans tous les domaines. On est devenu aujourd’hui très prudent dans l’énoncé d’une connaissance scientifique : on peut dire que la science est passée de l’arrogance au doute et c’est heureux. Toujours est-il que le mot science jouit d’un grand prestige : ce qui n’est pas scientifique ne paraît pas sérieux, pas fiable. On a pris l’habitude de coller le mot science à de nombreux domaines d’études qui ne reposent cependant pas sur des méthodes dites scientifiques : sciences politiques, sciences économiques… La médecine n’est pas non plus une science, mais un art qui s’appuie sur des sciences. C’est un art au même titre que l’architecture.

Cette époque où l’on pensait naïvement que la science devait tout régler, y compris dans des domaines comme celui de la philosophie, est heureusement révolue. C’est Henri Bergson, philosophe français fin XIXe-début XXe siècle, qui fut l’un des premiers à avoir dénoncé ce scientisme insensé. Mais beaucoup de personnes instruites pensent encore aujourd’hui que la connaissance vraie, indubitable, ne peut que passer par la science. C’est faire véritablement preuve de mépris vis-à-vis des connaissances empiriques de l’antiquité, du Moyen-âge, de l’Asie préindustrielle, de l’Afrique…

Les Anciens n’avaient pas la science, mais sans aucun doute des têtes bien faites avec des cerveaux performants. L’imprimerie a été inventée vers 1440-1450 par Gutenberg, c’est-à-dire à la fin du Moyen-âge, mais l’écriture manuelle sur de nombreux supports végétaux ou animaux remonte à l’Antiquité. Nous avons de véritables trésors d’archives, plus ou moins bien conservées, constituées de documents manuscrits sur la médecine médiévale. Il faut saluer cette initiative courageuse consistant à s’y intéresser sur le plan médical, car on y peut y trouver des merveilles de descriptions détaillées, méticuleuses et de déductions empiriques d’une valeur inestimable. Il n’est pas exagéré de dire que les Anciens, qui n’étaient pas intoxiqués par toute cette kyrielle de polluants qui nous envahissent au quotidien, qui n’étaient pas en permanence sous pression, prenaient le temps d’observer, de réfléchir et méditer, tirer des enseignements et les coucher sur des manuscrits. Oui, il faut prendre au sérieux cette entreprise d’analyse de manuscrits médicaux du Moyen-âge. L’industrialisation n’est pas synonyme de supériorité absolue. Plus près de nous, l’histoire du tramadol est édifiante. Cet antidouleur de niveau deux (sur trois) est le fruit d’une synthèse chimique de scientifiques européens. Un chercheur camerounais de l’université de Buéa a retrouvé cette exacte molécule dans les racines d’un arbuste de son pays, le Nauclea latifolia. Car des tradipraticiens du Cameroun savaient depuis des décennies que les racines de cet arbuste étaient de puissants antidouleurs.

Le groupe de chercheurs qui a lancé cette nouvelle recherche s'appuie sur des recettes collectées dans diverses archives médicinales. Les plantes peuvent-elles avoir réellement un effet contre les infections ? Quelle est leur fonctionnement ? 

Les médicaments originels proviennent des plantes. Nous avons trop tendance à l’oublier. Il y a dans la nature, déjà dans les plantes, tout ce qu’il faut ou presque pour se soigner. Les Anciens le savaient, comme les Africains qui ont développé une impressionnante connaissance, véritablement encyclopédique, des plantes médicinales. Beaucoup de plantes peuvent à la fois soigner ou tuer selon leur concentration. La strychnine, la belladone, la colchicine et l’opium sont trois extraits de plantes pouvant soigner, mais aussi tuer à forte dose. La diversité et la puissance de l’arsenal thérapeutique potentiel constitué des plantes naturelles risquent d’être une richesse en peau de chagrin, étant donné la pollution galopante conjuguée aux transformations climatiques. La biodiversité est en régression, c’est indéniable. Il est probable que des espèces végétales disparaissent de la surface terrestre avant d’avoir pu être exploitées médicalement, alors qu’elles auraient peut-être pu guérir de graves maladies. C’est comme si notre planète était très progressivement en train de passer de l’ère biologique à l’ère chimique.

