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L'échec de la décentralisation à la française : la faute au culte de l'État
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30 ans

30 ans de décentralisation en France ... et un bilan mitigé. Les politiques territoriales se sont succédées sans parvenir à confier de véritables responsabilités aux localités. Bilan des points négatifs d'une décentralisation qui reste antinomique avec la culture traditionnelle de l'Etat français.

Atlantico : La France vient de célébrer les 30 ans de la loi Defferre sur la décentralisation. La politique française en la matière est-elle une réussite ? Quels sont les points sur lesquels elle est un échec ?

Philippe Laurent : La décentralisation est et a été une réforme structurelle de l’action publique. En France, elle se fait d’une manière très particulière. C’est le seul pays où elle a pris cette allure. Nous avons gardé une conception très centralisée de l’Etat. La politique de décentralisation s’est faite sans que la structure et le rôle de l’Etat ne suivent ce mouvement.

Il ne s’agit pas de décentraliser l’action de l’Etat, qui doit rester, dans une grande nation, totalement cohérente. Il s’agit de décentraliser la culture administrative de l’Etat. Il y a en France une conception des hautes fonctions administratives qui doit rester dans l’uniformité afin de garantir une parfaite égalité entre les citoyens. Cette approche se retrouve en confrontation avec la volonté de décentralisation.

C’est pour cette raison que les doublons continuent d’exister. Ils ne se manifestent en général pas entre différentes collectivités mais entre les collectivités et l’Etat central.

Pourquoi n’arrivons nous pas à changer cela ?

C’est un problème culturel. Il y a un France un culte culturel de l’Etat. Le seul moyen de faire évoluer la situation serait de remettre en cause la vision culturelle que nous avons du rôle de l’Etat. Une direction que nous ne semblons pas prêts d’emprunter : ces dernières années, les discours politiques se sont plutôt prononcés en faveur d’un retour vers l’Etat. Une situation d’autant plus étonnante qu’elle va quasiment à rebours des valeurs de la droite.

Ces dernières années, les responsables politiques au pouvoir ont cru pressentir une orientation à gauche des autorités administratives locales. C’est aussi pour cette raison qu’ils ont cherché à maintenir un Etat centralisé et puissant.

Même lorsque les individus ont une bonne compréhension du rôle des collectivités locales, même lorsqu’il y a une volonté d’améliorer leur action, à un moment donné, les chefs de services ou d’administrations centrales arrivent au bout de leurs capacités de manœuvres. Ils se braquent alors et se retrouvent de nouveau dans une position arrogante, dominatrice.

En réalité, aujourd’hui, plus que de décentralisation, c’est de réforme de l’Etat dont il faudrait débattre.

La manière dont est perçu le rôle des collectivités publiques, dont les activités restent abstraites pour beaucoup de Français, n’est-elle pas un échec de la politique de décentralisation ?

Il y a un échec, une insuffisance dans la communication des collectivités et de l’Etat. Elle est en grande partie liée à la difficulté que les gens ont pour s’intéresser à ces sujets. Il faudrait qu’ils fassent preuve d’un minimum d’attention.

Il y a un autre échec, directement lié à cela : c’est le cumul des mandats. A partir du moment où vous avez une décentralisation développée, avec de vrais responsabilités au sein des collectivités territoriales, il faut mettre en place une interdiction de cumul entre ces fonctions et des fonctions parlementaires. L’avantage supposé de certains cumuls, censé mettre en place des députés connaissant le terrain, n’existe pas. Ils font autant d’erreurs que les autres. Il y a plus d’inconvénients dans cette confusion des rôles que d’avantages.

D’autre part, face à des élus locaux qui sont aussi parlementaires, les citoyens n’ont pas toujours la bonne lecture de leur position politique. Députés et sénateurs sont encartés dans des partis qui faussent la compréhension des projets des collectivités qu’ils peuvent diriger. C’est très visible au niveau de la région. Ça l’est moins au niveau du département ou de la commune.

Il existe en réalité deux niveaux de lecture pour les citoyens : la nation et la commune. Ils comprennent qu’ils sont dirigés par des parlementaires et un gouvernement qui sont à la tête du pays et ils savent qu’ils ont des maires pour répondre aux questions de proximité. Cette approche est d’ailleurs la même dans de nombreux pays européens.

On voit une différence en Allemagne où les Landers ont le pouvoir. C’est le principe d’un Etat fédéral. D’où l’approche paradoxale en France : nous tâchons de mettre en place un fédéralisme régional sans se départir d’un Etat central.

La France serait-elle en train d’hésiter entre plusieurs modèles ?

Exactement. Nous ne parvenons pas à choisir entre plus de fédéralisme ou pas. Si l’on va vers le fédéralisme, c’est une révolution complète à laquelle la société française n’est pas encore prête, en dehors peut-être des Corses ou des Bretons. Mais si l’on n’y va pas, il est clair que la logique actuelle, mélangeant de nombreux niveaux de responsabilités, ne fonctionne pas.

Si en Allemagne, la vie politique a su se construire à l’échelle régionale, ce n’est pas le cas en France. Chez nous, la vie politique ne parvient à exister ni au niveau régional, ni au niveau départemental. Tant et si bien qu’en France, les Etats-majors de partis politiques ne commencent à vous considérer qu’à partir de l’échelon régional. Le maire est un amateur, le président de département un professionnel de la politique : c’est là que se décide l’éligibilité à un siège parlementaire. Cette vision est la preuve d’une rupture entre l’Etat et la localité.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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