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Dis-moi combien tu gagnes à 25 ans et je te dirai ce que tu vas gagner tout le reste de ta vie
©wikipédia

Déterminisme financier

Il y a de très forte chance que tout soit joué à 25 ans pour un jeune professionnel. Le salaire touché à cet âge-là ne changera globalement pas beaucoup, et c'est le signe d'un rapport particulier à la formation et à l'éducation dans nos sociétés.

Joël Hellier

Joël Hellier

Joël Hellier est économiste et enseigne à l'Université de Nantes et de Lille 1. Ses travaux portent sur la macroéconomie des inégalités, l'économie de la mondialisation, l'éducation et la mobilité intergénérationnelle et l'économie du travail.
 

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Atlantico : Une étude trans-universitaire américaine (lire ici)  menée récemment sur les origines des inégalités salariales tend à montrer qu'en matière d'inégalités, tout se joue avant 25 ans. En effet, les augmentations sont particulièrement significatives à stade de la vie professionnelle, et le seraient moins à partir de la quarantaine. Pourquoi notre premier salaire détermine-t-il donc si fortement le reste de notre carrière ? 

Joël Hellier : Aux Etats Unis comme en France, l’essentiel de la qualification est acquise à l’issue des études précédant la vie professionnelle. Il y a de ce point de vue une grande différence avec, par exemple, les pays Scandinaves où il n’est pas rare de s’arrêter pendant sa vie professionnelle pour reprendre ses études. 

De plus, il n’est pas totalement anormal de constater une progression ralentie à partir de la quarantaine, en particulier pour les métiers fondés sur une qualification professionnelle assez précise, dès lors qu’il n’y a pas de formation permanente et de remise à niveau systématique. Cela reflète simplement l’obsolescence accélérée des techniques et des qualifications correspondantes. 

Ce phénomène est-il aussi vérifiable en France qu'il semble l'être aux Etats-Unis ?

Il n’y a pas à ma connaissance d’études permettant de comparer la position des différents pays sur le degré de détermination de l’avenir professionnel à 25 ans. En fait, tout semble indiquer qu’en France, comme aux Etats Unis où en Grande Bretagne, l’avenir professionnel des individus est non seulement largement déterminé à cet âge, mais en fait bien avant.

J’aimerais d’ailleurs souligner qu’une certaine stabilité de la hiérarchie professionnelle après 25 ans n’est pas obligatoirement problématique dès lors qu’elle reflète l’aptitude et la capacité de travail des individus. Si ces dernières se révèlent avant 25 ans, le maintien des hiérarchies professionnelles et de revenu après 25 ans est logique. En revanche, ce qui est problématique, c’est une situation où ces hiérarchies ne reflètent pas les aptitudes et l’effort, mais plutôt l’origine sociale et familiale. 

De ce point de vue, la France partage avec les Etats Unis, le Royaume Uni et l’Italie, une situation particulière : celle d’un pays où la position dans la hiérarchie éducative et la hiérarchie des revenus est très fortement déterminée par le milieu social et familial. Une mesure assez habituelle de cette détermination sociale et familiale est ce que les chercheurs en sciences sociales appellent l’élasticité intergénérationnelle. Sans entrer dans des détails techniques, il suffit d’indiquer que plus cette élasticité est élevée, plus la détermination familiale et sociale des individus est forte. Or, elle est comprise entre 0,4 et 0.5 en France, aux Etats Unis et au Royaume Uni, contre une valeur entre 0.15 et 0.25 dans les pays Scandinaves et au Canada. Les autres pays se situent entre ces deux groupes, avec par exemple une valeur de 0.35 en Allemagne. Plus préoccupant : cette détermination sociale et familiale s’est sensiblement amplifiée en France dans les dernières décennies, comme le montre plusieurs travaux (voir en particulier : ‘Skill Premia and Intergenerational Education mobility: The French Case’, Economics of Education Review, vol. 39, 2014).

Quels sont les critères en termes d'éducation qui favorisent cette détermination précoce du parcours professionnel ?

D’une part et logiquement, plus la détermination est précoce, plus elle dépend des origines sociales et familiales. En effet, les capacités personnelles prennent plus de poids avec le temps alors qu’au départ c’est la situation familiale qui est déterminante. 

Plusieurs caractéristiques des systèmes éducatifs peuvent expliquer la prépondérance de la détermination sociale et familiale, et donc la détermination précoce. 

D’une part, un coût élevé des études favorise les familles aisées. Cette explications est sans doute essentielle pour les Etats Unis et la Grande Bretagne, mais beaucoup moins en France où le coût des études reste relativement réduit, même si la France est championne des dépenses privées de soutien scolaire. 

Une autre explication peut provenir du système éducatif lui-même. Ici, deux éléments sont essentiels. D’une part, l’éducation primaire est le lieu où l’école peut compenser les inégalités culturelles liées au milieu familial. D’autre part, dans l’éducation supérieure, une sélection précoce des meilleurs et une forte différence d’allocation aux établissements d’élite comparés aux autres établissements amplifient la prédétermination sociale. 

Or, de ce point de vue, la France se caractérise par deux spécificités. 

D’une part, elle a l’une des plus faible dépense par élève des pays de l’OCDE dans l’éducation primaire (en % du PIB par habitant). Cela ne peut permettre de compenser les inégalités initiales liées au milieu familial. 

D’autre part, le système d’éducation supérieur français est l’un des plus élitistes au monde (le pourcentage d’élèves admis dans les grandes écoles a augmenté de 3 à 4% d’une génération alors que le pourcentage d’une génération admise dans le supérieur est passé de 20% à 60% entre la fin des années soixante et aujourd’hui) et l’un de ceux où la séparation entre l’élite (les grandes écoles) et les autres s’opère très précocement, juste après le baccalauréat. De plus, la dépense par étudiant est, dans les grandes écoles, plus de trois fois supérieure à celle des universités. On peut d’ailleurs remarquer que ce caractère très élitiste de l’éducation supérieure se retrouve aux Etats Unis et en Grande Bretagne, même si ces pays n’ont pas de grandes écoles à proprement parler.      

Faut-il y voir aussi une fébrilité de la formation continue au sein du monde du travail ?

Je ne sais pas très bien ce que vous entendez par fébrilité. Ce qui est certain, c’est que la formation continue est très défaillante en France. D’une part, une grande partie des sommes allouées ne vont pas vraiment à la formation. D’autre part, ces dépenses ne vont pas vers ceux qui en auraient le plus besoin, les chômeurs dont les qualifications sont, soit faibles, soit obsolètes. Une réforme complète du système est sans doute nécessaire. Mais cela porterait atteinte à ceux qui en profitent...

Quelle perception de ces inégalités et immobilismes ont les Français ?

Un sociologue serait mieux placé que moi pour répondre à cette question. Toutefois, la montée des populismes en Grande Bretagne, aux Etats Unis et en France montrent que les populations sont non seulement de plus en plus sensibles aux injustices liées aux inégalités et aux immobilismes, mais également qu’elles le font savoir. Des politiques permettant de remettre l’ascenseur social en marche n’en sont que plus nécessaires.  

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