Si les premiers antibiotiques datent du début du XXe siècle (pénicilline, sulfamides), l’homme a toujours été en contact avec des bactéries qui représentent le mode de vie le plus rudimentaire que l’on connaisse sur terre. Le corps humain a manifestement toujours été, à la fois colonisé de façon permanente et physiologique par d’innombrables bactéries commensales (muqueuses et peau : bactéries qui se nourrissent sur nous, mais sans nous agresser), et infecté de façon épisodique et pathologique par un petit nombre de bactéries pathogènes. On peut affirmer que les infections à staphylocoque doré, à streptocoque A, à colibacille, ont toujours existé, car les infections à ces bactéries pyogènes (qui produisent du pus) ne sont pas des maladies nouvelles, émergentes. Mais au Moyen-âge, il n’y avait pas d’antibiotiques et l’on se soignait tant bien que mal avec des plantes.

Quel peut être l’effet des plantes sur les infections bactériennes ? On peut émettre plusieurs hypothèses. Des extraits de plantes peuvent avoir un effet stimulant de l’immunité, de nature à permettre au corps humain de reprendre le dessus. Ils peuvent avoir un effet toxique pour les bactéries, comme les antibiotiques provenant de bactéries ou de champignons microscopiques en ont un. Il est possible aussi qu’ils empêchent les bactéries de se multiplier et d’envahir les tissus en agissant sur ceux-ci. On peut également supposer qu’ils puissent contenir des virus de bactérie, c’est-à-dire des phages ou bactériophages. Qui sait, comme les tradipraticiens africains avaient découvert le tramadol des décennies avant sa synthèse chimique, les Anciens du Moyen-âge avaient-ils peut-être déjà découvert la phagothérapie sans le savoir ? Cela est plausible.

Le travail de recherche en cours utilise bien entendu largement les outils numériques. Les documents médiévaux étudiés sont étonnants de richesse. Non seulement, ils décrivent les vertus et les emplois d’extraits d’un grand nombre de plantes, mais de plus des recettes de préparation qui relèvent de véritables recettes de grands chefs cuisiniers. Grâce aux outils informatiques, les manuscrits sont numérisés, compilés et exploités afin d’essayer d’en tirer des informations fiables et utiles. N’est-ce pas là un parfait alliage d’empirisme savant et de science ? Le biostatisticien rejoint l’herboriste, pour produire des connaissances, oui scientifiques. Et ces chercheurs ne sont pas au bout de leurs surprises : certaines recettes d’herboriste conjuguent des extraits de plantes avec des produits animaux. Telle cette préparation à base de vin, d’ail, d’oignon, de poireau et de poils de bœuf qui, après une incubation de dix jours dans un récipient en laiton, devient un puissant médicament contre les infections à staphylocoque doré. Il est difficile pour nous d’imaginer la somme des connaissances accumulées par les Anciens à partir de leurs travaux empiriques. Un livre écrit en 1305 par Bernard de Gordon, médecin médiéval, comporte pas moins de 360 recettes de traitements médicinaux. Ce livre a été reproduit et diffusé durant des siècles. Les exemples de ce type ne manquent pas. C’est à la fois passionnant et plein d’espoir

Si les résultats des essais sont probants, quels pourraient être les maladies les plus aptes à recevoir ces traitements d'un "nouveau" genre ? A-t-on déjà connaissances de cas qui auraient réussi ? 

Vis-à-vis des infections graves et rapidement évolutives que sont les septicémies et la plupart des méningites bactériennes, on a peine à penser que de telles recettes puissent remplacer un traitement antibiotique bactéricide administré par injection ou perfusion. Il faut reconnaître la puissance assez remarquable des antibiotiques, leur habituelle grande marge thérapeutique (la différence entre la dose efficace et la dose toxique). On a cité les infections à staphylocoque doré, qui sont des infections fréquentes et en général aiguës. Elles touchent la peau, les muqueuses, les poumons, et bien d’autres organes profonds.

L’exemple des infections urinaires à colibacille ou Escherichia coli est un autre exemple typique. Le jus de canneberge – un arbuste à feuilles persistantes, qui croît dans les marais et tourbières des régions montagneuses et porte une baie rouge-foncé qui donne ce jus – est très parlant. On sait depuis longtemps que ce jus permet de prévenir les infections urinaires, mais uniquement celles à colibacille. On a montré que c’était par un empêchement de la bactérie d’adhérer aux cellules de la muqueuse de la vessie. Or, sans adhésion, pas d’infection. Mais pour en revenir à l’exploitation des recettes médicinales médiévales, nous n’en sommes qu’au début. Il y a beaucoup de grain à moudre. Du travail en perspective : nous allons suivre cela avec grand intérêt.

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